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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
25 avril 2024 |
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Recours aux forêts de Jean-Lambert Wild à la Comédie de Caen.
L’homme au bois dansant
Le spectacle global à la Diaghilev dont rêvait Jean-Lambert Wild, installé à la Comédie de Caen, s’est réalisé. Le philosophe Onfray y pourfend la bêtise du monde et s’emballe pour une nature sublimée. La chorégraphe Carlson y lance son poulain Marsalo dans un long solo inspiré. Wild y fait vibrer de jolies voix qui enivrent. La scéno est extra. Mais encore ?
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Michel Onfray, le plus réjouissant athée de notre époque, aurait comme Pessoa à une autre « mal à la tête et à l’univers ». Le monde lui serait à ce point insupportable qu’il n’y aurait plus qu’une chose à faire : fuir ; qu’un livre à écrire : son dernier, Recours aux forêts, mi-réquisitoire, mi-ode dans lequel il s’afflige d’un côté de la médiocrité des hommes et s’enchante des vertus de la terre au sens large et au plus précis de la sienne, celle de ses ancêtres et où il souhaite être enterré.
Il est né et s’entête à habiter dans l’Orne, à Argentan, loin du « germano-gratin » qu’il est pourtant bien obligé, devenu si célèbre, de fréquenter de temps en temps. Mais rassurons-nous, l’irréductible Ornais n’a fait qu’écrire le livre, il ne s’est pas encore changé en l’homme des bois tel celui qui parcourt de bout en bout le spectacle éponyme mis en scène par Jean-Lambert Wild, chorégraphié par Carolyn Carlson et présenté à la Comédie de Caen d’Hérouville dans le cadre de l’excellent festival les Boréales proposé depuis dix-huit ans par Jérome Rémi.
Onfray s’est prêté au jeu de l’écriture d’un texte pour le théâtre par amitié, confie-t-il, pour Jean-Lambert Wild. Et c’est ainsi que l’homme en noir a modestement, précise-t-il aussi, rejoint la longue dame blonde et l’éternel jeune homme en éternels pantalons beiges à bretelles, godillots et gilet blanc. Jean-Lambert Wild, ledit jeune homme, rêvait depuis longtemps d’une telle alchimie des arts. Il a trouvé sa chorégraphe, parfaite en la circonstance, son philosophe qui se fait pour l’occasion juge et poète, son metteur en scène décor François Royet, et Jean-Luc Therminarias pour l’habillage sonore.
Le réquisitoire d’Onfray est exhaustif et impitoyable, le ton proche de l’incantation. On ne peut s’empêcher de penser aux premières pages d’Hiroshima de Duras. Comme elle, l’homme du texte a tout vu. Tout vu de la folie, de la tricherie, de la veulerie des hommes. Onfray a sous-titré son opus « la Tentation de Démocrite », Grec ancien qui après avoir fait le tour de la terre et des hommes, après avoir beaucoup écrit et être devenu riche et célèbre – son alter ego en somme – décida de se retirer humblement dans une cabane au fond de son jardin.
Onfray/Démocrite conclut ainsi : « et ça je ne veux plus le voir ». Ca, toutes les horreurs du monde décrites avec une simplicité assez confondante mais énoncées par quatre acteurs debout côté cour dans la pénombre dont les voix si singulières à la fois douces et capricantes nous bercent et nous captivent. On tombe aussi sous le charme des petits mouvements de mains dont certains accompagnent leur récitation. Là , dans cette façon si précieuse de s’approprier le texte réside essentiellement le génie de la pièce.
La deuxième partie est une ode à la nature aussi échevelée parfois que son auteur, qui manie avec passion le chiasme exalté sur le sexe des fleurs. Cet hédonisme est pourtant un ascétisme et l’homme, inspiré de la figure du Waldgänger, fait corps nu avec une nature aride, patauge dans des eaux qui vous glacent le sang.
On est loin de ce sexe des fleurs suggérées néanmoins par les tâches de couleurs dont se colore l’eau sous l’impact de petites bombes tombées du ciel. François Royet a conçu un univers nocturne sobre, beau et inquiétant dont cet étang criblé de couleurs, véritable tableau mouvant, ou surplombé en première partie de branchages noirs qui s’avancent comme les pattes de tarentules géantes.
Le Finlandais Juha Pekka Marsalo est ce Waldgänger, homme-errant des forêts, pour l’occasion danseur. Interprète phare de chez Carlson, il fut façonné par elle au point parfois de lui ressembler quand il oscille dans la pénombre dans une danse torturée qui peu à peu s’ouvre et se libère. Son solo ininterrompu d’une heure est une gageure parfaitement maîtrisée et habitée.
On ressort néanmoins de ce spectacle à l’esthétique impeccable quelque peu essoufflé. La pièce manquerait ici et là de respirations. Troublé aussi à la fois par le parti pris de simplicité du réquisitoire et le lyrisme de l’églogue. Presque amusé. Certes, Onfray y parle d’utopie. De façon pourtant martelante. Mais on ne reçoit pas le coup de poing probablement voulu.
Et si on nous demande de chausser durant la première partie des lunettes 3D afin de nous faire pénétrer dans la touffeur étique de cette forêt boréale, ce beau spectacle singulier ne nous paraît pas moins lisse et lointain. On en retient tout de même de très belles images, la danse vibrante de Juha Pekka et surtout l’écho entêtant de la voix des acteurs si finement travaillée par J-L Wild.
En tournée :
Les 2 et 3 décembre au Théâtre de l'Union-CDN de Limoges, le 8 décembre au Hangar 23 de Rouen, le 5 janvier 2010 au Théâtre Anne de Bretagne à Vannes, les 21 et 22 janvier au Théâtre de Cavaillon, les 28 et 29 janvier au Granit de Belfort, les 3 et 4 février au Théâtre de l'Agora-scène nationale d'Évry, le 19 mars au Théâtre de Chelles, le 30 mars 2010 au Volcan-scène nationale du Havre
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Théâtre d'Hérouville, Hérouville Saint-Clair Le 16/11/2009 François FARGUE |
| Recours aux forêts de Jean-Lambert Wild à la Comédie de Caen. | Recours aux Forêts
texte : Michel Onfray
chorégraphie : Carolyn Carlson
mise en scène : Jean-Lambert Wild
mise en scène sonore : Jean-Luc Therminarias
mise en scène décor : François Royet | |
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