












|
 |
CRITIQUES DE CONCERTS |
19 avril 2025 |
 |
Récital du pianiste Benjamin Grosvenor dans le cadre des Concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Au pays des songes
Dans le cadre de la cinquantième et dernière saison des Concerts du dimanche matin de Jeanine Roze, Benjamin Grosvenor offre un récital d’une nouvelle maturité où son art de conteur créé un kaléidoscope d’émotions au-delà des effets pyrotechniques. Ravel et Moussorgski y trouvent des résonnances troublantes infiniment poétiques.
|
 |
Turandot seule, perdue, abandonnée
Mithridate phtalocyanine
Difficile équilibre
[ Tous les concerts ]
|
Les premières notes du thème de l’Ondine de Gaspard de la nuit de Ravel sonnent comme énoncées par un enfant. Ce prosaïsme juvénile peut surprendre celui qui attend des sons immatériels. Grosvenor pose ici une approche renouvelée par rapport à celle captée dans son premier disque Decca il y a déjà près de quatorze ans. Le décor frémissant et fluide reste présent, d’une technique souveraine dans la gestion du son mais le pianiste nous fait entendre l’interprétation libre des poèmes d’Aloysius Bertrand comme un conte.
Sa stupéfiante palette de couleurs se met au service des seules émotions. Le Gibet, hypnotique, reproduit la trouble fascination pour le morbide. Le renouvellement des attaques offre à chaque fois un angle nouveau dans la répétition inéluctable. Dans Scarbo, le pianiste dépasse largement les difficultés techniques et cultive la rage des dissonances. Là encore la recherche de sonorités finement nuancées par un ambitus dynamique qui n’écrase jamais le son se fait au service des impressions entre épouvante et attrait pour la nécromancie. Au fond, Grosvenor refuse le pittoresque pour se concentrer sur le fond.
Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski qui suivent ne font que confirmer cette approche. La longueur du son marque dès l’énoncé de la première Promenade où l’on retrouve d’abord la même ingénuité non feinte qu’au début du récital. Gnomus surgit, effrayant, Le Vieux château distille sa mélancolie mais au gré des différents tableaux, ce sont moins les images que les sensations que le pianiste anglais fait entendre. Ainsi, nous voilà enfants riant du Ballet des poussins dans leurs coques ou pris du vertige devant les Catacombes, avant d’entendre littéralement l’expression de notre épouvante devant Baba Yagà .
Cette narration de nos rêves et cauchemars débouche sur une Grande porte de Kiev formant une et bouleversante sublime conclusion polyphonique exposant comme rarement ses racines russes profondes. En bis, Grosvenor joue d’abord le Prélude en si mineur de Siloti d’après Bach. La main droite semble l’exact reflet des battements d’un cœur tandis que la gauche émerveille par son legato. Enfin, Jeux d’eau de Ravel permet de revenir à l’élément liquide dans un jeu de lumières confondant où la virtuosité s’évanouit comme un songe.
|  | |

|
Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 09/02/2025 Thomas DESCHAMPS |
 | Récital du pianiste Benjamin Grosvenor dans le cadre des Concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Maurice Ravel (1875-1937)
Gaspard de la nuit (1908)
Modest Moussorgski (1839-1881)
Tableaux d’une exposition (1874)
Benjamin Grosvenor, piano |  |
|  |
|  |  |
|