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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Reprise d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction Semyon Bychkov à l’Opéra national de Paris.
L’émergence du monstre
La reprise d’Elektra de Richard Strauss dans la mise en scène trop lisse de Robert Carsen vaut largement le détour pour une distribution féminine de haut vol à l’instar de son héroïne portée magnifiquement par Christine Goerke, et une direction musicale de Semyon Bychkov qui transcende la soirée en libérant le monstre tapi dans cette musique.
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Près de neuf années ont passé depuis la première de la production réalisée par Robert Carsen. À l’époque, son travail avait été comparé (de manière négative) à celui de Patrice Chéreau qui venait de le précéder. Aujourd’hui, dégagée de ce voisinage immédiat, la mise en scène ne gagne pas davantage d’impact. L’immense fosse de terre battue sublimement anthracite de Michael Levine n’est pas qu’un piège à femmes, c’est aussi un piège à metteur en scène.
Carsen pour l’habiter multiplie les dédoublements d’Elektra qui de ce fait ne semble plus appartenir à la solitude des proscrits. Pour y résoudre le problème des déplacements, il chorégraphie avec son complice Philippe Giraudeau nombre de passages, au point qu’on se croirait à une soirée chic au théâtre d’Épidaure. Ce n’est pas le seul corps ensanglanté d’Agamemnon qui peut faire ressentir visuellement toute l’horreur de la pièce. Il revient donc au plateau et à la fosse de nous communiquer les enjeux de cet opéra coup de poing.
Nous avions laissé Christine Goerke à ses splendides Mozart des années 2000. Ce passage au monde straussien aurait sans doute ravi le compositeur d’Elektra. Il se fait au prix d’un certain vibrato et d’aigus évanouis mais il y a dans cette fille d’Agamemnon une maîtrise du souffle, une assise qui nous communique toute l’ampleur de ce destin maudit. Sa projection des mots n’entache pas une ligne majestueuse qui se mue en émotion grandissante à partir de la scène de la reconnaissance de son frère. Elle porte littéralement le poids de la tragédie jusqu’à l’ivresse de la fin qui annonce la fureur des Érinyes.
Remplaçant Elsa van den Heever souffrante, la Lituanienne Vida Miknevičiūtė offre en Chrysotémis un vibrato plus serré. Plus légère, elle se consume comme une torche vivante, ce n’est peut-être pas raisonnable mais l’effet en est saisissant. Angela Denoke dont la robe blanche confère au personnage un chic Art déco assez déplacé, n’est pas au même degré de fusion, mais sa Clytemnestre possède encore toute sa voix et une superbe prononciation. Du côté de la distribution masculine, le bonheur se résume à l’Égisthe toujours efficace de Gerhard Siegel. Tómas Tómasson bien chantant ne possède ni la qualité de timbre, ni le charisme d’Oreste.
Tel un monstre un peu lent à s’éveiller, semblant venir de temps immémoriaux, la direction de Semyon Bychkov enlève aux images leur esthétisme froid. Avec des mouvements larges, le chef communique aux musiciens et aux chanteurs une chaleur interprétative bienvenue. Il phrase long et l’orchestre répond puissamment avec un incroyable luxe de détails et une richesse de timbres affolante. C’est tout le côté inexorable du drame des Atrides qui sourd de cette fosse-là , et le piège se referme sur les personnages, laissant enfin Elektra seule, foudroyée.
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Opéra Bastille, Paris Le 13/05/2022 Thomas DESCHAMPS |
| Reprise d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction Semyon Bychkov à l’Opéra national de Paris. | Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, tragédie en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Semyon Bychkov
mise en scène : Robert Carsen
décors : Michael Levine
costumes : Vazul Matusz
Ă©clairages : Robert Carsen, Peter van Praet
chorégraphie : Philippe Giraudeau
Avec :
Christine Goerke (Elektra), Angela Denoke (Clytemnestre), Vida Miknevičiūtė (Chrysotémis), Gerhard Siegel (Égisthe), Tómas Tómasson (Oreste), Philippe Rouillon (le précepteur d’Oreste), Stéphanie Loris (la confidente), Marianne Croux (la porteuse de traine), Lucian Krasznec (un jeune serviteur), Christian Tréguier (un vieux serviteur). | |
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