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DOSSIERS |
20 avril 2024 |
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53e Concours de Jeunes Chefs d’Orchestre de Besançon
À l’issue d’une édition 2013 qu’il aura dominée d’un bout à l’autre, malgré la concurrence certaine de candidats aguerris à l’exercice, le Taïwanais Yao-Yu Wu a remporté sans faire le moindre pli le Concours de Jeunes Chefs d’Orchestre de Besançon. Chronique d’une ascension fulgurante sur une petite semaine de compétition.
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1/4 de Finale
Mardi 17 septembre – Kursaal
Hindemith : Symphonie Mathis der Maler (troisième mouvement)
Orchestre national de Lorraine
Mardi après-midi, de nouveau au Kursaal. Contrairement à ce qui avait été annoncé après les résultats la veille au soir, sous l’impulsion du président du jury Gerd Albrecht trouvant la musique du Pelléas et Mélisande de Fauré trop simple, les candidats, qui disposent chacun de vingt-cinq minutes de passage, ne travailleront finalement que le dernier mouvement de la Symphonie Mathis le peintre de Paul Hindemith.
Exercice redoutable tant cette partition à l’orchestration épaisse, au flux musical heurté et au caractère récitatif est complexe à mettre en place dans ses premières mesures. L’écrémage se fera donc assez naturellement, d’aucuns donnant l’impression de ne plus savoir quoi travailler au bout de quinze minutes.
L’Orchestre national de Lorraine trône désormais sur le plateau, les partitions choisies requérant dès lors de larges effectifs. Dernier à passer la veille, Kiril Stankow essuie cette fois les plâtres en pôle position. Pas toujours très clair de battue, il évoque pour mieux se faire comprendre le serpent tentateur de la Bible, et règle maint détail en sachant très nettement l’image sonore qu’il désire (sur les cuivres notamment).
Rescapée des 1/8 de finale où elle n’avait guère brillé, Kai-Hsi Fan montre ici un bon pouvoir de conviction, avec un son tendu, bien ramassé, et se fait plus précise que l’Allemand sur le récitatif introductif. La Taïwanaise monte aujourd’hui en régime, avec des demandes bien ciblées et de plus en plus pertinentes au fur et à mesure de sa petite demi-heure de passage. Reste qu’elle envisage l’œuvre sous l’angle réducteur de la seule musique instrumentale.
À l’inverse, Huba Hollóköi invoque d’emblée la Tentation de saint Antoine et les démons présents dans le programme de l’œuvre avec un bel effet, dû également à un geste clair et sans esbroufe, et fait son possible pour que l’orchestre obtienne plus de vérité dramatique en jouant moins beau, pointant au passage toutes les approximations et trouvant à chaque problème sa solution. Du reste, le Hongrois présente le profil de chef le plus satisfaisant jusqu’ici dans son rapport aux musiciens, dans une espèce de doctrine « ni pote ni despote » qui fonctionne à merveille.
Aussi nerveux et spasmodique que la veille, Szymon Makowski tremble beaucoup et n’inspire pas une grande sérénité pour ce répertoire en rien facile. Dirigeant les yeux fermés et sans baguette, formulant ses demandes dans un anglais assez moyen, il donne l’impression de ne pas être très à l’aise dans cet univers, alors qu’il était l’un des meilleurs beethovéniens du premier tour.
Le très loquace Américain Scott Voyles, plutôt clair dans le récitatif, parle trop, et finit par embrouiller l’orchestre à force d’explications, assemblant des petits morceaux de musique déconnectés entre eux et s’agitant au point de perdre ses lunettes. Reste qu’on se demande si sa vision de ce répertoire austère est pertinente lorsqu’il demande au hautbois de phraser « comme une soprano chantant du bel canto ».
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À la séance de 20h, Hyun-Jin Yun fait le choix d’un travail uniquement instrumental, sans référence contextuelle aucune, et monte un Hindemith virtuose, qui tient bien la distance dans le tempo très rapide du Sehr lebhaft, ne s’essoufflant guère sur la durée. Ce travail d’orchestre reste pauvre en images et plutôt basique dans le fond, mais les instrumentistes suivent au cordeau, ce qui compte sans doute le plus au final.
Avec ses magnifiques moulinets de poignet à la Carlos Kleiber, Yao-Yu Wu exhibe une gestique extraordinaire de suggestion et de plastique, à tel point qu’on ne décroche à aucun moment les yeux de l’écran qui le filme de face en direct. On reste hypnotisé par cette battue précise, élégante en diable et dosée à la perfection. Ou comment contourner par l’efficacité du geste toutes les embuches rythmiques de Mathis der Maler. N’est-ce pas finalement le but ultime de la direction d’orchestre ?
Rompu à une discipline plus terrienne et pragmatique, Mikhaïl Letonyev explique ce qu’il veut avant de lever la baguette. Sa direction possède un caractère nihiliste et brutal qui renverse tout sur son passage, sans trop s’arrêter aux détails. Il file ainsi beaucoup plus qu’il ne travaille et avance plus loin dans la partition que ses prédécesseurs, atteignant même la double barre finale. Mais que de scories laissées en jachère sur sa route !
Hésitante, vraiment pas à l’aise en anglais, Hsien-Wen Tseng fait peine à voir dans l’effort et finit par assoupir la salle et l’orchestre par son travail soporifique et confus, sans compter qu’elle ne maîtrise en rien les éclats dynamiques d’une partition qui a tendance à beaucoup saturer dès lors que le chef n’en tient pas fermement les rênes.
Petit moment de détente pour finir avec le passage d’un Sohrab Kashef qui fait le show en donnant à la voix des exemples presque hystériques mais bâtonne souvent sans précision ni élégance. Une nouvelle fois, le regard de ce quasi autodidacte qui ne manque jamais d’idées en dit plus long que sa technique du geste.
On retiendra surtout ses remarques déclenchant le rire du public sur le jeu trop plastique de l’Orchestre de Lorraine : « ce que vous faites est trop beau, ce n’est pas de la musique française, c’est de la musique allemande ! » Et d’en rajouter une couche quelques instants plus tard en demandant à ce que les doubles croches des cuivres cinglent telle une rafale de mitraillette. Gerd Albrecht, le visage impassible et fermé, fait mine de n’avoir pas entendu.
Délibérations express une fois encore, et stupéfaction de découvrir que le jury n’a retenu finalement que cinq candidats (Fan, Makowski, Hollóköi, Stankow et Wu) pour les demi-finales alors que le règlement prévoit jusqu’à six places. On regrette cette décision alors que certains jeunes chefs certes moins efficaces qu’au tour précédent n’avaient sans doute pas encore prouvé l’étendue de leurs capacités, surtout pour se frotter aux épreuves d’opéra et d’oratorio qui réservent immanquablement des surprises.
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