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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
19 avril 2024 |
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Péplum, de Nasser Martin Gousset au Théâtre de la Ville, Paris.
Insolubles hiéroglyphes
Grand retour et consécration sur la scène du Théâtre de la Ville pour Nasser Martin-Gousset, chorégraphe inclassable qui nous livre avec ce pharaonique Péplum une oeuvre de haut-vol, à la fois jouissive et mystérieuse, sobre et grandiose, jamais racoleuse car calibrée à merveille.
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On retrouve dans la dernière proposition de Nasser Martin Gousset présentée à Paris au Théâtre de la Ville tous les éléments qui constituent depuis plus de quinze ans l'oeuvre singulière de ce chorégraphe à part et de fait un temps écarté de certains créneaux qui peinaient à l'identifier. C'est la loi du genre que la France aime tant. À court de mot propre, les Anglais nous ont justement emprunté ce mot, spécificité si française. Il y aurait bien justement chez Nasser un certain dandysme à l'anglaise qui se fiche de l'air du temps et qui se joue des genres. Tour à tour plaisant, amusant, noir ou lunaire, entre le rock, la danse et le cinéma, le travail de Nasser éclate sous les lumières implacables de Jean-Luc Chanonat dans son dernier opus nommé en toute simplicité et non sans une certaine grandiloquence Péplum.
Péplum. Le mot vient étrangement du grec, « peplon » signifiant – avec ou sans jeu de mot – « tunique », telle celle arborée à mi-fesse dans celui de Nasser Martin Gousset par un centurion admirable et admirablement malmené, dévêtu, violé par une horde de désœuvrés pré-tropéziens menés – à la cape écarlate – par le chorégraphe s'autoproclamant empereur en affichant lui-même son portrait sur les murs. C'est toute la Rome antique réunie sur ce plateau, la chevelure L'Oréal de l'éphèbe, le glaive brandi du guerrier, les mignardises de la nymphette mais aussi l'énormité du satrape – forcément sublime Olivier Dubois.
Dans un tonnerre de batterie ou au son de la voix chaude d'Elisabeth Taylor, voire des extases de Donna Summer, s'y déploient des danses de l'extrême où les corps d'abord se libèrent et finalement se rangent, s'ordonnent et se détraquent au terme de ce sursaut de rigidité militaire. Faut il voir dans cet enchaînement – le cas de le dire – un message précis de l'auteur ? Pour la petite histoire en tous cas, rappelons les origines égyptiennes de Martin Gousset, piste peut-être pour expliquer le choix du film Cléopâtre de Mankiewicz comme fil conducteur de ce spectacle.
Mais ce Cléopâtre en carton pâte et technicolor, il devait en rêver depuis longtemps. Le kitsch n‘échappe jamais à Nasser. Son péplum à lui aux esthétiques parfaites reste pourtant d'une sobriété étonnante. Du film de la Fox d'ailleurs on ne perçoit que la rumeur – les voix tout de même de Taylor-Burton – et l'on ne saisit au vol qu'une image volée d'elle drapée en noir et blanc de tout son pharaonique orgueil, ou bien celles figées du tournage.
Sur scène, ce Péplum en abyme dévoile lui aussi ses coulisses. Une autre piste peut-être. Tout drapé qu'il soit de merveilleuses lumières, vidéos live et images papier glacé, il cherche semble-t-il aussi à se mettre à nu, prévient de la scène à venir, souligne le fictif. Cela donne un curieux mélange. Entre action et relâche, « jouissivitude » totale de la danse et intermèdes languissants, entre enveloppantes mélopées et batterie aliénante, on se heurte à rentrer tout à fait dans cette pièce intrigante qui jamais ne nous interpelle directement mais dont on contemple bercé ou médusé la morne ou trépidante folie.
Péplum ou l'absurdité du pouvoir, du vice et de violence face à l'amour à mort, sublime d'Antoine et Cléopâtre ? Horreur d'un monde aux amours impossibles ? Qui sait ? Ce péplum qui ne dit pas tout s'achève d'ailleurs avec une belle élégance lointaine et les corps, pour toute réponse, semblent nous dessiner dans l'espace autant d'insolubles hiéroglyphes.
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Théâtre de la Ville, Paris Le 03/04/2007 François FARGUE |
| Péplum, de Nasser Martin Gousset au Théâtre de la Ville, Paris. | Péplum
conception et chorégraphie : Nasser Martin-Gousset
décor : Philippe Meynard
costumes : Hélène De Laporte
Ă©clairages : Jean-Luc Chanonat
musiques originales : Alex North's Cléopâtra
montage, arrangement son : Steve ArgĂĽelles
son : Djengo Hartlap
images : Quentin Descourtis & Julien Delmotte | |
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