Elle se raconte enfin ! Zizi Jeanmaire nous livre aux éditions les Arènes un recueil des meilleurs souvenirs d’une carrière éblouissante, unique en son genre. Sous le titre Et le souvenir que je garde au cœur, ultimes paroles du Temps des cerises, dernière chanson qu’elle chanta sur scène à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille en 2000 et ultime étape d’un parcours incroyable, la star tous azimuts rappelle les grandes joies et les quelques peines de sa vie.

De l’École de danse de l’Opéra de Paris à la création de Carmen de Roland Petit, l’homme de sa vie, aux spectacles fabuleux du Casino de Paris, aux films tournés à Hollywood, aux succès sur scène à Broadway ou à Paris, aux tours de chants peuplés de chansons de Béart ou Gainsbourg, c’est une saga prodigieuse, que personne d’autre qu’elle n’a vécue au XX^e siècle à pareil niveau.

Jambes sublimes, allure incarnant par sa minceur et son élégance signée Dior ou Saint-Laurent la Parisienne dont on rêve dans le monde entier, voici enfin Zizi telle qu’en elle-même. Deux cahiers de photos très bien reproduites illustrent ce récit amusant, touchant, original, intelligent. Un must pour tout amateur de spectacle.

Conjointement à un livre édités aux éditions du Rocher où il raconte bon nombre de ses plus vibrants souvenirs, de son enfance en URSS à ses triomphes internationaux et à ses magnifiques rencontres en passant par le Prix Marguerite Long et son installation en France, Mikhaïl Rudy bénéficie d’une très brillante compilation d’enregistrements de musique romantique chez EMI.

Cinq CD en tout, chacun consacré à un compositeur, à savoir Liszt, Brahms, Schubert, Wagner et Chopin. De Liszt, il a choisi plutôt des pièces légères ou intériorisées (Jeux d’eau de la Villa d’Este, Valses oubliées par exemple), de Brahms les très exemplaires opus 116, 117, 118 et 119, de Schubert outre la tonique Wanderer Fantasie, la discrète 14^e sonate entre autres, de Wagner quelques pages originales et des transcriptions, de Chopin enfin la Sonate funèbre, deux nocturnes et les Préludes.

Autrement dit une volonté affiché de ne pas chercher l’effet facile, mais de nous prodiguer le plus subtile et sincère message du piano romantique sous des aspects très divers. Le résultat est éblouissant, d’une qualité de pensée, de sensibilité et de toucher exceptionnels, mais conformes à la réputation du grand virtuose. Les enregistrements les plus anciens datent de 1986, les plus récents de 2005.

C’est un film réalisé par Dominique Delouche en 1998 qui nous permet de retrouver cette étonnante personnalité du monde musical. Irène Aïtoff avait 94 ans quand ce documentaire fut filmé. Elle devait disparaître en 2006, à 102 ans, quasiment toujours aussi lucide, vive et active.

Peu de temps avant sa mort, elle déclarait encore au téléphone à une amie qui prenait de ses nouvelles : « Ca va à peu près. Je me dégourdis les doigts en travaillant le concerto de Ravel Â». Irène Aïtoff, qui avait été l’accompagnatrice d’Yvette Guilbert avant la guerre, fut ensuite celle des plus grands chanteurs et la collaboratrice des plus grands chefs tels Solti, Karajan ou Giulini.

Chef de chant à l’Opéra de Paris et au festival d’Aix-en-Provence, elle pouvait transposer à vue n’importe quelle partition d’orchestre et éblouit Karajan en accompagnant par cœur ses répétitions de Pelléas. On la voit ici travailler avec de nombreux chanteurs comme Mireille Delunsch, Hélène Delavault ou Laurence Dale, bavarder avec Jane Berbié ou Teresa Berganza, faire la fête avec Bacquier et Elisabeth Cooper, moments de vie et de labeur où elle apparaît telle qu’en elle-même : unique en son genre, irremplaçable, magnifique de professionnalisme et d’intelligence. Un film témoignage fondamental pour tous ceux qui ont vécu la seconde moitié du XX^e siècle lyrique.

Publication très attendue et tout à fait à la hauteur de nos grandes espérances, cette intégrale des Concertos pour piano de Beethoven par Evgeni Kissin, le LSO et Sir Colin Davis est une sorte de monument. Le LSO connaît actuellement une période très brillante et sous la baguette savante, expérimentée, riche d’expérience de Sir Colin Davis, la partie orchestrale des concertos offre à Kissin un écrin magistral.

