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DOSSIERS |
19 mars 2024 |
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Noël à Versailles
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Armide
Stéphanie d’Oustrac (Armide)
Paul Agnew (Renaud)
Laurent Naouri (la Haine)
Les Arts Florissants
direction : William Christie
mise en scène : Robert Carsen
décors & costumes : Gideon Davey
Ă©clairages : Robert Carsen & Peter Van Praet
captation vidéo : François Roussillon
Enregistrement : Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 10/2008
2 DVD fRA MUSICA FRA005
Que dire de cette Armide des Arts Florissants au TCE ? Le plateau rassemble les stars du moment du baroque français, dont la magicienne charismatique de Stéphanie d’Oustrac, et l’orchestre de William Christie n’a plus rien à prouver dans un répertoire qu’il connaît sur le bout des archets. La production de Robert Carsen, tour à tour ludique et cruelle, fait un sort original au prologue, qui devient l’occasion d’une visite dans la chambre de Louis XIV à Versailles, et d’un somme dans le lit royal pour Renaud, touriste bien d’aujourd’hui qui par ce biais accède à la fable et au lit d’Armide – Paul Agnew touchant par son chant suave malgré un matériau vocal sans réel charme.
Dans une scénographie épurée, dominée par l’argenté du royaume protocolaire d’Armide et le rouge des passions – parfois les plus obscènes –, la jeune femme solitaire au milieu de ses sujets obséquieux cache sous sa robe écarlate un tempérament de feu dans l’amour comme dans la haine – scène de la Haine d’une brutalité tout à fait réussie. La chorégraphie tonique de Jean-Claude Gallotta complète avec bonheur la direction rigoureuse et pleine de morgue de Christie depuis le clavecin.
Malgré quelques pointes d’accent ici ou là – mais nous avons pu nous passer des sous-titres ! –, et des voix parfois disparates, l’ensemble s’impose comme une version incontournable d’un opéra jusqu’alors indisponible en vidéo et d’ailleurs fort rare au disque.
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Noël à Venise
André Campra (1660-1744)
Le Carnaval de Venise
Salomé Haller (Isabelle)
Marina De Liso (LĂ©onore)
Andrew Foster-Williams (Rodolphe)
Alain Buet (LĂ©andre)
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Chœur et Orchestre du Concert Spirituel
direction : Hervé Niquet
Enregistrement : Paris, salle Colonne, 01/2011
Livre + 2 CD Glossa GES 921622-F
Toujours dans un habillage qui constitue à lui seul un beau cadeau, Glossa édite un charmant Carnaval de Venise de Campra (1699) dirigé par Hervé Niquet, opéra-ballet qui ne connut ni le succès de l’Europe galante (1697) ni des Fêtes vénitiennes (1710). L’argument, bien mince il est vrai, est en cela conforme aux exigences d’un genre qui fait la part belle aux divertissements, avec ici un talent très manifeste, et un esprit gracieux au fond assez sérénissime.
Niquet vogue évidemment dans ses lagunes, le Concert Spirituel expose un beau moelleux, et le plateau s’empare avec panache d’une œuvre brillante et pleine de trouvailles, conjuguant italianisme et modèle de cour français. Si le Rodolphe monolithique d’Andrew Foster-Williams parle un français intelligible mais exotique, Alain Buet a l’aplomb qu’on lui connaît, et tandis que Marina De Liso compense un français pas impeccable par une matière profonde, Salomé Haller prodigue sans doute les plus belles sophistications de timbre de l’enregistrement, tandis que reviennent à Blandine Staskiewicz les plus évocatrices inflexions déclamatoires.
Mais c’est peut-être Mathias Vidal qui tire son épingle du jeu par sa fraîcheur, le naturel de son émission à la française dans le sillage d’un Gilles Ragon, et la limpidité de sa diction. L’ensemble rend en tout cas parfaitement justice à un compositeur qui fut en son temps regardé comme la relève de l’incomparable Lully. Le livret, extrêmement riche, fournit de nombreuses ressources sur le contexte culturel et éclaire maints aspects de l’œuvre, de la dramaturgie aux apports italiens. De quoi être incollable sur Campra.
