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DOSSIERS |
20 avril 2024 |
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Des offrandes musicales
Les marchés du disque et du livre classiques sont, paraît-il, perpétuellement enrhumés. En guise de modeste contribution pour sauver un capitalisme qui lui est cher, altamusica propose de le soutenir en demandant à ses lecteurs d'offrir des CD et des livres à leurs amis. Et puisqu'il faut aider les ventes à gonfler, pourquoi ne pas offrir aussi des disques à ses ennemis ?
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L'art de la symphonieUn monument de granitLes cadeaux de Noël 2013 d'Altamusica[ Tous les dossiers ]
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4 disques à offrir à des amis
Reinhard Keiser
Croesus
Choeurs du RIAS et Knabenchor de Hanovre, Akademie für alte Musik de Berlin, direction René Jacobs.
Coffret de 3CD HMC 901714.16.
Un vertige, un enchantement. Mais surtout un incroyable laboratoire de musique et de théâtralité dans la jeune histoire de l'opéra allemand au début du XVIIIe siècle. Plus exactement, le Hambourgeois Keiser emporte l'auditeur dans un tourbillon d'idées neuves, imposant ici un irrésistible don dramatique (dès l'orageuse Sinfonia d'ouverture) ; là , jouant d'une inépuisable invention mélodique. Aussi bien, la clé de ma béatitude tient dans le bonheur inouï du réveil proposé par un René Jacobs royal, à la tête d'une formidable équipe vocale (inoubliable Dorothea Röschmann, entre autres) et orchestrale. N'en disons pas plus : ce Croesus foisonnant et superbe de style jette, tel le modèle de l'histoire, l'or du Baroque à pleines mains.
Lire aussi la critique de Yutha TEP
Henri IV et Marie de Médicis – Messe de Mariage
Doulce Mémoire. Direction Denis Raisin-Dadre.
1 CD Astrée Naïve E8808.
Les Noces d'Henri IV et de Marie de Médicis, voici quatre siècles, furent une célébration en deux temps. D'abord un prélude florentin, rendu fameux par la représentation de l'Euridice de Peri, premier opéra connu de l'histoire (octobre 1600). Puis l'acte lyonnais, deux mois plus tard, en présence du royal époux qui n'était pas du voyage en Toscane. En stratège des commémorations, Doulce Mémoire vient de redonner vie à ce rêve nuptial – à l'exception de l'Euridice – en empruntant aux cérémonies tant italiennes que françaises.
En tout cas, jouant en orfèvres de l'instant profane ou spirituel, Denis Raisin-Dadre et ses complices recréent la magie d'un son Renaissance, soudain singulièrement proche, crédible. Et si la gloire des Médicis n'est pas oubliée (l'opulente Messe de Da Gagliano), l'auditeur est surtout fasciné par les trouvailles métriques de Claude Le Jeune, novateur fascinant dans le grand épithalame "mesuré" O Hymen, Hyménée, Hymen.
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La Barca d'Amore : Balli, canzoni, motetti diminuiti e sonate per il cornetto solo
ÂŒuvres de Lassus, Bassano, Willaert, Fontana, etc.
Le Concert Brisé, William Dongois, cornetto.
1 CD Carpe Diem.
Miroir de la voix humaine, aux XVIe et XVIIe siècles, le cornet à bouquin a gardé intact aujourd'hui son pouvoir de fascination. Comme en témoigne l'émergence d'une école virtuose où la " manière " française est à l'honneur avec Jean Tubéry, Jean-Pierre Canihac et William Dongois.
C'est ce dernier qu'il faut hisser ici sur le pavois. Ou plutôt sur cette "Barca d'amore" qui promène l'auditeur dans les glorieuses sonorités du concert vénitien entre Renaissance et baroque. Un concert qui s'enivre de ses propres couleurs à Saint-Marc, mais sans s'écarter de l'idée primordiale d'un "parler musical" sans le secours de la parole. Toujours est-il qu'on ne peut rêver meilleur guide que Dongois, magicien du trait funambule s'il en est, pour magnifier la fête acoustique qui est au coeur de ces musiques d'espace et d'apparat.
