Pas de baguette pour Bianca Chillemi, mais un piano d'où elle dirige avec maîtrise et imagination les quatre chanteurs solistes et les instrumentistes de l'Ensemble Maja. Le programme explore la voix comme vecteur de discours, d'émotions, d'états d'âme, sans jamais passer par la juxtaposition sémantique. Ainsi, ces diverses déstructurations du langage embarquent l'auditeur au pays du nonsense et de l'absurde.

Le compositeur Januibe Tejera dresse le portrait de Photographies à trois au travers d'une composition fondée sur des idiomes instrumentaux (glissandi, trémolos, sons tenus) traités vocalement par trois chanteurs et prolongés par des atmosphères mystérieuses, toujours sur le fil. Les musiciens transmettent parfaitement cette tension, entre retenue et théâtralité, issue de la rencontre de timbres rauques, secs, étouffés ou en harmoniques.

Avec l'Akrostichon-Wortspiel d'Unsuk-Chin, le programme entre dans l'univers du jeu de mots porté par la voix aérienne et souple de la soprano Sophia Körber, aussi à l'aise dans la tonalité que la microtonalité. La compositrice sud-coréenne y déploie des ambiances sonores nourries particulièrement captivantes, enchantées par l'Ensemble Maja qui transportent dans le monde des contes de fées.

Anthos d'Artur Akshelyan offre ensuite la plus belle surprise de ce concert. Œuvre inventive aux sonorités intrigantes, elle fait intervenir un motif rythmé, plein de groove duquel s'échappent par effet de résonance de nouveaux passages, plus paisibles. Autant de nouvelles lumières, évocatrices et savamment orchestrées, qui éclairent l'ánthos (la fleur) pour la faire éclore.

Pour les Aventures et Nouvelles Aventures de György Ligeti, oublions les habituelles feuilles blanches froissées par les percussionnistes, car l'Ensemble exploite avec humour et modernité les propriétés latentes de la partition : ce n’est donc plus une page vierge, mais par exemple une photo de chaton qu’on déchire, tandis qu’on frappe par ailleurs violemment un meuble d'appoint en plein milieu de la scène.

Les sopranos et mezzo-soprano Anne-Laure Hulin et Romie Estèves, tout comme le baryton Igor Bouin, interprètent parfaitement les rôles écrits par le compositeur hongrois, tandis que les instrumentistes prennent eux-aussi part, et c'est là la grande réussite du petit ensemble, à ce théâtre musical. Leurs déplacements en slow motion, pour aussi se figer totalement ou s'épouvanter d'un terrible danger, participent également à cette interprétation cohérente et revigorante, qui donne envie de réentendre l’Ensemble Maja au plus vite !