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DOSSIERS |
16 octobre 2024 |
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Une Vierge magnifique
En 1988 pour le Festival de musiques anciennes d'Ambronay, Jordi Savall a laissé une interprétation des Vêpres de la Vierge qui a fait date et dont il reste un enregistrement de référence chez Astrée-Naïve. 12 ans plus tard à la Cité de la Musique, il vient de dévoiler une nouvelle conception encore plus convaincante.
Outre la qualité des voix, la surprenante et enveloppante chaleur du rendu sonore, la vision d'Ambronay se caractérisait avant tout par une atmosphère de profond mysticisme et une progression très sensible vers une sorte d'éther de la matière sonore ; le tout culminant dans un Magnificat qui, au lieu de rutiler et d'étinceler de mille feux comme le vocable même le suggère, préférait s'envoler, s'élever, comme pour se fondre au firmament.
La Vierge regagne sa demeure divine par le transport des Muses. Vision saisissante et en soi magnifique, mais peu plausible historiquement. On sait en effet qu'à l'époque de Monteverdi, les chanteurs de l'opéra venaient à l'église faire les mêmes numéros qu'à la scène. L'atmosphère n'y était pas exactement à l'élévation mystique mais plutôt à l'étalage de pyrotechnie vocale.
Pour preuve, la seule présence des voltigeurs du gosier motivait les " fidèles ", à tel point que les clercs disaient la messe à voix basse pour ne pas gêner ce " public " venu entendre les chanteurs (d'où l'expression consacrée des " messes basses "). Et pour ces Vêpres que Monteverdi dédia au Pape Paul V afin de s'en attirer les bonnes grâces, il n'est pas sûr que cela ait changé quoique ce soit.
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Mais si finalement, la vraisemblance historique n'est qu'un critère qui se discute (n'est-ce pas sous couvert de fidélité que les plus grandes trahisons se commettent ?), le concert de mai a montré que Savall est revenu sur sa conception angélique des Vêpres.Dans un cadre il est vrai peu propice aux élans mystiques -la Cité de le Musique- le maître catalan a délivré une conception beaucoup plus dynamique et brillante de ce sommet précoce de l'art baroque.
Ne pas trahir sa complexité rythmique est déjà un défi que peu réussissent, mais une formalité pour Savall. Sa nouvelle conception plus incisive accroît la lisibilité verticale sans rien sacrifier à l'onctuosité latine d'antan. On savait le chef expert en modelé choral, la partition labyrinthique l'oblige à se surpasser : on n'a jamais entendu un tel équilibre entre sculpture et architecture, une telle puissance sans débauche de décibels, simplement par l'impression de majesté que dégage la structure.
Appuyés sur les charpentes échevelées des harpes (quelle imagination ce Andrew Lawrence-King), les cornets de Jean Tubéry et Jean-Pierre Canihac rivalisent de cascades et de sauts périlleux. Derrière, les solistes ne sont pas tous à la hauteur de l'édifice : les sopranos sont chaussées petite pointure avec des voix de choristes et les protagonistes du Duo Seraphim ne boxent pas dans la même catégorie. Qu'importe, les meilleurs (Garrigosa, Zanasi, Carnovich) comme les autres sont portés puis soulevés par l'irrésistible pouvoir de persuasion du chef.
On peut imaginer une vision plus italienne, plus extravertie, plus flamboyante, plus aveuglante, plus cinglante, plus Caravage que Zurbaran, mais pas plus rayonnante et comme éclairée de l'intérieur.
Vendredi 11 mai – Cité de la Musique
Claudio Monteverdi : Vespro delta Beata Vergine (1610)
La Capella Reial de Catalunya
Choeur de La Capella Reial de Catalunya
Hespèrion XXI
Jordi Savall, direction
Avec Elisabetta Tiso, Monica Piccinini, Lia Serafini, sopranos ; Carlos Mena, contre-ténor ; Lambert Climent, Lluis Villamajo, Francesc Garrigosa, ténors ; Furio Zanasi, baryton ; Antonio Abete, Daniele Carnovich, basses
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