|
|
L'ACTUALITE DE LA DANSE |
24 avril 2024 |
|
Spectacle Roland Petit au Ballet de l’Opéra national de Paris.
Rendez-vous avec l’émotion
Première soirée tout Roland Petit à l’Opéra depuis la disparition du grand chorégraphe, ce programme proposait trois ballets importants, dont le premier fut un grand moment d’émotion. Le Rendez-vous, le Loup et Carmen, trois titres riches de souvenirs si forts que les comparaisons sont parfois dures à assumer mais renouer avec ce fabuleux univers reste toujours magique.
|
|
L’amour virtuose
Ivresse grecque
Flambeau partagé
[ Tout sur la danse ]
|
Étrange et assez bouleversante impression que celle produite par l’absence du chorégraphe qui venait généralement saluer son public à l’issue de telles soirées. Le Palais Garnier est, comme toujours, comble en pareille occasion et personne ne pourra nier que les trois ballets présentés, dont le plus récent date de 1953, soit de plus d’un demi-siècle, ont gardé toute leur acuité, leur modernité et leur impertinente audace. Ils ont aussi chacun une personnalité bien marquée, qui s’impose de manière impérieuse dans le flot de créations de toutes sortes qui anime depuis la vie chorégraphique.
De ces trois chefs-d’œuvre qui traitent tous trois du destin, de la rencontre inéluctable avec une mort qui prend chez Roland Petit si volontiers le masque de l’amour, c’est le Rendez-vous, le plus bref, le plus sobre, et d’une certaine manière le plus radical qui nous bouleverse vraiment une fois encore en profondeur.
Avec une concision exemplaire, ce rapide parcours où le destin prend la forme du hasard qui mène le Jeune homme tout droit vers la Plus belle fille du monde qui le tue, doit autant sa puissance à la géniale invention chorégraphique de Roland Petit qu’aux collaborateurs dont, déjà en 1945, il avait su s’entourer, Brassaï, Prévert, Kosma et Picasso.
De cette complicité est né non seulement un conte tragique et poétique d’amour et de mort mais une inégalable évocation d’un Paris aujourd’hui disparu, celui des petits bals, d’un Montmartre mal éclairé, où joies naïves et misère se côtoyaient, d’un temps où, comme le disait Roland Petit, « l’eau de la Seine coulait encore limpide ».
Interprétation magistrale de Nicolas Le Riche, qui se dirige de manière éclatante vers la fin d’une grande carrière. On sait qu’il fera ses adieux à l’issue de la saison prochaine, mais pour l’instant, avec ce Jeune homme aussi approfondi sous l’angle de la danse que sous celui du théâtre, il donne une leçon absolue à la génération qui le suit. La Plus belle fille du monde est à nouveau Isabelle Ciaravola, idéale effectivement de beauté, dangereuse, mortifère, jambes et pieds sublimes comme toujours, totalement investie dans son personnage. Inoubliable !
Hugo Vigliotti est un Bossu agile, lui aussi bien dans l’esprit de cette chorégraphie si intelligente, si inspirée, où chaque caractère se détache sur ce fond de ville aux cent mystères. Excellent Destin incarné par Stéphane Phavorin inquiétant à souhait et belle interprétation par Pascal Aubin du thème si célèbre de Kosma qui devait devenir celui des Feuilles mortes.
Pourquoi ne retrouve-t-on pas la même intensité émotionnelle, la même perfection scénique dans les deux ballets suivants ? Sans doute parce que les interprètes principaux, pour certains du moins, portent toute leur attention sur l’exécution technique des pas, oubliant une peu que chez Roland Petit, rien n’est théâtralement ni dramatiquement sans une grande signification.
Dans le Loup, il faut parvenir à donner à la chorégraphie la dimension mythique du conte sans être englouti par les couleurs des décors et costumes de Carzou ni par la géniale musique de Dutilleux. Ni Laetitia Pujol ni Benjamin Pech, malgré la qualité de leur danse, n’ont vraiment relevé ce défi avec assez de force.
Quant à Carmen, s’il n’y a rien à reprocher aux ensembles ni aux seconds rôles tenus avec beaucoup d’exactitude, ni non plus au Don José de Stéphane Bullion, porteur ne serait-ce déjà que par son remarquable physique sombrement romantique d’un puissant drame intérieur, on doit bien reconnaître que Ludmilla Pagliero est passée à côté du rôle-titre, comme tant d’autres avant elle d’ailleurs.
Elle a la technique, mais rien de l’insolence sensuelle, à la fois charnelle et aigue, ironique et tragique, de l’héroïne créée par Zizi. Sans même se référer à celle-ci que personne n’égalera jamais, il y eut sur cette scène des interprètes qui avaient cette complexité, cet impertinent éclat, cette présence trouble, multiple, rassemblant l’intensité des Carmen de Mérimée et de Bizet.
On pense entre autres aux Loudières ou aux Pietragalla en particulier, des tragédiennes nées. Jambes maigrichonnes, bras sans ampleur, visage limité à deux expressions, Pagliero, malgré sa virtuosité, ne fut jamais crédible. Eleonora Abbagnato et Aurélie Dupont qui alterneront avec elle auront une toute autre présence.
Il reste que l’originalité de ces trois ballets, avec cette osmose parfaite entre chorégraphie, musique et décoration, continue à rester un exemple de ce que la danse dite classique peut produire de plus subtil, de plus expressif et de plus irrésistible pour le public de tous les temps.
| | |
|
Palais Garnier, Paris Le 15/03/2013 GĂ©rard MANNONI |
| Spectacle Roland Petit au Ballet de l’Opéra national de Paris. | Le Rendez-vous
argument : Jacques Prévert
musique originale : Joseph Kosma
chorégraphie : Roland Petit
rideau de scène : Pablo Picasso
décors : Brassaï
costumes : Mayo
éclairages : Jean-Michel Désiré.
Le Loup
argument : Jean Anouilh & Georges Neveux
musique : Henri Dutilleux
chorégraphie : Roland Petit
décors et costumes : Carzou
éclairages : Jean-Michel Désiré
Carmen, d’après la nouvelle de Mérimée
musique : Bizet, arrangée par G.Tommy Desserre
chorégraphie : Roland Petit
décors et costumes : Antoni Clavé
éclairages : Jean-Michel Désiré
Orchestre Colonne
direction : Yannis Pouspourikas
Avec les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris | |
| |
| | |
|