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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Wozzeck de Berg dans une mise en scène de Richard Brunel, sous la direction de Daniele Rustioni à l’Opéra de Lyon.
Wozzeck chez Big Brother
L’univers dystopique sous surveillance généralisée du Wozzeck présenté en ouverture de saison de l’Opéra de Lyon ne fait pas long feu, entamé par une réalisation approximative qui s’essouffle. De la même manière, Daniele Rustioni présente une lecture déroutante de l’opéra de Berg, face à une distribution d’une très belle homogénéité.
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L’émotion au dépourvu
1001 nuances harmoniques
Complicité artistique
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Wozzeck en dehors de sa garnison, on a déjà connu. On se souvient même, chez Bieito, des bas-fonds d’une usine chimique. Privé de son humus, l’ouvrage présente le risque de boiter, mais la pertinence, la puissance d’une idée force peuvent valider une transposition. En ouverture de saison lyonnaise, Richard Brunel déroule les quatre-vingt-dix minutes de l’opéra de Berg dans l’intérieur glacial d’un centre d’expérimentation.
Ce n’est plus seulement sur le rôle-titre que le Docteur pratique ses expériences, mais sur toute la population de ce bunker sous haute surveillance, au-dessus duquel rôde une immense et inquisitrice lampe d’interrogatoire. D’où une multiplication de scènes de groupe affaiblissant la succession de tête-à -tête du barbier-soldat avec ses tortionnaires. Le concept finit vite par tourner en rond en raison des approximations qui s’accumulent au fil de la représentation.
Opposer à Marie dans sa lecture sacrée un Pasteur lui tendant par trois fois une Bible affaiblit considérablement le geste naturel du personnage cherchant l’absolution, faire le choix d’un Enfant pré-adolescent ne tient pas longtemps face à un personnage promenant partout sa peluche. Et surtout, comment croire un instant que ce gamin sans cesse dans l’interaction avec sa mère ne se rende pas compte que ses parents sont morts dans la cuisine – idée empruntée à Tcherniakov – ?
On reste aussi gêné par une direction d’acteurs relâchée – Wozzeck déplaçant le cadavre d’une Marie qui fait son possible pour alléger son poids –, et par cette forme d’imperméabilité à la musique voulant que Wozzeck fasse du bruit avec sa chaise et le rideau de sa chambre dans le silence précédant le meurtre, ou encore l’ultime intervention des enfants, hors scène, purement et simplement niée.
Dans la fosse, Daniele Rustioni procède par éclaboussures, par gerbes de violence calquées sur les coups de fouet de l’opéra italien, expédiant certaines pages, traînant dans d’autres, cherchant toujours en vain le bon tempo, et structurant indistinctement les masses orchestrales de Berg en noyant la moitié de sa riche polyphonie au bénéfice de coups de projecteur sur des détails.
C’est finalement la distribution, d’une remarquable homogénéité, qui crée le ciment du spectacle. Même si Ambur Braid abuse un peu de l’éclat de son aigu, sa Marie est bien au croisement de la mauvaise fille et de la mère sincère. L’Andrès de Robert Lewis affiche un troisième registre décomplexé, d’une incandescence grisante dans la scène de la taverne, aussi héroïque que le Tambour-Major de Robert Watson.
Aucune réserve sur le Docteur de Thomas Faulkner, parfaitement déclamé et géré dans ses écarts de registre, jamais en défaut ni dans le grave ni dans l’aigu, face au Capitaine corsé de Thomas Ebenstein, qui favorise un vrai falsetto dans les saillies insensées du personnage. Sommet enfin avec le Wozzeck de Stéphane Degout, d’une étoffe considérable, d’un allemand impeccable – son bouleversant Adies –, aux intuitions très justes dans l’alternance entre chant et Sprechgesang.
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Opéra national, Lyon Le 06/10/2024 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Wozzeck de Berg dans une mise en scène de Richard Brunel, sous la direction de Daniele Rustioni à l’Opéra de Lyon. | Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck, opéra en trois actes et quinze scènes (1925)
Livret du compositeur d’après la pièce de Büchner
Maîtrise, Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon
direction : Daniele Rustioni
mise en scène : Richard Brunel
scénographie : Étienne Pluss
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Laurent Castaingt
préparation des chœurs : Benedict Kearns
Avec :
Stéphane Degout (Wozzeck), Ambur Braid (Marie), Robert Watson (Le Tambour-Major), Thomas Ebenstein (Le Capitaine), Thomas Faulkner (Le Docteur), Robert Lewis (Andrès), Jenny Anne Flory (Margret), Hugo Santos (Premier apprenti), Alexander de Jong (Second apprenti), Filipp Varik (L’Idiot). | |
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