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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
24 avril 2024 |
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Roméo et Juliette de Prokofiev dans la nouvelle chorégraphie de Charles Jude par le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux au Grand Théâtre de Bordeaux.
L’essentiel de Roméo
En donnant sa propre version de Roméo et Juliette sur la partition de Prokofiev, Charles Jude, considéré comme l’héritier artistique principal de Rudolf Noureev, a su tirer les leçons du travail du maître et donner sa propre lecture du drame, plus concise, plus rapide et d’une remarquable clarté. Avec aussi beaucoup de belle danse.
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En remontant les grands ballets du répertoire pour la compagnie de Bordeaux qu’il dirige depuis 1996, Charles Jude n’a guère fait d’erreurs. Il a su s’éloigner de la lettre quand c’était possible, comme dans son Casse-Noisette, mais se tenir à une tradition revisitée selon sa propre personnalité, comme pour la Belle au bois dormant, Giselle, Don Quichotte, le Lac des cygnes et aujourd’hui Roméo et Juliette. La compagnie bordelaise est donc pourvue d’un solide répertoire classique de très haute tenue, auquel s’ajoutent les multiples incursions réussies dans la création contemporaine.
Roméo et Juliette, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne fut pas un ballet facile à créer. C’est la direction du Kirov de Léningrad qui en commanda la partition à Prokofiev mais la refusa, la trouvant incompréhensible. Passée au Bolchoï de Moscou, l’œuvre fut à nouveau jugée indansable et échoua finalement à Brno en Tchécoslovaquie où elle fut créée en 1938 avec un tel succès que le Bolchoï la récupéra et la créa à son tour en 1940 dans une chorégraphie de Lavrovski.
Accouchement encore très douloureux, les musiciens de l’orchestre trouvant la partition injouable et les danseurs refusant de danser sur une musique à laquelle ils ne comprenaient rien, car elle était d’une autre nature que celles de Minkus ou de Tchaïkovski auxquelles ils étaient habitués. D’abord très réticente, la grande Galina Oulanova fut une Juliette géniale, rôle qui devint pour elle emblématique. Bien d’autres versions ont été imaginées depuis, mais la grande majorité d’entre elles a pour base celle du Bolchoï 1940.
Très développée, voire trop développée, celle de Rudolf Noureev pour l’Opéra de Paris vit Charles Jude s’illustrer dans le rôle de Tybalt de manière fulgurante. Jude s’en est inspiré, c’est vrai, mais en prenant ses distances. D’abord, il gomme bien des détails qui ralentissent l’action, détournent l’attention de l’essentiel du drame et en rendent la compréhension confuse. Comme Roland Petit a toujours su le faire avec tant d’efficacité, il dégage ce qui est important dans l’action et dans le comportement de chaque personnage, sans en rajouter.
Le récit a alors une concision qui augmente sa portée tragique. Les scènes sont bien découpées, équilibrées et la chorégraphie, dans un classicisme jamais compassé, caractérise aussi bien les personnages que les situations. Il y a de la virtuosité mais jamais purement démonstrative et tous les tics gênants de Noureev sont absents.
Trois circassiens apportent une note festive un peu décalée lors des scènes de foule et les bagarres sont traitées avec précision évitant toute confusion. Bref, on pleure comme il faut à la mort de Mercutio comme à celle des deux héros qui s’achève sur une virtuelle envolée de colombes de très bel effet pour symboliser la réconciliation finale au lieu de la traditionnelle scène de retrouvailles des deux familles. Une bien belle idée.
Il n’y a que des éloges à faire aux interprètes, du beau et très romantique Giuseppe Picone (Roméo) à la bien expérimentée mais toujours juvénile Emmanuelle Grizot (Juliette), en passant par le vigoureux et rapide Tybalt de Viacheslav Sunegin et le tonique Mercutio de Vladimir Ippolitov. Un ensemble de bons danseurs à l’engagement total, menant une compagnie d’excellente tenue au travail approfondi. Les décors de Philippe Miesch sont fonctionnels et discrets, les costumes de Pierre-Jean Larroque flamboyants et les éclairages de François Saint-Cyr fort bien conçus.
Une seule restriction, de taille, la direction musicale d’Ermano Florio, trop portée sur une présence excessive, envahissante, voire tonitruante des cuivres et certaines imprécisions regrettables de l’harmonie en général.
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