|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
|
Reprise du nouveau Così fan tutte mis en scène par Ursel et Karl-Ernst Hermann au festival de Salzbourg 2004.
Salzbourg 2004 (3) :
l'Ecole des amants à l'heure de la réforme
Nicola Ulivieri (Guglielmo), Saimir Pirgu (Ferrando), Tamar Iveri (Fiordiligi) et Elina Garanca (Dorabella).
Pour cette reprise du nouveau Così présenté par les époux Hermann en avril dernier, l'affiche a été entièrement renouvelée, au profit d'artistes beaucoup moins connus mais tout aussi performants, sinon plus. De quoi ressortir du Grosses Festspielhaus toujours titillé par une réforme scénique du chef-d'oeuvre de Mozart et ravi par une prestation musicale admirable.
|
|
Wozzeck chez Big Brother
Morne dissection
L’art de célébrer
[ Tous les concerts ]
|
Dans le nouveau Così de Salzbourg, le pari des metteurs en scène berlinois Ursel et Karl-Ernst Hermann est d'imaginer que les filles surprennent les garçons lorsqu'ils décident d'éprouver leur fidélité. Voilà les dés pipés, et l'épreuve pourrait dès lors sembler perdue d'avance. Seulement voilà , c'est l'amour qui tire les ficelles, et les filles se prennent au jeu. Mieux, elles réalisent que leur inclination n'est pas pour celui qu'on croit. Idée ingénieuse, au risque pour les metteurs en scène de se prendre les pieds dans le tapis aux entournures pendant les trois heures que dure le dernier Dramma giocoso mozartien.
Dans un premier temps, cela fonctionne, on est aux aguets, et on apprécie l'astuce et l'invention dont font preuve les Hermann : une Dorabella rouée jusqu'à la moelle, qui goûte en douce le faux poison avec un air hilare, un air de Ferrando d'ordinaire anodin, ici crucial pour le déroulement du drame. Et même si les éclats de rire en tapinois des filles devant les déguisements ou situations trop cocasses perturbent un peu la très belle émotion qui s'installe peu à peu, du moins ménagent-ils un Finale grisant et ouvert. La mise en scène est servie de surcroît par une belle scénographie, très « plaisance », avec forêts à la Watteau, ambiance déjeuner sur l'herbe, allées et ombrelles blanches, volées de feuilles mortes, et par une direction d'acteurs exploitant habilement un cadre de scène beaucoup trop grand.
Malheureusement, le deuxième acte est plus laborieux, et la dramaturgie ne vient pas à bout de certaines ambiguïtés inévitables lorsque le livret contrecarre trop ouvertement le parti-pris du complot éventé : comment ces demoiselles peuvent-elles, par exemple, s'inquiéter de la mort possible de leurs amoureux au champ de bataille quand elles sont seules et n'ont pas à jouer la comédie ? Le rythme s'essouffle – mais l'opéra, il est vrai, est un peu écrit de cette manière – et de belles images ne suffisent plus à habiter le drame. Le dénouement fait la part belle au non-dit et la culpabilité des filles pour un motif qui échappe aux garçons promet d'être lourde à porter. Beethoven trouvait le livret immoral ; ainsi détourné par les Hermann, Così devient en effet une bien peu recommandable « Ecole des amants ».
Une magnifique distribution
Et pourtant, on ne peut que se laisser convaincre par de tels amants, Salzbourg ayant rarement offert à Mozart aussi magnifique et homogène distribution ces dernières années. Les timbres se mêlent à merveille, que ce soit dans les couples légitimes ou illégitimes, ou à l'intérieur du même sexe. Là où le festival de Pâques alignait des stars, le festival d'été propose un quatuor de jeunes chanteurs quasi inconnus mais tout aussi admirables.
Tamar Iveri est une Fiordiligi au timbre plutôt sombre, très proche de celui de sa soeurette, bénéficiant d'une belle accroche, d'une voix de poitrine idéalement dosée et de vocalises impeccables ; Elina Garanca une Dorabella fofolle et débauchée à l'émission sensuelle, large et très charnue. Saimir Pirgu, du haut de ses vingt-deux ans, est la révélation de ce Così, une vraie voix de bel cantiste au magnifique timbre jeune et clair, à l'aigu facile et idéalement placé, à la demi-teinte prometteuse. Et le timbre s'harmonise lui aussi parfaitement avec celui de Nicola Ulivieri, Guglielmo latin et très mâle. Cerise sur le gâteau, la Despina mutine et vocalement intacte d'Helen Donath, impressionnante d'abattage et de musicalité, et le Don Alfonso de luxe de Thomas Allen, grand Guglielmo d'antan qui n'a rien perdu de sa superbe.
Des vents comme éclairés à la bougie
Pour accompagner ce beau monde, un Orchestre philharmonique de Vienne en état de grâce, conduit par la baguette légère comme la plume du tout jeune Philippe Jordan dans une lecture éminemment chambriste, rehaussée par un pupitre de vents intime et lumineux, comme éclairé à la bougie – duo avec choeur au II. Le chef de l'Opéra de Graz suit ses chanteurs avec un art consommé et veille en permanence à ne pas les couvrir. Et même si certains de ses tempi peuvent prêter à discussion – un Soave sia il vento trop pressé, sans abandon – ou si une précaution excessive à ne pas écraser les finales trahit encore un léger manque de naturel, la seule vraie réserve musicale de ce Così est une synchronisation plateau-fosse souvent défaillante dans les ensembles en raison de l'éparpillement des chanteurs en des endroits très éloignés de la scène.
Così n'a rien à faire dans l'étendue démesurée du Grosses Festspielhaus, et regagnera la salle qu'il n'aurait jamais dû quitter, le Kleines Festspielhaus, dès les travaux de rénovation achevés en 2006.
| | |
| | |
|