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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Saint François d’Assise de Messiaen dans une mise en scène d’Adel Abdessemed et sous la direction de Jonathan Nott au Grand Théâtre de Genève.
Messiaen en antichambre
Pour sa première apparition à Genève, Saint François bénéficie d’une mise en images évocatrice et œcuménique, qui doit lutter toute la soirée contre un choix fatal à l’unique opéra de Messiaen : faire jouer l’orchestre en fond de scène. Un principe qui annihile la puissance d’écriture d’une partition synthétique de tout l’art du compositeur.
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Quelle mouche a piqué les artisans de cette entrée au répertoire de Saint François d’Assise au Grand Théâtre de Genève ? Le risque était majeur de dévitaliser l’opéra-somme d’Olivier Messiaen en plaçant les instrumentistes (et les chœurs) tout en fond de scène, le plus souvent derrière les éléments de décor. Le résultat est sans appel : l’impact de l’orchestre, principal moteur des Scènes Franciscaines, est réduit à peau de chagrin.
Toute la soirée durant, l’Orchestre de la Suisse romande donne l’impression de jouer dans la pièce à côté, au détriment de la profusion, des effets de masse, de la richesse coloriste d’une partition ramenée à cinquante nuances de gris, un sentiment que la direction aussi fluide que molle de Jonathan Nott ne risque pas de contredire. L’Ange qui frappe à la porte, la brutalité des scansions des Stigmates, tout parvient à l’oreille amputé de moitié.
L’accompagnement par les tenues de cordes du concert de l’Ange aux ondes Martenot est même totalement imperceptible derrière le bruit de fond du Grand Théâtre. Cette sonorité impressionniste, éthérée pendant quatre heures, frôle le contresens. Les seuls à en tirer bénéfice sont les chanteurs, qui butent davantage sur des voyelles fautives et un déficit de culture hexagonale que sur l’intelligibilité à proprement parler.
Le rôle-titre, confié au solide Robin Adams, manque donc avant tout d’intériorité et d’onction. Fragilisé par d’exotiques « r » rugissants, ce François très en voix reste assez prosaïque. Le ténor bien caractérisé d’Aleš Briscein en Lépreux bute sur les mêmes approximations phonétiques que le Frère Massée irradiant de Jason Bridges. L’Ange de Claire de Sévigné, sans consonnes au I, déploie ses ailes et des mouvements pleins de grâce au II, où sa jolie matière se double de déclamation, dans des nuances toujours raffinées.
Cette production laissera surtout dans la mémoire les belles images d’Adel Abdessemed, plasticien franco-algérien qui délimite clairement les huit tableaux avec tombers de rideau et précipités. L’artiste, qui conçoit les frères mineurs comme itinérants, couverts de babioles électroniques, élargit le champ spirituel aux principaux monothéismes – des étoiles de David sur d’immenses assiettes de cuivre ciselé accueillant des vidéos côtoient un dromadaire… peut-être plus près de passer par le chas d’une aiguille qu’un riche de pénétrer le royaume de Dieu.
Un gigantesque pigeon blessé, jonché sur un monticule d’œufs et de pommes, saint François prêchant en lévitation, le Lépreux couvert de sacs plastique telle une baleine échouée sur une grève, qui une fois guéri se prend à rêver des bienfaits d’un hammam sur la peau, et l’évocation de l’évolution, même répétitive ou inégale, des arts premiers à la robotique, ouvrent l’imaginaire sans violenter la musique.
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Grand Théâtre, Genève Le 11/04/2024 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Saint François d’Assise de Messiaen dans une mise en scène d’Adel Abdessemed et sous la direction de Jonathan Nott au Grand Théâtre de Genève. | Olivier Messiaen (1908-1992)
Saint François d’Assise, Scènes Franciscaines en trois actes et huit tableaux (1983)
Livret du compositeur
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Chœur Le Motet de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction : Jonathan Nott
mise en scène, décors, costumes, vidéo : Adel Abdessemed
Ă©clairages : Jean Kalman
préparation des chœurs : Mark Biggins
Avec :
Robin Adams (Saint François), Claire de Sévigné (l’Ange), Aleš Briscein (Le Lépreux), Kartal Karagedik (Frère Léon), Jason Bridges (Frère Massée), Omar Mancini (Frère Élie), William Meinert (Frère Bernard), Joé Bertili (Frère Sylvestre), Anas Séguin (Frère Ruffin). | |
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