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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Nouvelle production de La Juive d'Halévy dans une mise en scène de David Alden, sous la direction de Marc Minkowski au Grand Théâtre de Genève.
Le chant au sommet
La Juive de Fromental Halévy n'avait pas été donnée au Grand Théâtre de Genève depuis… 1926. Une injustice réparée par un plateau vocal dominé par l’Eléazar de John Osborn et la Rachel de Ruzan Mantashyan, dont l'excellence tranche avec la banalité de la direction de Marc Minkowski et la mise en scène grise et manichéenne de David Alden.
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Chef-d'œuvre du Grand opéra français, La Juive connut un succès foudroyant. Donné sans discontinuer jusqu'au début du XXe siècle, l'ouvrage inaugura l’Opéra Garnier en 1875. Tombé en disgrâce pour des raisons esthétiques et politiques, il aura fallu attendre longtemps pour revoir l’ouvrage sur scène. Les récentes productions d'Olivier Py (Lyon, 2016) et surtout Konwitschny (Anvers, 2015) ont permis de vérifier que l’ouvrage se plie bien aux lectures contemporaines.
Surlignant les intentions, la mise en scène de David Alden passe à côté du sujet. Les cinq actes se traînent dans une scénographie faite de hauts pans de murs manipulés à vue sur lesquels les éclairages découpent des contrastes géométriques. On passe d'un espace vide au palais d'Eudoxie façon théâtre aristocratique à la prison d'Eléazar avec bûcher amovible.
Le manichéisme joue à plein dans cette façon de désigner avec masques et maquillages démoniaques, les méchants chrétiens agitant leurs bibles et leurs crucifix pour se protéger des juifs. L'irruption d'une croix géante sert sans surprise de leimotiv, écrasant des israélites qui rampent à même le sol, puis dévorée par les flammes de l'enfer qu'on leur promet.
Peu d'épaisseur également dans une direction d'acteurs à l'étiage et des mouvements de foule alternant convulsions et tournoiements en guise de commentaires muets pendant les dialogues. Que dire enfin de cet orgue géant, symbole écrasant des principes d'une foi dictatoriale ou cet embarrassant bûcher dont les cendres rappellent le martyre de Jean Hus et Jérôme de Prague à l'issue du concile de Constance ?
Vocalement, le temps est au beau fixe, avec des interprètes maîtrisant le français avec style. Ruzan Mantashyan est une Rachel tellurique et sensible. La voix est pleine et parfaitement projetée, avec des élans et un phrasé d'une parfaite élégance. Au même niveau, on trouve Elena Tsallagova dessinant une Princesse Eudoxie sous l'emprise d'une candeur amoureuse. La ligne est tenue, avec des agilités d'une souplesse admirable. Ioan Hotea est un Leopold solide, assis sur un bel ambitus, malgré quelques aigus dont la dureté trahit l'effort.
La belle émission du Brogni de Dmitry Ulyanov mériterait davantage de densité dans le grave. La palme revient donc à John Osborn, qui fait ses premiers pas dans le rôle redoutable d'Eléazar. La brillance du timbre se marie à l'aisance de la projection, avec une capacité à placer l'essentiel dans les derniers moments pour emporter l'enthousiasme avec un Rachel, quand du Seigneur d'anthologie.
Le chœur du Grand Théâtre manque parfois de cohésion dans la mise en place, peu inspiré par la battue assez banale de Marc Minkowski dont le geste allusif ne permet pas d'élever la partition au-delà de l’acceptable. À la grisaille des cordes se mêlent des cuivres sans mordant et une ligne générale qui peine à dégager énergie et couleurs.
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