2004 restera incontestablement une année festive et constructive pour la ville de Lille, éphémère Capitale Européenne de la Culture. Pendant trois jours, plus de trois cents artistes investissent neuf théâtres de la métropole nordique pour la manifestation joliment baptisée Solo Soli. Parmi quelques noms prestigieux comme Anne-Teresa De Keersmaeker ou Mathilde Monnier, Russel Maliphant se taille la part du lion avec une soirée unique à l'Opéra de Lille récemment rénové. Le chorégraphe britannique, dont le nom s'échange depuis quelques années comme une découverte importante, a pénétré progressivement bon nombre de places fortes de la danse en France (Lyon ou Nancy) comme à l'étranger, avant de séduire Paris au mois de février prochain. Pour ce programme, Maliphant met en perspective cinq solos créés comme tels ou extraits d'oeuvres conçues pour plusieurs danseurs.

Russel Maliphant en personne ouvre la danse avec Shift (1996), sa composition la plus ancienne. Le danseur au crâne rasé se présente sans artifice, modèle de décontraction, de force et de retenue. Chaque mouvement ondoie avec une fluidité impressionnante, trahissant par ses pieds et quelques discrètes arabesques sa formation classique. L'effet produit par son complice Michael Hulls, concepteur des lumières, amplifie la verticalité de la danse qui étonne par le travail des bras. Les apports du tai-chi, de la capoeira et du yoga semblent évidents. La synthèse et l'art du chorégraphe lui assurent un langage identifié que les quatre pièces suivantes confirment et magnifient.

Parmi les deux interprètes qui l'entourent, Anna Williams s'impose par l'assimilation de la technique de Maliphant qui laisse par ailleurs une part importante à l'improvisation et à la personnalité de ses danseurs. La jeune anglaise, formée à la London Contemporary Dance School, joue avec ses bras et par un mouvement pendulaire extrême perd toute réalité humaine. Devenue objet incandescent dans l'obscurité ou des cônes de lumière, elle accélère progressivement le rythme sur la musique d'Andy Cowton avec lequel le chorégraphe collaborait en 1998.

Michael Pomero, jeune corse passé un temps par le Jeune Ballet de France présente lui-aussi une certaine aisance dans le solo extrait de Critical Mass au répertoire du Ballet de l'Opéra de Lyon où il fit son premier apprentissage du travail avec Maliphant. La soirée s'achève avec One (Part II), un solo de Maliphant sur les variations Goldberg enregistrées par Glenn Gould. La respiration du pianiste, les lumières et avant tout le danseur-chorégraphe forment un ensemble d'une grande sobriété et d'une rare intensité.

Pour la plupart une introduction, le nom de Russel Maliphant résonne comme une révélation. Proposée par la direction de l'Opéra, une rencontre publique à l'issue de la représentation permet d'apprécier la simplicité et l'ambition du chorégraphe, notamment celle de pouvoir travailler avec une compagnie plus fournie.