Programmé par la B!ME (Biennale des musiques exploratoires) et le GRAME (Générateur de Ressources et d’Activités Musicales Exploratoires), l'opéra Otages de Sebastian Rivas bénéficie d'un éclairage médiatique privilégié en figurant également au programme du festival que donne en même temps l'Opéra de Lyon. À l'origine du projet, il y la version théâtrale du roman éponyme paru en 2015 de Nina Bouraoui, racontant comment la vie ordinaire de Sylvie Meyer bascule dans une dérive et un geste fou.

Sur fond de crise économique contraignant les rapports entre hommes et femmes à un conflit sexiste et professionnel, l'opéra Rivas développe des codes hérités d'un théâtre social avec un traitement minimal du matériau musical et dramaturgique. Son héroïne est une anonyme employée dans une entreprise de caoutchouc au nom évocateur de CAGEX.

D'emblĂ©e, on la dĂ©couvre face Ă  un inspecteur de police, Ă©nonçant d'une façon motorique : « j'ai 53 ans, mère de deux enfants, sans antĂ©cĂ©dent judiciaire, mon mari m'a quittĂ©e etc. Â» comme pour dĂ©crire une situation qui ne laisse rien prĂ©voir d'une issue qu'on dĂ©couvre a posteriori quand apparaissent les images de son patron, ligotĂ© sur une chaise tandis qu'elle laisse tomber au sol le couteau avec lequel elle le menaçait.

La mise en scène de Richard Brunel joue sur une ligne très épurée avec de subtiles séquences vidéo signées Yann Philippe, parfois saisies en direct ou bien avec de micro décalages et qui plongent le spectateur dans un profond malaise face à la vie de cette femme soumise à la pression du quotidien et qui finit par perdre le contrôle. À mi-chemin entre documentaire et théâtre, Otages présente par son titre et son argument le contexte quasi carcéral de cette existence dont la banalité devient une charge qu'il faut tenter de briser.

La mezzo-soprano Nicola Beller-Carbone donne à son personnage une incarnation vraiment touchante, construite sur une écriture où le langage parlé prend l'essentiel de l'espace expressif et limite le chant à des moments de tension extrême comme si la voix tentait de lutter pour pouvoir s'épanouir. Cadrée de face par l'objectif de la caméra, elle témoigne d'une lente descente aux enfers qu'on suit narrativement en remontant vers le geste de l'agression envers le patron harceleur.

Tour à tour mari, patron et policier, Ivan Ludlow dessine un personnage dont la masculinité sert de cadre général à la dramaturgie. Les décors de Stephan Zimmerli sont les mêmes que ceux qui avaient déjà servi pour la création de la pièce au Théâtre du Point-du-Jour en 2019, dissimulant le petit effectif instrumental à l'arrière-scène. La direction très vigoureuse de Rut Schereiner est relayée par une lutherie électronique qui donne un fond expressif à la fois tenace et lancinant, imprimant une tension psychologique au jeu des personnages.