Tout commence dans la rigueur et la pureté d'une danse baroque rendue à la vie par Francine Lancelot pour Rudolf Noureev en 1984 et que reprend aujourd'hui Kader Bélarbi en hommage à la grande chorégraphe et chercheuse disparue. Il est aussi fascinant qu'instructif de voir comment ces pas peuvent être repris dans une liberté créative par d'autres interprètes – Nicolas Paul doit alterner avec Bélarbi – sur la structure immuable de la 3e suite pour violoncelle de Bach jouée en direct, ici par Christophe Coin. Stricte, mais libre, élégant et très codifié, ce solo en costume d'époque, montre bien d'où tout est parti, pour en arriver justement à certaines des expressions les plus nobles et les plus accomplies de la création d'aujourd'hui, à savoir l'art d'une Trisha Brown et d'un William Forsythe.

Figure majeure de la post-modern dance américaine, Trisha Brown avait déjà donné à l‘Opéra son étonnant Glacial Decoy, pièce de dix-huit minutes dans le silence pour cinq danseuses et qui est reprise dans ce programme. Dans leurs tuniques blanches plissées, sur un fond de scène où sont projetées des photographies de Robert Rauschenberg, les ballerines seules ou groupe font des apparitions furtives ou plus développée, mais toute d'une extrême finesse dans leur gestuelle et leur construction. C'est aussi original que magnifiquement réalisé. Tout comme la pièce suivante, O zlozony / O composite, référence à un poème de Czeslaw Milosz, création mondiale commandée par l'Opéra et première pièce créée par la chorégraphe pour d'autres danseurs que ceux de sa propre compagnie.



Trois étoiles sont en lice : Aurélie Dupont, Manuel Legris et Nicolas Le Riche. Une deuxième distribution alternera, composée de Dorothée Gilbert, Yann Bridard et Jérémie Bélingard. Ici encore, il s'agit de structures et de pas d'une extrême subtilité, d'une grande élégance, d'une rigueur admirable et d'une totale originalité. Sur une musique de Laurie Anderson, également commandée par l'Opéra, les trois interprètes ont bâti en collaboration avec la chorégraphe une sorte de chef d'oeuvre d'équilibre, de goût, d'intelligence, où le mouvement est si moderne qu'il peut se permettre de flirter de temps à autre avec le classique. C'est somptueusement réussi de bout en bout, grâce aussi à ces trois danseurs eux-mêmes hors du commun.

Et c'est encore cette rigueur inventive, libre mais génialement ordonnée et cadrée, que l'on retrouve avec Pas. / parts de William Forsythe sur une musique de Tom Willems. Quinze danseurs, parmi lesquels plusieurs premiers danseurs et les meilleurs « sujets Â» maison comme Dorothée Gilbert, Yann Saïz ou Nicolas Paul, participent en collant et T-Shirt de couleur à ce jeu savant et athlétique qui caractérise le travail de Forsythe, et que met en valeur de très inventifs éclairages réglés par Forsythe lui-même. C'est également d'une beauté absolue, dans une interprétation sans défaut, un autre moment miraculeux dans une soirée d'exception qui redonne ses lettres de noblesse à la création contemporaine à son plus haut niveau.