En écho immédiat avec L'Opéra de quat'sous qui ouvrait cette édition d’Aix, le compositeur Philip Venables et le metteur en scène Ted Huffman portent le vent de la contestation queer avec un spectacle inspiré du best-seller de Larry Mitchell : The Faggots & Their Friends Between Revolutions. Paru en 1977 dans la perspective des émeutes de Stonewall qui avaient marquées le soulèvement des communautés LGBT et la lutte pour leurs droits, l'ouvrage est porté à la scène sous forme d'un théâtre musical animé par une quinze artistes qui revendiquent la multiplicité des voix queer.

Cette troisième collaboration intervient après un très remarqué 4.48 Psychose et Denis & Katya, inspiré par la fuite amoureuse et la mort de deux ados russes en 2015. The Faggots renouvelle le message militant par une approche éminemment collective portée par une troupe de jeunes artistes venus d'horizons très variés comme le théâtre, la danse, le chant lyrique, le jazz…

On est ici entre opéra et cabaret, dans une atmosphère du Greenwich Village des années 1970, autour d'une utopie racontant le vivre ensemble. La connotation négative du terme faggots (pédé en français) est totalement assumée. Ce n'est pas une insulte mais un terme réapproprié tel un cri de révolte. Usant de la provocation comme arme de revendication, le spectacle montre comment la société doit accepter les queer sans qu'ils aient à s'excuser. C'est en somme l'histoire de leur libération et en retour, la libération de l'Humanité par les mêmes faggots.

Cette allégorie raconte l'histoire de Ramrod, leur ville, qui connaît trois vagues successives de révolutions : la dévastation du patriarcat, la révolution douce des faggots et les luttes à venir. L'opéra dépeint le monde comme une totalité organique en proie aux forces destructrices du capitalisme, du patriarcat, du racisme et de l'écocide. Les formes d'expression et les langages musicaux sont placés explicitement sur le mode ludique, au prix d'une certaine naïveté et d’une candeur qui ne sont pas sans rappeler les codes d'un spectacle amateur.

On chante, on danse, on joue dans un joyeux chahut sans hiérarchie aucune comme en témoigne la présence très discrète de la cheffe Yshani Perinpanayagam – elle-même chanteuse et actrice parmi les autres. La partition est sans prétention aucune, passant d'emprunts à la musique folk et au baroque, donnant à entendre de gentilles ritournelles et un matériau musical souvent à la lisière de l'improvisation.

On note la présence très forte des deux interprètes transgenres Kit Green et Katherine Goforth, la première assurant la partie narrative à proprement parler et la seconde jouant vocalement sur l'ambiguïté de son timbre pour imposer une incarnation de premier plan. La touche baroque est apportée par le luth de Kerry Bursey et la viole de Jacob Garside tandis que le violon de Conor Gricmanis fait la liaison entre les styles anciens et modernes. Les voix de Deepa Johnny et Mariamielle Lamagat dialoguent de belle manière avec celles des artistes multidisciplinaires Meriel Price et Collin Shay, avec la pulsation chorégraphique de la comédienne Yandass qui donne de la voix et du cœur à cette soirée.