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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Version de concert de Mazeppa de Tchaïkovski par l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Kirill Petrenko au Festspielhaus de Baden-Baden.
Une berceuse pour l’éternité
La plus grande réussite de Tchaïkovski dans le genre de l’opéra historique se hisse sans conteste juste derrière Eugène Onéguine et La Dame de Pique, surtout lorsqu’elle est dirigée avec le mélange d’énergie et de délicatesse qu’y met Kirill Petrenko. À Baden-Baden, la distribution voit le triomphe des voix graves chez les hommes.
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Après deux reports causés par la pandémie, les Berliner et Kirill Petrenko donnent enfin Mazeppa à Baden-Baden mais sans la mise en scène initialement programmée. Pour le chef, c’est un retour à une partition présentée en 2006 et 2010 à l’Opéra de Lyon. Ouvrage largement méconnu et pourtant d’une qualité et d’une richesse peu communes, alternant moments spectaculaires et scènes plus intimes.
Dès les motifs de l’ouverture, la balance de l’orchestre sidère car si le compositeur a donné des couleurs particulières à sa partition avec une place prépondérante réservée aux cuivres et aux percussions, le chef obtient un engagement extrême qui ne verse jamais dans l’outrance ou la vulgarité. Dans ce cadre, les cordes et la petite harmonie font assaut de virtuosité. Ailleurs, les musiciens rivalisent de couleurs et dialoguent avec les personnages souvent inquiets de ce drame. Un lyrisme effusif qui sait aussi se montrer pudique, sensible, sans aucune surcharge.
Au fond du plateau, l’impeccable Chœur de la radio de Berlin sort de ses gonds pour des scènes d’un folklore vigoureux pour ensuite se transformer en formation orthodoxe avec la plus grande des ferveurs. Devant l’orchestre, les solistes disposent d’un espace trop réduit pour jouer le drame. Seul le Cosaque ivre coiffé d’une chapka d’Alexander Kravets intervient comme un intermède drolatique avant la terrible scène d’exécution du père de l’héroïne.
Mais droit devant son pupitre, le Kotchoubeï de Dmitry Ulyanov n’a besoin de rien pour dominer le plateau. Sa basse plutôt claire a une autorité stupéfiante jusque dans une colère homérique. Plus tard, en prison et face à l’horreur sur l’échafaud, le chanteur montre une intériorité bouleversante. Le baryton Vladimir Sulimsky impose l’ambivalence fondamentale de Mazeppa, entre domination violente et séduction tourmentée. Le souffle et le legato font merveille dans les monologues introspectifs. Son comparse Orlik a toute la veulerie attendue. La basse Dimitry Ivashchenko n’en sacrifie pour autant pas la beauté de son timbre.
Dans l’autre camp, Anton Rositsky en Iskra tire le maximum d’un rôle très court. En Andreï, l’ami d’enfance vainement amoureux de la soprano, le ténor Dmitry Golovin dispose de scènes très importantes dramatiquement. Le chanteur paraît plus âgé que son rival cosaque, ce qui nuit à la véracité dramaturgique. Sa ligne est solide, parfois tendue, mais le ténor trouve enfin des nuances vraiment touchantes dans l’agonie du III.
Côté dames, la déception est au rendez-vous. Disposant de moyens plus qu’honorables, Oksana Volkova ne fait rien du rôle bouleversant de la mère, Lioubov. La fille, Maria, tenue par Olga Peretyatko, donne l’impression de ne chanter que pour les micros de la captation, et peine à trouver sa place dans l’acoustique du Festspielhaus. Quant à l’interprète, elle paraît sur une réserve incompréhensible qui plombe les duos avec Mazeppa ou Lioubov. Lorsque tout s’éteint après tant de brutalité et que Petrenko dresse le plus délicat des tapis sonores, Peretyatko trouve les couleurs justes d’une berceuse pour l’éternité.
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Festpielhaus, Baden-Baden Le 12/11/2021 Thomas DESCHAMPS |
| Version de concert de Mazeppa de Tchaïkovski par l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Kirill Petrenko au Festspielhaus de Baden-Baden. | Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Mazeppa, opéra en trois actes (1884)
Livret du compositeur et de Viktor Bourénine d’après Pouchkine
Vladimir Sulimsky (Mazeppa)
Olga Peretyatko (Maria)
Dmitry Ulyanov (KotchoubeĂŻ)
Oksava Volkova (Lioubov)
Dmitry Golovnin (Andréï)
Dimitry Ivashchenko (Orlik)
Anton Rositskly (Iskra)
Alexander Kravets (le Cosaque ivre)
Runfunkchor Berlin
Berliner Philharmoniker
direction : Kirill Petrenko | |
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