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DOSSIERS |
19 mars 2024 |
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BarenboĂŻm fĂȘte Salzbourg
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 4 en sol majeur op. 58
Pierre Boulez (*1925)
Notations pour orchestre
Anton Bruckner (1824-1896)
Te Deum
Dorothea Röschmann, soprano
Elina Garanča, mezzo-soprano
Klaus Florian Vogt, ténor
René Pape, basse
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction et piano : Daniel BarenboĂŻm
Enregistrement : Salzburg, Grosses Festspielhaus, 26/07/2010
DVD C Major Unitel Classica 706808
Tout le musicien Daniel BarenboĂŻm est rĂ©sumĂ© dans cette captation du concert dâouverture de Salzbourg 2010, qui fĂȘtait Ă la fois le quatre-vingt-dixiĂšme anniversaire de la naissance du festival ainsi que les soixante ans jour pour jour de lâinauguration du Grosses Festspielhaus.
On retrouve dâabord le concertiste, jouant au milieu de Wiener Philharmoniker en petit comitĂ© et dirigeant depuis le clavier un QuatriĂšme Concerto de Beethoven qui nâa jamais sonnĂ© aussi voisin de la Symphonie Pastorale, en paisible flux, dâun dĂ©roulement bonhomme hĂ©rissĂ© de quelques tensions â lâattaque du mouvement lent, les tutti du Finale, qui se dĂ©sengourdit progressivement â et parcouru par une nostalgie typiquement viennoise â jusquâaux funĂšbres interrogations de lâAndante, dont la conclusion touche au sublime.
BarenboĂŻm dĂ©fenseur de la musique de son temps ensuite, au pupitre de la version pour orchestre des Notations de Boulez, occasion dâune joyeuse explosion de gerbes sonores tantĂŽt de chair crue â Notation II, innervĂ©e par les timbales de Bruno Hartl â, tantĂŽt dâune texture messiaenesque se parant au contact des musiciens autrichiens de teintes Ă la Alban Berg â Notation III, oĂč semble errer la silhouette de Lulu.
BarenboĂŻm hĂ©raut du grand rĂ©pertoire enfin, dans un Te Deum de Bruckner portĂ© par un glorieux quatuor de solistes â le soprano irradiant de Dorothea Röschmann, le tĂ©nor Ă©vangĂ©lique dâun Klaus Florian Vogt idĂ©alement immatĂ©riel. Comme son modĂšle Wilhelm FurtwĂ€ngler, le chef israĂ©lo-argentin dĂ©fend un Bruckner toujours mobile et rubato, aux effets de masse jamais engluĂ©s. On oubliera vite les nĂ©gligences du maestro dans les attaques pour retenir une gĂ©nĂ©rositĂ©, un climat habitĂ© qui dĂ©passe la simple monumentalitĂ©, et un effectif choral et orchestral au grain somptueux.
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Alles Guth !
Mozart-Da Ponte Operas
Konzertverenigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Nikolaus Harnoncourt, Bertrand De Billy, Adam Fischer
mise en scĂšne : Claus Guth
décors : Christian Schmidt
captation : Brian Large
Enregistrements : Salzbourg, Haus fĂŒr Mozart, 2006, 2008, 2009
Coffret 6 DVD EuroArts Unitel Classica 2058818
Au risque de nous rĂ©pĂ©ter, profitons de lâoccasion de la sortie en coffret de la trilogie Mozart-Da Ponte de Claus Guth Ă Salzbourg pour rappeler Ă quel point cette somme compte parmi les plus grandes rĂ©ussites scĂ©niques des annĂ©es 2000, les productions les plus dĂ©bordantes dâintelligence et dâanalyse psychologique conçues rĂ©cemment.
La demeure bourgeoise Ă la Bergman de Noces dĂ©sillusionnĂ©es et leur Cherubim infiniment poĂ©tique, la sombre forĂȘt oĂč agonise pendant trois heures un Don Giovanni en pleine crise de dĂ©rĂ©liction, lâexpĂ©rience des premiĂšres blessures amoureuses chez une jeunesse dorĂ©e dans CosĂŹ, et autant de ponts entre trois ouvrages creusant en profondeur lâĂąme de personnages si finement caractĂ©risĂ©s, tout cela sâaborde comme un vĂ©ritable cycle.
