Dans la salle Louis Jouvet de Chatou, puis au Théâtre municipal de Fontainebleau, Incidence Chorégraphique a une fois encore apporté sa note d’enthousiasme, de talent et de créativité. On connaît l’étonnante polyvalence qu’a aujourd’hui acquise le Ballet de l’Opéra, capable de danser aussi bien les grands classiques que les plus contemporains.

Ce qui frappe d’abord dans le travail de ces danseurs est la manière dont on voit dans les créations proposées comment s’effectue chez eux l’osmose entre la formation traditionnelle qu’ils ont reçue, les valeurs académiques qu’ils défendent au plus haut niveau et le contact quasi permanent qu’ils ont avec les chorégraphes souvent les plus avant-gardistes de l’époque. On se dit que le travail qu’ils proposent est peut-être finalement ce qui incarne le mieux le néoclassicisme du XXI^e siècle, intelligente fusion entre les traditions ancestrales et une avant-garde en folie trop soumise aux dictats passagers de la mode.

Il y a de toutes manières une bien rassĂ©rĂ©nante sincĂ©ritĂ© dans ce qu’ils font, presque exceptionnelle dans le monde de la crĂ©ation oĂą, Ă  quelques exceptions près, dominent le goĂ»t de la provocation et la pratique d’un intellectualisme abscons masquant le plus souvent une absence d’idĂ©es comme de talent et s’abritant derrière le vieux terrorisme : « Si vous n’aimez pas et ne comprenez pas, c’est que vous ĂŞtes ringard Â».

La soirée commence par une sorte d’affirmation de ce que ces artistes savent faire, de ce à quoi ils ont été entraînés depuis l’enfance, avec le pas de deux du balcon extrait du Roméo et Juliette de Prokofiev dans la chorégraphie créée en 1940 par Leonid Lavrovski. Muriel Zusperreguy, Première Danseuse, jolie et touchante Juliette et Josua Hoffalt, séduisant Roméo à la très belle danse assurée et précise, forment une sorte de couple idéal pour ces emplois. Hoffalt, actuellement Sujet dans le Corps de ballet, est l’une des valeurs les plus sûres de la génération montante, et il faut souhaiter qu’il accède vite aux derniers échelons de la hiérarchie maison.

Alice Renavand, elle aussi Sujet et elle aussi l’une des plus évidents talents de la compagnie, danse ensuite avec un Aurélien Houette à la forte personnalité Entre d’eux, pas de deux très original de Kader Belarbi, illustrant les rapports tour à tour passionnés et conflictuels d’un couple sur la musique de l’Élégie pour violoncelle de Fauré. Tout comme Scarlatti solo de Bruno Bouché, dansé par lui même sur une sonate de Scarlatti, c’est un exemple de modernité inventive bien pensée, bien réalisée et bien interprétée.

La première partie s’achève sur le très spirituel et astucieux pas de deux Mc Air-pas de deux que José Martinez avait initialement prévu d’insérer dans son grand ballet les Enfants du paradis, créé en début de saison à Garnier. On y retrouve toute la finesse de Martinez, son goût infaillible et son imagination. Aurélia Bellet, Sujet, et Josua Hoffalt en sont les excellents exécutants.



La deuxième partie commence par Vivre avec, solo inspiré à Bruno Bouché par la personnalité de son interprète Ghyslaine Reichert. Une sorte de minute de vérité introspective, inattendue, forte, bien construite et dansée de manière très expressive. Extrait du deuxième acte de Giselle, le Pas de deux romantique qui suit rappelle à ceux qui auraient été en train de l’oublier que ces danseurs et chorégraphes sont toujours aussi les détenteurs de la grande école française comme personne. Bruno Bouché et Aurélia Bellet ne faillissent point à cette tâche.

Nun komm der Heiden Heiland, solo dansé par Muriel Zusperreguy, rappelle aussi ensuite que Nicolas Paul, Sujet dans la compagnie, est un chorégraphe de vrai talent, ce que la directrice de la danse, Brigitte Lefèvre, reconnaît implicitement en lui confiant une création pour la saison prochaine.

Et pour finir, création d’un pas de trois de Bruno Bouché, Incidence, affrontement triangulaire sans concessions dans l’esprit ni dans la forme, d’une belle théâtralité, défendu par le chorégraphe lui-même, Alice Renavand et Aurélien Houette. Une pièce forte où la personnalité créatrice de Bruno Bouché s’affirme avec un impact nouveau.

Gros succès évidemment devant un public emplissant totalement cette jolie salle de Fontainebleau. La directrice de la danse peut effectivement être remerciée d’autoriser et même de favoriser ce type de spectacle dont le rayonnement s’étend désormais au-delà de nos frontières, puisque le groupe va se produire prochainement non seulement à Roissy-en-France et au festival de Montauban, mais aussi en Israël au Karmiel Dance Festival et au Suzanne Della Center de Tel Aviv.