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Noël outre-Rhin
André Tubeuf
Le Lied, poètes et paysages
Livre de 512 pages
Éditions Actes Sud
IBSN 978-2-330-00075-2
On aime ou on n’aime pas André Tubeuf, sa plume, son lyrisme, ses maniérismes, ses goûts aussi, et son attachement à une certaine génération d’interprètes. Mais son ouvrage sur le Lied – en réalité réédition révisée d’une parution de 1993 – constitue indéniablement une somme sur la question, dont la principale richesse réside dans l’ambiguïté du projet : ni véritable histoire du genre, ni pur essai esthétique, c’est à la croisée des deux chemins que se dessine une pensée sur le Lied qui embrasse tout à la fois une description objective de son évolution et une réflexion subjective sur son contenu évocateur.
Comprendre Schubert, c’est aussi aimer Schubert, et l’exaltation de l’auteur enrobe tout ce qui pourrait être aride. Alors bien sûr, il faut accepter de suivre Tubeuf dans ses envolées ; mais ce guide-là est moins un spécialiste qu’un amoureux, et c’est précisément en cela qu’il rend justice à ce répertoire exceptionnel. Volontairement organisé autour d’une poignée de compositeurs – et donc d’une chronologie parfois peu lisible –, l’ouvrage procède moins d’une description encyclopédique du phénomène que d’une présentation de ses enjeux : de quoi parle cette musique, que cherche-t-elle, qu’y peut-on trouver ?
Une excellente porte d’accès, en particulier pour ceux que ce répertoire intimide – et ils sont nombreux, surtout en France, barrière de la langue oblige.
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Noël à Mahagonny
Kurt Weill (1900-1950)
Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny
Jane Henschel (Leocadia Begbick)
Donald Kaasch (Fatty)
Willard White (Trinity Moses)
Measha Brueggergosman (Jenny Smith)
Michael König (Jim MacIntyre)
Coro y Orquesta del Teatro Real
direction : Pablo Heras-Casado
mise en scène : La Fura dels Baus
scénographie : Aflons Flores
costumes : Lluc Castells
éclairages : Urs Schönebaum
captation vidéo : Andy Sommer
Enregistrement : Madrid, Teatro Real, 09/2011
DVD BelAir Classiques BAC067
Gerard Mortier semble avoir une affinité particulière avec la Mahagonny de Kurt Weill, à en juger par cette nouvelle production madrilène dix ans après Salzbourg. Deux conceptions radicalement différentes, qui valent ici un spectacle très équilibré entre cynisme et cruauté, en adéquation parfaite avec la battue de Pablo Heras-Casado, souvent bien limpide dans le drame manifeste, mais d’une ambiguïté rare lors des épisodes plus intérieurs.
La ville s’édifie sur une décharge peuplée d’autochtones déshumanisés, et il n’est jusqu’à la plage de green en tapis de billard d’assumer qu’elle est née de l’ordure. Le ton léger presque omniprésent peint sans enfoncer le clou les travers des sociétés modernes, en assumant épisodiquement un sordide on ne peut plus cru – la mangeoire puis le bordel – qui pointe du doigt les excès irréductibles du monde capitaliste : les cigares, le whisky et les filles devraient suffire à n’importe quel homme digne de ce nom, ce qui disqualifie d’emblée le Jim McIntyre vulnérable de Michael König.
La Jenny très panthère noire de Measha Brueggergosman sue par tous les pores la sensualité et une détresse très féminine, qui contraste d’autant plus avec les trois affreux – imposant Willard White, infecte Jane Henschel, pervers Donald Kaasch. Le tout avec la virtuosité scénographique qu’on connaît à la Fura dels Baus, culminant en une manifestation aux slogans pour le moins choquants dans le contexte actuel de crise – pour la liberté, les riches, le crime – qui soulignent tragiquement la clairvoyance de Brecht sur l’impasse de la société occidentale et du matérialisme.
