Il Sogno di Scipione
En marge des chefs-d'oeuvre mille fois révérés du divin Mozart, le projet Mozart 22 aura été l'occasion de se faire un avis éclairé sur des aspects plus méconnus de la production du compositeur. Ainsi de ce rarissime Songe de Scipion, ressuscité dans une mise en scène décapante et avec un plateau juvénile. Quelle star en effet ingurgiterait de bon coeur les huit minutes de coloratures de chacun des airs da capo de cette action théâtrale à la louange du non encore honni Colloredo ? Force est pourtant de reconnaître à la musique la même richesse, les mêmes fulgurances de génie que dans un Mitridate ou un Lucio Silla, même si on est encore, bien sûr, au coeur des canons du style de l'époque, et que l'action, de la main de l'incontournable Métastase, demeure des plus conventionnelles.
Aussi, et sans atteindre à un résultat véritablement original, Michael Sturminger a-t-il choisi d'humaniser cette vaste allégorie en faisant de la Constance le porte-drapeau de la famille et de la respectabilité, et de la Fortune l'enseigne de l'amour libre. Entre les deux, le coeur de Scipion balance, mais ses aïeux, tous beaux exemples de réussite bourgeoise, nourriront sa réflexion, jusqu'à son grand-père Publius qui n'hésitera pas à se relever du cercueil pour lui faire méditer l'exemple du chêne qui perd ses feuilles mais consolide ses racines dans l'adversité. Puis, à l'heure où le jouisseur Scipion doit choisir la Constance, il se retrouve dans sa chambre d'hôtel, et la femme de chambre lui offre la pomme de la discorde. Il la choisira elle contre la Constance-Minerve et la Fortune-Junon. Petite odeur de brûlé
Dans la fosse, le tout jeune Robin Ticciati dirige avec engagement un Orchestre de Carinthie efficace mais lesté par des cors souvent encombrants, et un plateau
problématique. On sent que les chanteurs adhèrent pleinement au projet et le défendent de toutes leurs forces, mais c'est hélas où le bât blesse. Iain Paton est proche de l'impossible, Blagoj Nacoski se dépêtre à peine du deuxième air – il est vrai très ardu – de Scipion, Robert Sellier surnage honnêtement au-dessus de ses collègues masculins, et si Louise Fribo fait étal d'une belle agilité et de belles intentions, le timbre reste un peu blanc. En face, Bernarda Bobro essaie de pétiller avec des aigus bien petits et un timbre pointu, tandis qu'Anna Kovalko affiche une voix monolithique et un peu dans le gras.
La mise en scène fonctionne sans échapper toujours aux clichés – encore et toujours la bourgeoisie et ses cocktails Ferrero rocher – et en évacuant beaucoup du sens de l'oeuvre au profit d'une légèreté pas toujours justifiée, et le plateau reste très ordinaire. Décevant, en tout cas pour Salzbourg.
Thomas COUBRONNE
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Il Sogno di Scipione, azione teatrale, K. 126 (1771)
Livret de Pietro Metastasio
Blagoj Nacoski (Scipione)
Louise Fribo (La Costanza)
Bernarda Bobro (La Fortuna)
Iain Paton (Publio)
Robert Sellier (Emilio)
Anna Kovalko (soprano solo)
Chor des Stadttheathers Klagenfurt
Kärntner Sinfonieorchester
direction : Robin Ticciati
mise en scène : Michael Sturminger
décors et costumes : Renate Martin & Andreas Donhauser
préparation des choeurs : Alexander Kowalsky
Enregistrement : Salzburg, Große Universitätsaula, 16-18/082006
1DVD Deutsche Grammophon « Mozart 22 » 073 4249
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