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DOSSIERS |
20 avril 2024 |
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Aspects du Ring
Alors que Paris monte pour la première fois depuis dix ans un nouveau Ring, Altamusica vous propose d'explorer le monument wagnérien à travers trois aspects : Gérard Mannoni revient sur un demi-siècle de mises en scène à Bayreuth et en France ; Yutha Tep interroge Christoph Eschenbach, chef de ce nouveau Ring ; et Yannick Millon vous propose quelques pistes discographiques.
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Bayreuth (suite
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Avec une habileté diabolique, Chéreau et ses acolytes Richard Peduzzi (décors) et Jacques Schmidt (costumes) renouent avec le réalisme, tout en traitant problèmes politiques, idéologiques et sociaux, sans oublier le romantisme ni l'esthétisme, et avec de vrais moyens de théâtre : du vrai feu, de la vraie eau, un rite funéraire d'une beauté à couper le souffle pour l'Annonce de la mort, des trucs de théâtre de tréteaux comme les machinistes visibles poussant les chariots du dragon figurant Fafner, une multitude d'idées plus ingénieuses, astucieuses, efficaces les unes que les autres. Bref, le chef-d'oeuvre absolu, un choc aux multiples retentissements, souvent copié, jamais égalé dans sa richesse et sa beauté.
À la sage vision figurative souvent au premier degré de Peter Hall qui apparaît au Fetspielhaus en 1983, succède en 1988 la mise en scène de Harry Kupfer qui symbolise déjà ce que l'on pourrait appeler l'arrivée de la mode gadget. Elle a le mérite de porter cette mode à des sommets qu'elle n'atteindra plus jamais ensuite, car cette vision d'un monde post-atomique est forte, avec des très belles images, même si matériaux et accessoires n'ont plus rien à voir avec le romantisme scénique wagnérien traditionnel. Pour en rester à Bayreuth, la version d'Alfred Kirchner de 1994 n'est quasiment plus que gadget, avec les costumes et les décors kitsch en diable de Rosalie et un Siegfried rappelant fortement Tintin. Enfin, dans son Ring du nouveau millénaire en 2000, Jürgen Flimm retourne dans le sillage post-chéraldien, mais avec de grands moments de statisme, et sans les vertiges ni les beautés.
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La France
Parallèlement à ce que l'on pourrait appeler les « folies Bayreuth », diverses autres tendances se développent en France, avec déjà en 1979 la première Tétralogie de Nicolas Joel à Lyon et à Strasbourg, et la très décorative et intelligente version Mesguish vue à Nice puis au Théâtre des Champs-Élysées en 1988. Elle est un exemple type d'une démarche libre, riche des récents acquis et d'une liberté nouvelle, avec une certaine surcharge, certes, mais un vrai travail de fond sur la lecture symbolique de l'oeuvre et des images d'une forte originalité. Même liberté, d'ailleurs dans la toute dernière mise en scène de Nicolas Joel achevée en 2003 où la symbolique, l'humour, la beauté des images parfois empruntées au monde du cirque, se mêlent à une lecture très approfondie du texte musical et littéraire avec des qualités esthétiques d'un ordre nouveau.
Si, un peu partout dans le monde, la mode veut ces dernières années que l'on fasse descendre les dieux de leur Walhala en les habillant comme tout un chacun pour en faire des être plus humains, comme nous tous, prétexte à de multiples fantaisies généralement dérisoires et hors de propos, on note également un retour à des visions sobres, dépouillées, soit par nécessité économique, soit par volonté esthétique. C'était déjà vrai du travail de Riber à Orange en 1988, plus encore de celui de Pierre Strosser au Châtelet en 1994. Dans un cas comme dans l'autre, un certain minimalisme des moyens scéniques s'oppose nettement aux délires incontrôlables qui pullulent un peu partout dans le monde.
Phénomène de mode ou cache-misère destiné à faire oublier la disparition des grands interprètes qui officiaient jusqu'à la fin des années 1970 ? Disparus les Wolfgang Windgassen, James King, Jess Thomas, Hans Hotter, Theo Adam, Astrid Varnay, Martha Mödl, Birgit Nilsson, Gwyneth Jones et les Hildegard Berhens, il était presque fatal que le gadget compense le manque de voix et qu'une nouvelle forme de réalisme, plus proche de Monoprix que de l'Olympe triomphe sur le marché lyrique.
Mais tous les espoirs sont permis car, peut-être à cause d'une certaine frustration, jamais la frénésie wagnérienne n'a jamais été en France plus vivante, plus génératrice de conflits, de discussions, de révolutions, d'espoirs. Wagner aura toujours fasciné les Français sans qu'un vrai mariage d'amour soit jamais consommé.
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