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Noël en Provence
Darius Milhaud et sa musique
De la Provence au monde
Film de CĂ©cile Clairval-Milhaud
2 DVD sTeinVAL
On connaît assez mal Darius Milhaud, dont somme toute bien peu d’œuvres sont encore fréquemment au répertoire, dans un catalogue pourtant roboratif – 443 œuvres, dont pas moins de 16 opéras, 14 ballets, 12 symphonies, et de nombreuses musiques de films. On connaît encore moins sa vie, pourtant riche de voyages et d’expériences. Ce coffret de 2 DVD propose de réparer joyeusement ces lacunes, à travers un certain nombre de documentaires consacrés à sa vie, sa veuve, les endroits qu’il aimait, notamment le Brésil, et sa musique bien sûr, ainsi que des enregistrements de la Cheminée du roi René et les Premier et Dix-Huitième Quatuor.
Un cadeau hors des sentiers battus, débordant d’énergie, qui permet de cerner un compositeur extrêmement original – qu’on compare l’espièglerie du Bœuf sur le toit à la barbarie de l’Orestie – et qui ne craignait pas une certaine forme d’innocence, exaltée notamment dans son rapport à sa Provence natale, dans des transpositions comme Esther de Carpentras ou les Malheurs d’Orphée.
L’occasion aussi de se replonger dans l’atmosphère si particulière de l’époque du Groupe des Six, de la complicité avec Cocteau ou Claudel, ou dans l’arrivée du jazz chez les classiques. Un moyen enfin d’inviter un peu de soleil provençal et de rythmes brésiliens au pied du sapin.
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Noël à Rome
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Agrippina
Alexadrina Pendatchanska (Agrippina)
Jennifer Rivera (Nerone)
Sunhae Im (Poppea)
Bejun Mehta (Ottone)
Marcos Fink (Claudio)
Neal Davies (Pallante)
Dominique Visse (Mago Narciso)
Daniel Schmutzhard (Lesbo)
Akademie fĂĽr alte Musik Berlin
direction : René Jacobs
3 CD Harmonia Mundi HMC 902088.90
Toujours théâtral et érudit, le travail de René Jacobs nous conduit ici dans les intrigues de succession de l’Empire romain avec une réflexion originale sur les concours de prestige des chanteurs de l’époque de Haendel. Reconstituant une version originale de l’Agrippina non défigurée par les retouches qu’exigèrent vraisemblablement les chanteurs et l’usage, il propose une passerelle passionnante entre Monteverdi et Mozart, dont le ciment est le récitatif, dramatique et inspiré, insufflant vie et continuité à une œuvre sans doute trop moderne pour son temps.
Tonicité sans faille de l’Akademie für alte Musik Berlin, phrasés caractérisés, éclairés par une note d’intention passionnante du chef, débit nerveux – dès les silences de l’ouverture –, bel canto soigné de tous les protagonistes, qu’il s’agisse de coloratures ou de legato, il n’y a rien à redire à ce travail solide intellectuellement et d’une plénitude évidente.
La distribution est idéale : Agrippina sensuelle et frémissante d’Alexandrina Pendatchanska, Néron ambigu de Jennifer Rivera, Poppée lusinghiera faussement virginale de Sunhae Im, Ottone à fleur de voix de Bejun Mehta, Claudio à la morbidezza de roi Marke (!) de Marcos Fink, Pallante aristo de Neal Davies, et l’impayable Dominique Visse qu’on a plaisir à entendre en Narciso si extrême.
Si l’on veut bien se souvenir du niveau de la concurrence, Racine et son Britannicus, Monteverdi et son Incoronazione di Poppea, on se félicitera qu’Haendel puisse être défendu avec autant d’intelligence et de force dramatique.
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