Au ballet de l’Opéra national de Paris, le début janvier est le temps des vacances… au moins pour ceux qui n’en profitent pas pour aller se produire au bout du monde. Mais c’est aussi traditionnellement le moment où l’on accueille une compagnie invitée. Cette année, c’est la compagnie de l’Opéra de Dresde qui se produit au Palais Garnier pour quelques représentation de l’un des chefs-d’œuvre de Forsythe, Impressing the Czar.

Paris avait eu les honneurs en 1987 de créer In the Middle somewhat elevated, qui allait constituer la deuxième partie du ballet complet, mais aussi mettre en valeur dans cette œuvre très nouvelle à tous égards et devenue une sorte de grand classique contemporain, une génération de hauts virtuoses, dont Sylvie Guillem, Isabelle Guérin, Manuel Legris, Laurent Hilaire et quelques autres.

Dans le ballet en quatre parties, Forsythe cherche à la fois à raconter une histoire de la danse depuis les premiers ballets romantiques jusqu‘au hip-hop, en passant par les grands ballets académiques de la fin du XIXe siècle, justement ceux qui étaient destinés à impressionner le Tsar et à parodier cette histoire. Cela lui permet de faire éclater le langage classique traditionnel en le poussant hors de ses limites connues, le caricaturant sans pour autant lui manquer vraiment de respect car il exploite dans leur totalité les possibilités techniques acquises par les grandes compagnies d’aujourd’hui et en révèle beaucoup d’autres.

Sur des musiques de Thom Willems, Leslie Stuck, Eva Crossman-Hecht et Beethoven, il a bâti quatre parties dans de somptueux costumes signés par lui-même et Ferial Münnich, dans des décors et des lumières très sophistiquées qu’il signe encore lui-même avec Michael Simon. On ne sait qu’admirer le plus des exploits exigés des danseurs, des solistes en particulier, de l’ironie latente mais respectueuse du propos, des incroyables structures de groupes qui, même lorsqu’il s’agit d’une apparente pagaille frénétique, sont d’une fabuleuse rigueur et d’une totale lisibilité. Son imagination délirante mais passant par ce langage si absolument maîtrisé nous conduit de quasi citations romantiques et classiques détournées à un univers de collégiennes flirtant fort avec le hip-hop dans un ultime tableau totalement déjanté.

Théâtre, danse, parodie, sérieux, tout cela est mêlé dans un agencement faussement improvisé défendu ici avec beaucoup de talent et une technique exemplaire par la compagnie de Dresde. Solistes virtuoses en diable, ensembles parfaitement en place, le tout avec une évidente joie de danser, c’est un spectacle de grande classe que propose la compagnie germanique mal connue chez nous mais dont ce passage à Paris laissera des traces plus que positives.