Il peut à la fois y insérer ses élans, ses choix, ses fantasmes personnels avec ce jeu incroyable de lumière, d’enthousiasme, d’inspiration, et bénéficier de la sagesse puissante de ce partenaire qui tempère certaines audaces. Kissin est aujourd’hui en totale maturité. C’était le bon moment pour réaliser cet enregistrement historique.

Sur les grandes orgues de la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges, haut lieu patrimoniale et historique dont il dirige le festival tous les étés, Jean-Patrice Brosse joue quelques grandes pages de Bach pour orgue : Fantaisies, Toccatas, Préludes et fugues. Claveciniste, organiste, chercheur, auteur de livres sur la musique du Siècle des Lumières, initiateur de spectacles musicaux avec des comédiennes comme Françoise Fabian ou Marie-Christine Barrault, Brosse donne ici une vision très inspirée de ces pages monumentales.

On admire avec quelle science et quelle exactitude de jugement il bâtit ces impressionnantes structures, leur donne vie et couleur, les traite avec un respect qui n‘exclut pas les options nouvelles ou personnelles. On sent derrière cela une vaste culture et une vraie réflexion. Une superbe réalisation pour tout amateur de Bach et de l’orgue.

Ils sont trois à s’être réunis pour célébrer quelques superbes pages de littérature pour viole. John Cheatham, Julien Léonard, Skip Sempé, c’est une pure coïncidence bien sûr, publient cet enregistrement consacré à Marin Marais et Sainte-Colombe au moment où disparaît Guillaume Depardieu, héros du film Tous les matins du monde.

Tous ceux qui aimèrent ce film comme tous ceux qui découvriront maintenant ces musiques seront conquis par la sincérité, la pureté, et en même temps la vivante ferveur de l’interprétation des trois artistes. Rien de compassé ni de lointain, mais à travers ces sonorités de jadis, un engagement émotionnel permanent qui nous touche en profondeur.

L’album comporte aussi un DVD où les mêmes interprètes et d’autres musiciens du Capriccio Stravagante jouent Marin Marais, Hotteterre et Telemann. Un plaisir complet.

Certainement à découvrir pour beaucoup, car elles ne font pas partie du répertoire courant chez nous, les symphonies de Sibelius ont du charme et aussi de la force. En direct à la tête du London Symphony Orchestra dans la série LSO Live, Sir Colin Davis nous livre ici la 1^re et la 4^e symphonie, dans une approche à la fois personnelle et très fidèle à l’écriture du grand compositeur finlandais.

C’est en effet un monde très particulier, pudique et parfois grinçant, alternant froideur et élans lyriques, beaucoup plus moderne dans sa pensée et son expression qu’on ne le pense généralement. La qualité instrumentale des membres du LSO est un atout supplémentaire dans cet appel à entrer dans imaginaire un peu inquiétant, ce qui n’est pas le moindre de ses charmes.

Certainement l’une des plus fascinantes publications de cette rentrée ! Un CD et un DVD qui renouvellent l’approche de la musique pour clavier de Bach presque aussi fort que le fit Glenn Gould en son temps. Au piano et à la direction, avec les musiciens de la Deutche Kammerphilharmonie de Brême, le jeune pianiste nous donne une interprétation fulgurante de quatre concertos, en ré mineur, en la majeur, en fa mineur et en sol mineur.

Ce n’est pas du Bach classique, ni baroque, ni romantique, c’est du Bach débordant de sève vitale, de sensibilité, de vérité viscérale, dans une lecture d’une brillante intelligence fondée sur l’analyse minutieuse des moindres détails de l’écriture de la partie soliste, de la partie orchestrale et de leur rapport.

Si l’on écoute le disque d’abord, on est immédiatement emporté par cette musique hors du temps, qui nous touche à chaque minute au plus profond de nous-même. Si l’on regarde ensuite le film que Bruno Monsaingeon a consacré à l’enregistrement de ces concertos, on comprend vite pourquoi l’impression ressentie est si forte. La précision et la clairvoyance de l’analyse de David Fray, sa force de persuasion avec les musiciens, la subtilité de chacune de ses intentions et la manière dont il les explique, tout cela constitue un spectacle unique en son genre et totalement convaincant.