Giovanni Battista Pergolèse
Stabat Mater et Salve Regina
Barbara Bonney, soprano, Andreas Scholl, contre-ténor. Les Talens Lyriques, direction Christophe Rousset.
1 CD Decca-L'Oiseau-Lyre.
Le Stabat Mater de Pergolèse est une oeuvre unique, une subtile alchimie où se vérifie la loi des contraires. À la terre du Sud qui l'a vu naître, appartient ce dolorisme processionnel qui renvoie à la tradition dramatique des confréries de pénitents à Naples. Et du Ciel qui l'a inspiré, descend ce belcantisme mystique qui dit – quand les acteurs sont habités – la victoire de l'Esprit sur les défaillances de l'humaine nature. Mission réussie ici au-delà de toute espérance, avec la rencontre Barbara Bonney-Andreas Scholl, sur laquelle veille avec un soin jaloux Christophe Rousset qui enchâsse ces deux voix d'éternité dans un écrin instrumental qui déplore, conforte, exhorte sans désemparer.
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1 disque à offrir à un ennemi
Jean-Sébastien Bach
Les 4 Suites pour orchestre, BWV 1066 Ã 1069
1 coffret de 2 disques Orfeo "Festspiele Dokumente".
Dans les archives sonores, pourtant si riches, de l'éditeur Orfeo, ces Suites pour orchestre du Cantor, version festival de Salzbourg de la décennie quatre-vingt, auraient pu dormir longtemps encore sans dommage pour les discophiles. Un document d'époque ? Si l'on veut, s'agissant du Bach "de papa", ce fossile complètement égaré dans une année-anniversaire où les approches baroques ont régné sans partage.
Certes, on se souvient avec émotion des fulgurances de Sándor Végh dans les Quatuors de Beethoven, Schubert et Bartók. Mais l'exhumer à la tête de la très conformiste Camerata Academica de Salzbourg dans les Suites orchestrales de Jean-Sébastien est l'exemple même du geste discographique inutile. Surtout que dans les mêmes années quatre-vingt, l'interprétation sur instruments anciens avait déjà fait jouer de solides arguments en sa faveur.
À commencer par ce juste style que le pionnier Harnoncourt avait su imposer avant tous les autres. Aussi, par respect pour l'immense artiste que fut Vegh dans d'autres répertoires essentiels, on gardera de cette réédition l'image de ce qu'il ne faut pas faire : tempi interminablement étirés, rythmes routiniers et dynamique désespérément étale. |
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1 livre à offrir à un ami
Etienne Moulinié, Intendant de la musique aux états du Languedoc
par Jean-Louis Bonnet et Bérangère Lalanne.
Éditions les Presses du Languedoc, 108 pages. 100 francs.
L'oeuvre de l'inventif Etienne Moulinié éclaire d'une lumière nouvelle le rôle des chapelles de la France du Sud, au XVIIème siècle, dans le travail des musiciens faisant alors carrière à la cour, aussi bien qu'à Paris.
Formé à la maîtrise de la cathédrale de Narbonne, puis monté dans la capitale au service de Gaston d'Orléans, frère du Roi Louis XIII, Moulinié s'est illustré dans le genre à la mode : l'air de cour. Mais il a collaboré également à des ballets, valorisés par d'ingénieuses machineries. Avant de revenir en Languedoc où il mourra, honoré et reconnu, alors que commence auprès de Louis XIV le règne de Lully.
C'est cette figure foncièrement baroque que font revivre avec talent Jean-Louis Bonnet et Bérangère Lalanne dans ce passionnant petit livre qui se lit comme un roman. Il suffira d'ajouter que le retour à Moulinié gagne aujourd'hui le disque et nous révèle la richesse d'un concert louis-treizième à l'écoute, entre autres, de la modernité venue d'Italie.
Il est à noter que certains de nos collaborateurs ont choisi les mêmes disques, altamusica a respecté leurs inclinations. Par ailleurs, puisqu'on n'offre pas nécessairement des livres ou disques de parution récente, certains ont carrément préféré des valeurs sûres.
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