La référence à Victor Segalen et le titre de la pièce sont déjà tout un programme. Lorsqu'on connaît la personnalité de Françoise et de Dominique Dupuy, leur fidélité absolue à une recherche dont la démarche n'est jamais démagogique ni accrocheuse, on ne peut qu'être certain qu'ils vont nous proposer une fois encore de partager un peu le parcours absolument unique qu'ils accomplissent dans le monde de la danse. Et on ne se trompe pas. Pendant un peu plus d'une heure, nous cheminons avec eux dans le monde très épuré, poétiquement magnifique des écrits de Segalen que soutient la musique de Jean Schwarz, subtile, très inventive, très structurée.

Climat bien zen naturellement, où le geste est toujours mesuré, où chaque déplacement se limite à l'essentiel, au plus signifiant, dans de douces lumières qui donnent souvent aux interprètes la forme de simples silhouettes. Il ne s'agit pas de minimalisme réducteur, mais simplement d'une manière toujours fondatrice aujourd'hui d'aller à l'essentiel, comme pour mettre en perspective toutes les dérives bavardes et inutiles de tant de ceux qui croient tout inventer. On a un peu l'impression d'un vrai retour au source, à d'authentiques références qui nous apportent un immense bouffée d'air chorégraphique pur.

Avec la très impressionnante Sumako Koséki, avec aussi Wu Zheng et Ogun Jacorau, Françoise et Dominique Dupuy élaborent un ensemble de pas, de gestes, de déplacements presque transparents dans leur limpidité. L'émotion naît par elle-même, par cette alliance parfaite entre des sons qui irradient la même poésie que le texte et que le mouvement, nous entraînent vers l'intérieur de nous-mêmes avec une puissance douce mais irrésistible. Le mot n'est jamais illustré, ni contredit, mais plutôt entouré, prolongé, éclairé, voire complété, en une très savante dialectique qui ne faiblit jamais.

Une création d'un niveau de pensée exceptionnel dans un univers chorégraphique qui ne sait plus très bien où il en est ; un jalon rassérénant, comme les Dupuy n'ont jamais cessé d'en poser.