La dramaturge Tiphaine Raffier fait ses grands débuts à l'opéra après un parcours très remarqué dans le monde du théâtre aux côtés du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur avec Julien Gosselin et désormais à la tête de sa propre compagnie La femme coupée en deux.

Sa mise en scène des Dialogues des Carmélites est une vraie réussite, replaçant le livret de Bernanos dans un écrin de citations et d'extraits de discours ou textes emblématiques de la Révolution et de la Terreur en particulier. Blanche de la Force est le témoin et le personnage central pris dans les rets de ce tourbillon de l'Histoire, avec comme métaphore ce regard apeuré en très gros plan et en quadrichromie sur la photo qui sert de rideau de scène.

On suit le destin de ce personnage, depuis sa chambre d'adolescente aux murs recouverts de tableaux et d'images mystiques, jusqu'à la bouleversante dernière scène. Tiphaine Raffier donne à voir de cette foi dévorante des images aussi naïves que touchantes, ne cédant jamais à la tentation de moraliser outre mesure le destin de cette jeune fille de bonne famille, en cardigan rose bonbon qui n'hésite pas à se jeter face contre terre aux pieds de Madame de Croissy tandis que les vidéos déroulent ses fantasmes de Jeanne d'Arc sauvant la France.

Le décor d'Hélène Jourdan montre au Troisième tableau l'image réaliste et sans concession d'un couvent où les tâches ménagères les plus humiliantes participent du sacerdoce, avec l'hallucinante et brutale mort de Madame de Croissy comme point culminant de la vérité de cette foi. Ni la morsure de la discipline, ni le lent déclin vers la mort ne détournent Blanche de son destin, puisant dans l'eau qui recouvre la scène au moment où s'abat une guillotine réduite au son de la lame qui foudroie une à une les carmélites, pour se baptiser elle-même et subir le martyre.

Hélène Carpentier signe une interprétation très prometteuse de Blanche de la Force, à la fois riche d'engagement et de projection mais encore trop corsetée de timbre quand on mesure le contraste qui la sépare de l'exceptionnelle matière vocale de Lucile Richardot en Madame de Croissy. Emy Gazeilles signe une Constance volubile autant que touchante tandis qu’Axelle Fanyo en Madame Lidoine comprime son instrument et passe en force. Eugénie Joneau a tous les atours expressifs d'une Mère Marie redoutable autant qu'inflexible.

Côté messieurs, on doit se contenter d'un Jean-Fernand Setti insuffisant en Marquis de la Force tandis que Julien Henric déçoit sur la durée en Chevalier de la Force. Seul François Rougier réunit les qualités de jeu et de chant qui font de son aumônier un personnage parfaitement dessiné.

La direction de Ben Glassberg donne à l'ensemble un élan et un volume absolument remarquables, puisant dans les belles ressources de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie un impact et une densité qui achèvent de sublimer une production qui fera date et qu'on a déjà hâte de retrouver la saison prochaine à l'Opéra de Lorraine.