Est-ce le meilleur de Keersmaker ? On pourrait répondre à cette question qu'il y a beaucoup de meilleur dans l'oeuvre de la chorégraphe flamande et que ces pièces ont certainement leur place au premier plan d'un patrimoine riche en créations variées. Ici, à la force de la chorégraphie s'ajoute celle de la musique. On voit d'ailleurs à quel point Keersmaker reste proche de cette source d'inspiration dès sa chorégraphie sur le 4^e quatuor de Béla Bartók, qu'elle créa en 1986 et dont l'écriture belle mais sévère trouve une traduction elle aussi d'une implacable rigueur. Des géométries très dessinées et savamment élaborées sont mises en place par quatre danseuses sans la moindre concession à la facilité ni au spectaculaire.

Avec Grande Fugue, de 1992, sur la partition magistrale de Beethoven, le spectacle prend davantage ses droits. Cette fois, ce sont huit danseurs qui vont dérouler les très savantes figures que l'écriture beethovénienne suggère à la chorégraphe. Il ne s'agit jamais d'une illustration au premier degré de la forme musicale cherchant par exemple à montrer les différentes entrées du thème et leurs développements. Ce que nous voyons est animé d'une vraie liberté d'inspiration où la vivacité du mouvement colle au déroulement des structures musicales mais avec une existence propre, imaginative, sans cesse renouvelée. La gestuelle est belle et sobre, mais un certain lyrisme souligné par la généreuse interprétation des danseurs apporte plus d'humanité que la stricte pureté du Bartók précédent.

Avec la Nuit transfigurée, on peut réellement parler de chef-d'oeuvre. De la scénographie à la danse elle-même, tout contribue à traduire ce qu'il y a de plus intense et de plus profond dans la partition de Schœnberg. Les éclairages, ces jeux subtils d'entrée et de sortie des éléments masculins et féminins, les rapports des couples, tout est fait en nuances évocatrices de climats à la fois bien différenciés et appartenant à la même démarche globale. C'est un spectacle complet, aux émotions sobres mais fortes, où la beauté des images n'est jamais racoleuse. Du grand Keersmaker !