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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 décembre 2024 |
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Création mondiale du Voyage vers l'Espoir de Christian Jost dans une mise en scène de Kornél Mundruczó et sous la direction de Gabriel Feltz au Grand Théâtre de Genève.
Sans espoir ?
Annulée pour raison de COVID, la création mondiale de Voyage vers l'espoir voit enfin le jour, mise en scène par Kornél Mundruczó d'après un film de Xavier Koller et une musique de Christian Jost. Ce spectacle fort et prenant tient à la justesse de ses interprètes (Kartal Karagedik et Rihab Chaieb) ainsi qu'à la direction acérée de Gabriel Feltz.
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Ce Voyage vers l'espoir est à l'origine un film du réalisateur Xavier Koller (Reise der Hoffnung) primé aux Oscar il y a trente ans. Le sujet est d'une brûlante actualité : l'exil d'une famille kurde abandonnant ses terres pour rejoindre la Suisse où elle espère trouver le paradis sur Terre. Programmé durant les deux dernières saisons au Grand Théâtre avec L'Affaire Makropoulos et Sleepless, le metteur en scène Kornél Mundruczó réalise une adaptation scénique du film, sur une musique de Christian Jost.
Contournant l'écueil qui aurait pu faire disparaître le spectacle derrière un consensus moraliste et bien-pensant, la ligne directrice de Mundruczó développe une approche qui affronte la thématique de la migration avec des références visuelles inspirées d'un puissant réalisme. L'enchaînement des décors et des projections vidéo donne à voir dans les références à des espaces aussi tristes et banals que des toilettes dans un hall de gare, un quotidien où la mise à nu des émotions traduit l'éloignement moral de nos sociétés.
Le réalisateur signe également ce décor tournant admirablement mis en valeur par les éclairages, qui isolent aussi bien le cadre intimiste d'une cabine de camion ou d'un comptoir de bar qu'un paysage de haute montagne et le sentier perdu sur lequel l'enfant perd la vie. La dramaturgie respecte la trame d'origine opérant, après la mort du fils, un retour à la froide réalité de l'arrestation de la famille et l'audition du père. Malgré l'allusion aux hallucinations qui précèdent la mort du fils, Mundruczó refuse tout onirisme, préférant laisser la morale de l'espoir au spectateur laissé seul face à cette conclusion brutale où le père est incarcéré dans l'attente d'un procès.
Le compositeur allemand Christian Jost opte pour une matière où les nappes de cordes dissonantes se mêlent parfois à des envolées lyriques desquelles émergent un solo de trompette jazz. Cette musique essentiellement visuelle et dramatique développe efficacement une échelle narrative où l'effusion ne déborde pas la radicalité du propos, comme le suggère brillamment la direction à la fois acérée et très fluide de Gabriel Feltz.
Le plateau est dominé par le baryton turc Kartal Karagedik dans le rôle d'Haydar et la soprano Rihab Chaieb dans celui de Meryem, père et mère du petit Ali – chanté ce soir par le jeune George Birkbeck, touchant d'innocence et de candeur. Le premier offre au rôle un phrasé d'une lisibilité et d'une intensité remarquables, la seconde parfaite de crédibilité et d'émotion dans la façon de camper la douleur de la mère face à une décision aux conséquences funestes.
L'ensemble des seconds rôles mérite attention, à commencer par Mafteo Ivan Thirion en chauffeur routier déchiré entre la crainte et l'obligation morale, Haci Baba Denzil Delaere et Omar Mancini, tous deux sinistres en mafieux et paysan cupide, sans oublier Julieth Lozano en Doctoresse, seul vrai rayon de soleil dans un horizon décidément sans espoir.
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