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CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Julie de Boesmans dans une mise en scène de Silvia Costa et sous la direction d’Emilio Pomarico à l’Opéra de Dijon.
Cris et chuchotements
Avec un rare brio et une grande efficacité, la mise en scène de Silvia Costa concentre la dramaturgie de Julie du compositeur Philippe Boesmans, tout récemment disparu, au fil d'un troublant et oppressant album d'images. Le plateau et la fosse dirigée avec engagement par Emilio Pomarico viennent confirmer cette belle réussite.
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Inspiré de la pièce Mademoiselle Julie de Strindberg, l'opéra de Philippe Boesmans conjugue extrême brièveté du déroulement temporel et extrême brutalité du propos. Silvia Costa transpose ce drame à trois personnages dans un théâtre visuel et poétique, nourri d’un travail sur l’image comme moteur de réflexion. Cette ancienne collaboratrice de Romeo Castellucci parvient ici à un équilibre parfait qui supplante la version de la création par Luc Bondy au festival d'Aix 2005.
L'esthétique très géométrique multiplie les plans de coupe entre de hauts murs où règne un parfum d'étrangeté avec des apparitions oniriques dans des espaces latéraux, percés d'ouvertures oblongues, et des figurants comme le double de Jean sous les traits d'un acrobate masculin, suspendu tête en bas ou celui de Marie, dansant en épousant les gestes de la jeune aristocrate. L’infidélité commise, on sort de l'obscurité et la scène s'élargit en un large salon lumineux découpé en ombres chinoises. Le suicide de Marie est stylisé et combiné à l'image du suicide de Lucrèce tandis que le personnage se couvre le visage de cendres et qu'un simple fondu au noir fait office de conclusion.
Acérée et tranchante, la partition de Julie fonctionne en une intertextualité musique-livret qui projette sur les répliques une ombre portée particulièrement inquiétante, comme ses ornements-glissandi du violon solo qui ajoutent à la tension psychologique du personnage central. L'orchestre est réduit à dix-neuf instruments dont les interventions, souvent solistiques, forment une texture transparente et nerveuse autour des voix.
L'élégance et la précision de la battue d'Emilio Pomarico détachent dans l'espace sonore différents plans où interviennent des lignes mélodiques parfois orientalisantes. Cette musique richement référencée fait entendre le fantôme de Salomé qui croise ceux de Pelléas et Tristan, quand il ne s'agit pas tout simplement du Se vuol ballare des Noces de Figaro (cité littéralement par Strindberg).
Les interprètes restituent au plus près cette lutte et cette tension intérieures à commencer par Irene Roberts, qui dans le rôle-titre dessine, avec une matité de timbre et une belle maîtrise de phrasé, la fissure psychologique d'un personnage en perdition. Par le seul poids et la seule force des mots, elle sait rendre à l'affrontement qui l'oppose à l'amant devenu adversaire et bourreau, toute sa dimension métaphysique et inéluctable.
Dean Murphy possède l'aplomb, la netteté qui fait de Jean un personnage aux confins de la brutalité et du sadisme désabusé. Sa présence en scène rappelle le jeu de Dirk Bogarde et l'atmosphère malsaine et viciée de The Servant de Joseph Losey. L'interprétation de Lisa Mostin donne au personnage de Kristin un équilibre et une densité qui relaient parfaitement la tension générale et complètent de la plus belle façon ce spectacle de haute tenue.
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