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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
20 avril 2024 |
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SoirĂ©e JiřĂ Kylián au ballet de l’OpĂ©ra national de Paris.
Déroutant Kylián
Pour remplacer le programme Tudor-Millepied initialement prévu à cette époque de la saison, Aurélie Dupont a choisi une soirée tout Kylian. Après les soirées Robbins et Forsythe, c’est un coup de projecteur sur une autre figure incontournable de la création des XXe et XXIe siècles. Avec encore des facettes à découvrir.
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On croyait presque tout savoir de JiřĂ Kylián, de son classicisme comme de ses audaces, mais ce n’était que presque. Pour remplacer le programme qui devait rĂ©unir The Leaves are fading d’Anthony Tudor et une crĂ©ation de Benjamin Millepied, annulĂ© pour cause de dĂ©part de ce dernier, la nouvelle directrice de la danse a donc choisi cette soirĂ©e Kylián, occasion de faire entrer deux nouveaux titres au rĂ©pertoire de la compagnie.
Bella figura, au répertoire depuis 2001, reste d’un esthétisme avoué, tout en raffinement, en subtils contrastes, jouant aussi bien de la nudité que de la somptuosité de certains costumes, dans des éclairages souvent en clair-obscur d’une immense sophistication. Kylián utilise la musique de cinq compositeurs dont quatre de l’époque baroque et une du contemporain Lucas Foss. Son propos est, comme souvent, sa fascination pour « cette zone grise entre être et non-être, entre lumières et ténèbres », qu’il retrouve notamment dans « le moment juste avant la représentation… parce qu’il y a un mouvement, une tension bers quelque chose qui n’est pas là , qui ne réside encore que dans notre imagination. Tout est si beau alors. »
D’ailleurs tout commence rideau levé avant que tous les spectateurs ne soient entrés dans la salle. Plusieurs Étoiles femmes, des Premiers Danseurs et l’élite du Corps de ballet défendent avec autant de savoir-faire que de talent et d’enthousiasme une chorégraphie aussi technique qu’émotionnelle et sensuelle. Une suite d’images d’une grande beauté, des moments uniques effectivement suspendus entre rêve et réalité, entre fantasme et vécu.
Bien moins connu que la Symphonie de psaumes qui entrait aussi au répertoire, Tars and feathers, de 2006, est une pièce plus complexe à aborder, voire à comprendre au premier abord. Cette fois, Kylián se réfère à la barbare pratique d’enduire de goudron et de plumes quelqu’un en guise de châtiment, pratiquée ici et la depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, surtout en pays anglo-saxons. Le contraste entre le poids du goudron et la légèreté des plumes lui suggère « une métaphore de l’insoutenable légèreté et du poids insoutenable de notre existence sur notre minuscule planète. » Et il ajoute : « Très souvent, notre vie ressemble à une personne avec un boulet de plomb attaché à une cheville et pourtant tenant un ballon gonflable dans ses mains. »
Pourquoi pas, même si ces réflexions, dont le lien avec Tars and feathers est rien moins qu’évident, ne sont pas d’une folle originalité. Il en résulte, comme dans ce texte du chorégraphe, une suite de contradictions visuelles et musicales, parfaitement défendues par Étoiles et danseurs, par la pianiste Tomoko Mukalyama aussi, mais dont la signification, le propos, la symbolique sont quasiment incompréhensibles à quiconque n’a pas lu le programme avant. Et même après, on s’interroge encore sur la capacité qu’ont ces images souvent fortes et belles mais assez incohérentes à traduire les idées aussi abstraites que banales du chorégraphe. Une curiosité moyennement convaincante dans l’œuvre de Kylián.
Symphonie de psaumes qui entrait donc aussi au répertoire est tout le contraire, quasiment un classique, d’ailleurs, et d’une approche qui s’impose à première vue. Créé sur la partition de Stravinski en 1978 alors que Kylián venait de prendre la direction du Nederlands Dans Theater, le ballet impressionne et émeut toujours autant par la sobriété rigoureuse de ses structures, la gestuelle originale et sobre, la nouveauté du rapport à cette musique si intérieur et si puissante en même temps.
Un rapport nouveau est aussi imaginé entre les danseurs qui ne quittent jamais la scène du début à la fin, impliquant une gestion très particulière de l’espace collectif et personnel. Pièce fondatrice, Symphonie de psaumes se savoure comme une grande œuvre contemporaine, si l’on ne se contente pas de rester à sa surface, à son esthétisme, mais si l’on perçoit justement tout ce qu’il y a de nouveau, de personnel et de structurant pour interprètes et public dans cette fusion entre spiritualité et esthétisme, musique, mouvement et lumières et l’engagement aussi bien collectif qu’individuel des interprètes.
Une sorte de somme, de base, qui a d’ailleurs servi comme telle au développement du Nederlands Dans Theater. Magnifique interprétation des Étoiles, Marie-Agnès Gillot, Eleonora Abbagnato, Stéphane Bullion, Josua Hoffalt, des Premiers Danseurs Muriel Zusperreguy, Hugo Marchand et de tout le Corps de ballet.
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Palais Garnier, Paris Le 29/11/2016 GĂ©rard MANNONI |
| SoirĂ©e JiřĂ Kylián au ballet de l’OpĂ©ra national de Paris. | Bella figura
musique : Foss, Pergolese, Marcello,Vivaldi,Torelli.
chorégraphie et décors : Jiri Kylián
costumes : Joke Visser
Ă©clairages : JiřĂ Kylian, Tom Bevoort
Tars and Feathers (entrée au répertoire)
musique : Mozart, Dirk Haudrich, Tomoko Makalyama
chorĂ©graphie et dĂ©cors : JiřĂ Kylián
costumes : Joke Visser
Ă©clairages : Kees Tjebbes
piano : Tomoko Mukalyama
Symphonie de Psaumes (entrée au répertoire)
musique : Stravinski
chorĂ©graphie : JiřĂ Kylián
décors : William Katz
costumes : Joop Stokvis
Ă©clairages : Jiri Kylian, Joop Caboort
Avec les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris | |
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