Remercions au passage Unitel alors tout juste ressuscitĂ© dâavoir flairĂ© lâĂ©vĂ©nement et mis en boĂźte cette trilogie fondamentale, avec un seul regret majeur â hormis des directions aussi dĂ©pareillĂ©es que celles dâHarnoncourt, De Billy et Fischer â, celui dâavoir livrĂ© le CosĂŹ Ă la postĂ©ritĂ© la premiĂšre annĂ©e.
ConsidĂ©rĂ© comme le maillon le moins abouti, la Scuola degli amanti a Ă©tĂ© repensĂ©e de fond en comble lors de son unique reprise cet Ă©tĂ©, au point quâil ne serait pas abusif de parler de nouvelle production, vĂ©ritable laboratoire de lâamour, entiĂšrement Ă©purĂ©, plus cohĂ©rent encore et Ă©cartant le numĂ©ro de Patricia Petibon, Ă©bouriffant mais un peu Ă©tranger au climat gĂ©nĂ©ral.
Il faudra donc faire avec ce regret Ă©ternel, la nouvelle direction de Salzbourg venant dâannoncer lâabandon total des reprises dans la ville de Mozart. Ă lâissue du visionnage de ces 6 DVD, nous vous invitons donc Ă relire le compte rendu de Thomas Coubronne pour imaginer Ă quoi peut ressembler le CosĂŹ dĂ©finitif de Claus Guth.
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Course Ă lâabĂźme
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Don Giovanni
Gerald Finley (Don Giovanni)
Anna Samuil (Donna Anna)
Kate Royal (Donna Elvira)
Luca Pisaroni (Leporello)
William Burden (Don Ottavio)
Anna Virovlanski (Zerlina)
Guido Loconsolo (Masetto)
Brindley Sherratt (Commendatore)
The Glyndebourne Chorus
Orchestra of the Age of Enlightenment
direction : Vladimir Jurowski
mise en scĂšne : Jonathan Kent
décors : Paul Brown
Ă©clairages : Mark Henderson
captation : Peter Maniura
Enregistrement : Glyndebourne, 2010
2 DVD EMI Classics 0 720017 9
Mozart encore, et un Don Giovanni tout aussi passionnant dĂ» au Britannique Jonathan Kent, qui signait pour Glyndebourne 2010 une mise en scĂšne aux relents de Dolce vita, fellinienne en diable avec son Don Giovanni-Marcello des plus cyniques, son Leporello-Paparazzo.
La transposition ne coince jamais aux entournures du surnaturel oĂč tant de relectures sâĂ©chouent, lâenfer faisant ici irruption dĂšs une fin de I Ă couper le souffle, quand la foudre provoque lâincendie du palais oĂč se retranche seul un Dissolu dĂ©jĂ promis Ă la damnation, et qui devra apprivoiser le froid Ă©ternel dans un dĂ©cor dĂ©structurĂ© tout au long du II.
Ce sentiment de consomption, de course Ă lâabĂźme, est aussi le fait de la battue dĂ©vastatrice dâun Vladimir Jurowski phĂ©nomĂ©nal dâĂ©nergie, de vĂ©locitĂ© et de violence, Ă la tĂȘte dâun Orchestre de lâĂge des LumiĂšres enivrant de couleurs, de rythmes, de cassures puis de caresses, dâinsinuations en contrepoint des lignes vocales â lâĂ©rotisme intenable du violoncelle dans Batti, les piaillements des bois dans le Catalogue.
Un spectacle dĂ©fendu corps et Ăąme par un Gerald Finley et un Luca Pisaroni idĂ©aux de mordant et de prĂ©sence. On sera beaucoup moins sĂ©duit par lâAnna walkyrisante de Madame Samuil, mal appariĂ©e Ă lâElvira tout amour, en voix nettement plus fine et prĂ©cise, de Kate Royal.
Zerlina frĂ©missante, Masetto trĂšs peuple, Ottavio lyrique, Commandeur en revenant de film dâhorreur, arrachĂ© de son cercueil au cimetiĂšre puis surgissant de sous la table du souper, voilĂ un Don Giovanni (version de Vienne avec sextuor final abrĂ©gĂ©) qui vous happe dĂšs la premiĂšre image et ne vous lĂąchera plus.
