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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
05 mai 2025 |
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Création de Siddharta d’Angelin Preljocaj et Bruno Mantovani par le Ballet de l’Opéra national de Paris.
Sur les traces de Bouddha
Inspiré par un moment charnière dans la vie de Siddharta Gautama, fondateur du bouddhisme il y a deux mille cinq cents ans, Angelin Preljocaj a mis la danse au service d’une démarche à la fois concrète et spirituelle, avec l’aide d’une magnifique partition de Bruno Mantovani et d’une splendide scénographie de Claude Lévêque.
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Comme pour beaucoup de chorégraphes de notre temps, l’Inde aura été une source d’inspiration pour Angelin Preljocaj. Mais contrairement à Maurice Béjart par exemple, il n’a pas cherché à reproduire directement gestuelle ou tradition du pays. Il a pris une vraie distance avec toute couleur locale, préférant utiliser son langage chorégraphique personnel pur, avec, comme pour son Blanche-Neige, une alternance de références très précises à des moments mythiques du répertoire romantique et de séquences totalement modernes.
Luxe qu’une institution comme l’Opéra de Paris peut et doit se permettre, une équipe complète a été constituée, avec des personnalités du plus grand talent, comme le plasticien Claude Lévêque, l’écrivain Eric Reinhart ou la géniale éclairagiste Dominique Bruguière. Rien ne vaut ce type de travail d’équipe, et c’est bien l’homogénéité du résultat qui frappe d’emblée.
Pour raconter ce moment de la vie de Siddharta où le futur premier Bouddha choisit de quitter sa condition princière pour partir dans une quête spirituelle qui le mènera au Nirvana, Angelin Preljocaj a donc choisi de bâtir les quelques cent minutes du spectacle en une suite de longs – parfois d’ailleurs trop longs – tableaux, traités dans un style franchement contemporain ou franchement plus romantique.
Les forces de la violence et du mal sont de noir vêtues et s’expriment dans une gestuelle rude, agressive. On transporte même des corps inanimés qui ne peuvent nous empêcher de songer aux Walkyries wagnériennes chargées des cadavres des héros morts au combat… Celles du bien et de la non-violence évoluent dans un univers qui rappelle tour à tour l’immatérialité de l’entrée des bayadères ou le vol des Sylphides.
Les costumes d’Olivier Bériot sont beaux, vaporeux, colorés ou adéquatement agressifs, la scénographie de Claude Lévêque fascine par sa grande originalité et sa permanente qualité esthétique qui interpelle sans cesse le spectateur. Une belle première expérience dans le monde du ballet pour cet artiste d’exception. Les éclairages de Dominique Bruguière apportent leur raffinement, leur imagination et s’affirment par une présence d’une force remarquable.

Ainsi servie, entourée, soutenue, l’invention chorégraphique de Preljocaj ne saurait être mieux mise en valeur, ce qui souligne à la fois ses moments les plus inspirées et ses quelques faiblesses, la principale étant la longueur excessive de certains tableaux dont les développements s’éternisent alors que tout est dit et compris au bout de quelques minutes et que l’enchaînement des pas et figures semble alors tourner en rond sans trouver d’issue.
Nombreux, en revanche, sont les moments vraiment construits, fluides, mêlant pas brillamment imaginés, collant au propos, ou conçus en subtile référence, comme on l’a dit à des classiques célèbres, avec en particulier un travail de bras très développé, expressif, souvent inattendu. L’ensemble est juste assez extrapolé, juste assez figuratif pour que l’on suive à la fois le déroulement historique et la progression intellectuelle de cette quête.
Bruno Mantovani a composé une partition impressionnante par son ampleur et par les choix de son instrumentation. Elle s’appuie en effet sur des vents nombreux et omniprésents, véritable axe central. Les solos et les ensembles de flûtes, de hautbois, de clarinettes, de bassons, de trompette, ponctués ou soutenus par les batteries apportent des couleurs et une qualité d’émotion irrésistibles.
Vrai cheminement sonore
C’est beaucoup plus qu’une musique de scène ou de circonstance. C’est un vrai cheminement sonore parallèle et aussi fort que les images conjuguées de Preljocaj et de Lévêque. D’autant que cette musique est menée avec une autorité impressionnante par Susanna Mälkki, l’une des rares femmes chef d’orchestre à effectuer une véritable carrière internationale aussi bien lyrique que symphonique.
Nicolas Le Riche trouve en Siddharta l’un des meilleurs rôles qu’il ait eu ces dernières années. Il a la puissance, la souplesse, le rayonnement, l’intériorité quand il faut, une aisance royale. C’est ce genre de création qui marque la carrière d’un danseur et en laisse la trace. Fluide, presque transparente sous ses voiles, totalement immatérielle, Aurélie Dupont fait aussi une création mémorable dans le personnage – mais est-ce vraiment un personnage ? – de l’Éveil. Avec des bras et un port de tête superbes de finesse, elle donne vie avec beaucoup d’intelligence à cette entité qui est un élément fondamental dans la vocation de Siddharta.
Très belle composition aussi d’Alice Renavand en Yasidhara, première épouse de Siddharta. On ne dira jamais assez à quel point cette ballerine mériterait d’être Première Danseuse ! Cousin et compagnon de route de Siddharta, Ananda bénéficie de la forte présence de Stéphane Bullion qui sait de mieux en mieux utiliser ses capacités athlétiques naturelles pour les transformer en rayonnants moyens d’expression.
Muriel Zusperreguy incarne avec charme une jeune paysanne et l’on est très heureux de retrouver Wilfried Romoli sur ce plateau dans le rôle du père de Siddharta. Excellente tenue de l’ensemble du Corps de ballet présent en nombre dans cette quatrième création d’Angelin Preljocaj à l’Opéra de Paris.
Deux autres distributions doivent maintenant alterner, avec notamment Jérémie Bélingard et Stéphane Bullion dans le rôle-titre et Clairemarie Osta et Alice Renavand dans celui de l’Éveil.
Opéra Bastille, jusqu’au 11 avril.
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