À noter que le DVD comporte aussi l’enregistrement intégral des concertos et pas seulement les répétitions et les explications complémentaires données hors séances de travail par le pianiste. Vraiment magnifique !

Les amateurs de musique de chambre le connaissent bien. Antoine Tamestit est de ceux qui permettent à certains instruments de continuer à tenir leur place de solistes dans la vie musicale internationale. Avec lui, l’alto est un instrument roi, égal absolu du violon ou du violoncelle. Même dans un répertoire qui n’est pas des plus faciles mais qui s’impose au plus haut niveau grâce à sa technique, à sa musicalité innée et à un grand tempérament.

Publié par Ambroisie, ce CD comporte deux grandes pages contemporaines, le Concerto d’Alfred Schnittke et la Sonate de Chostakovitch. Partitions magistrales l’une comme l’autre, à l’écriture plus austère mais au climat magique dans le cas de Schnittke, au langage plus directement saisissable pour Chostakovitch, sans doute parce que nous y sommes davantage habitués.

De la musique expressive, colorée, étrange parfois, très en phase avec la sensibilité de notre temps, porteuse aussi de cette angoisse intime et de cette spiritualité inhérentes à toute la musique russe. Tamestit, interprète splendide de ces pages, a pour partenaires le pianiste Markus Hadulla, le Philharmonique de Varsovie et le chef Dmitrij Kitajenko.

Avec quelques complices, la pianiste Ariane Jacob, Jean-Louis Capezzali au hautbois, Philippe Berrod à la clarinette, Benoît de Barsony au cor et Laurent Lefèvre au basson, le flûtiste Philippe Bernold rend hommage à Paul Taffanel, un peu oublié mais qui fut considéré comme le plus grand spécialiste de l’instrument dans toute la deuxième moitié du XIX^e siècle avant de se reconvertir en chef d’orchestre.

Il composa naturellement beaucoup pour la flûte et ce sont certaines des plus attrayantes de ses œuvres que Bernold met ici en regard de pages d’autres compositeurs de l’époque, Saint-Saëns et Fauré. Technique parfaite et musicalité très séduisante, Bernold et ses compères nous fournissent l’occasion d’intéressantes découvertes et surtout le plaisir d’entendre en soliste un instrument aux mille séductions. C’est un double CD original et attachant car intelligemment conçu et joué.

Un peu de danse pour finir ! Tout danseur de l’Opéra rêve de devenir Étoile. Il arrive que pour certains ce rêve se réalise au-delà de leurs espérances. Comme un rêve, très joli film de Marlène Ionesco publié par Delange Production, nous raconte comment Dominique Khalfouni eut le bonheur de devenir l’une des ballerines les plus parfaites de la fin du XX^e siècle avec ce titre si envié et comment son fils, Mathieu Ganio, reçut les mêmes honneurs, à 19 ans seulement qui plus est.

Une belle histoire de danse et de famille, puisque la sœur de Mathieu, Marine Ganio, est aussi ballerine dans la compagnie. Khalfouni a été une danseuse d’exception, à l’Opéra d’abord, malgré un grave accident et grâce à un courage hors du commun qui lui permit de se rééduquer toute seule. Elle quitta l’Opéra pour le Ballet de Marseille où elle fut longtemps la star de Roland Petit.

Aucun document, hélas, ne fut autorisé par ce dernier sur cette collaboration pourtant riche en événements. Ce sont donc uniquement interviews actuelles, photos et images filmées plus anciennes dont a disposé Marlène Ionesco. Elle en a fait un beau film poétique avec énormément d’astuce et de goût.

Quand on en vient à Mathieu et à sa carrière d’Étoile encore toute fraîche – il a été nommé en 2004 et n’a aujourd’hui que 23 ans –, les images de danse sont forcément d’une autre nature. Beaucoup de témoignages, de Barychnikov, de Michael Denard, de Pierre Lacotte, de Rudy Brians, de Vassiliev, complètent cet hommage aussi réussi que bien venu à cette lignée de danseurs du plus haut niveau.

On se doit également de louer l’extraordinaire modestie de la mère comme du fils, qui ne parlent que travail et chance, comme si tout ne reposait pas aussi sur leur immense talent !