Depuis quelques semaines, les affiches de la Dame aux camĂ©lias prĂ©sentent Agnès Letestu mais la blessure d'HervĂ© Moreau a dĂ» diffĂ©rer la première de l'Étoile. DiffĂ©rer et non annuler : John Neumeier envoie en effet JiřĂ­ BubenĂ­ček, soliste du Ballet de Hambourg (sa compagnie), familier au style et Ă  la chorĂ©graphie du maĂ®tre amĂ©ricain.

Agnès Letestu s'impose comme une grande Dame. Dès son entrée en scène, elle conserve dans ce monde de courtisanes une distinction et un charme qui expliquent le coup de foudre d'Armand. Amusée au Théâtre des Variétés par la fougue du jeune homme, elle manifeste tôt le trouble qu'il suscite en elle. Sur sa méridienne, rejetant le Comte de N., Agnès Letestu s'offre à Armand, avant de s'élancer dans le premier pas de deux. Lui, à la fois drôle et transporté par l'émoi contraste avec le rayonnement plus diffus de Marguerite probablement surprise par la nouveauté du sentiment.

Au deuxième acte, après l'amusement collectif, la danseuse apparaît très sensible, aimante et aimée. Les cheveux lâchés, dans le second pas de deux, Letestu fait preuve d'une grande sensualité, sans ostentation. Cette élégance et cette délicatesse qui la caractérisent depuis de longues années, correspondent parfaitement au personnage du roman. Face à Monsieur Duval, elle retrouve avec Jean-Guillaume Bart un partenaire de prédilection. Explicite dans cet entretien, elle le termine par une main tendue, don et abandon déchirants.

Enfin, au dernier acte, Letestu poursuit, aussi sincère. Froide et volontairement distante au début du dernier pas de deux, elle plie sans grande résistance face à l'unique amour d'une vie qu'elle sait déjà comptée. Chaque détail prend sens, de son journal confié à Nanine sa servante, jusque dans son dernier spasme, une artiste au sommet de sa maturité.

JiřĂ­ BubenĂ­ček, puissant et entier

Plus qu'aucun danseur de l'OpĂ©ra, JiřĂ­ BubenĂ­ček dĂ©passe les difficultĂ©s imposĂ©es au partenaire. Dès la course de son entrĂ©e en scène, le danseur puissant et entier dans la passion enflamme la scène. Fougueux, d'un romantisme patent, il incarne parfaitement ce hĂ©ros du coeur du XIX^e siècle. Ă€ la lecture de la lettre de rupture au deuxième acte, il devient fou, une rage qui lui vaut les applaudissements spontanĂ©s du public. Le danseur tchèque prĂ©sente des qualitĂ©s physiques qui contrastent avec l'Ă©cole française plus « racĂ©e Â» mais parfois engoncĂ©e dans sa propretĂ©.

Cette ultime représentation de la saison salue la dernière apparition de Muriel Hallé, dans le rôle de Nanine. Ce sujet aux traits encore si juvéniles a déjà débuté sa seconde carrière d'enseignante à l'École de Danse de l'Opéra, un parcours-type négocié avec une belle intelligence artistique.

La saison 2006/2007 débutera avec la reprise de la Dame aux camélias, probablement avec Hervé Moreau rétabli et Agnès Letestu, une distribution déjà attendue avec impatience.