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Le clown triste
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Complete fortepiano concertos :
Concertos pour clavecin n° 1-4
Concerto pour pianoforte n° 5-27
Rondos K. 382, K. 386
Arrangements de concertos de J.C. Bach
Viviana Sofronitski, pianoforte
Musica Antiqua Collegium Varsoviense
direction : Tadeusz Karolak
Enregistrements : Varsovie, 2005-2006
Coffret 11 CD Etcetera KTC 1424
Mozart toujours, versant instrumental. Parmi la production du divin Wolfgang, le corpus de concertos pour piano est sans doute le plus riche dâun point de vue qualitatif, seize concertos sur vingt-trois datant dâaprĂšs lâinstallation Ă Vienne, dĂ©cennie des plus grands chefs-dâĆuvre, contre six symphonies sur une cinquantaine que compte son catalogue.
Les rĂ©fĂ©rences discographiques classiques ne manquent pas, mais on attendait depuis longtemps une intĂ©grale sur instruments dâĂ©poque. La discrĂšte Viviana Sofronitzski, fille de lâĂ©corchĂ©-vif Vladimir, pianiste Ă©mĂ©rite de lâaprĂšs-guerre, sâest entourĂ©e dâun ensemble polonais de magnifique facture pour combler cette lacune du disque.
Le rĂ©sultat est dâautant plus proche de lâenchantement que par souci dâexhaustivitĂ©, le coffret comporte les quatre pastiches initiaux et les arrangements de piĂšces de Jean-ChrĂ©tien Bach, donnĂ©s au clavecin, ainsi que les rondos et concertos pour deux et trois pianos.
En ne tournant jamais le dos Ă la souplesse, Ă lâĂ©lĂ©gance aristocratique, y compris au niveau des sonoritĂ©s de lâorchestre, Ă lâopposĂ© du prĂ©historisme des premiers baroqueux, la pianofortiste dĂ©fend un Mozart thĂ©Ăątral au meilleur sens du terme, constamment irriguĂ© par la subtilitĂ© marivaudienne dâun vĂ©ritable Jeu de lâamour et du hasard, et donc dâune ambiguĂŻtĂ© de clown triste loin du Mozart bĂ©at qui a prĂ©valu pendant des dĂ©cennies.
Les changements dâhumeur bĂ©nĂ©ficient de la pĂ©nĂ©tration psychologique idĂ©ale de lâinstrumentarium ancien, et notamment dâune facture des vents en vĂ©ritable manteau dâarlequin, exaltant le cĂŽtĂ© journal intime des annĂ©es viennoises.
Tempi Ă©quilibrĂ©s â seuls les Concertos qui mettent en nage semblent Ă juste titre portĂ©s sur la performance â, couleurs moirĂ©es et lumiĂšre automnale â un mouvement lent de Concerto n° 22 Ă pleurer â, fantaisie du toucher qui nâest jamais excentricitĂ© â une articulation dâorfĂšvre â, on sâĂ©merveille Ă chaque seconde de lâintelligence de la dĂ©marche, de la justesse des dosages. Un petit bijou Ă acquĂ©rir sans tarder.
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In Memoriam
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Missa solemnis
Krassimira Stoyanova, soprano
Elina Garanča, mezzo-soprano
Michael Schade, ténor
Franz-Josef Selig, basse
SĂ€chsischer Staatsopernchor Dresden
Staatskapelle Dresden
direction : Christian Thielemann
Enregistrement : Dresde, Semperoper, 13/02/2010
DVD C Major Unitel Classica 705 408
DĂ©cidĂ©ment, Christian Thielemann nâest jamais meilleur que dans les partitions fleuve. AprĂšs son impressionnant Requiem allemand munichois paru chez le mĂȘme Ă©diteur, il livre une Missa solemnis de la mĂȘme spiritualitĂ© inouĂŻe. DĂ©laissant la BaviĂšre pour la Saxe, il porte les forces chorales du Semperoper et la Staatskapelle de Dresde Ă des sommets.
Garant de la grande tradition de monumentalitĂ© et de lenteur, il nâen privilĂ©gie pas moins une image sonore limpide et un soutien constant Ă©vitant tunnels et fourmis dans les jambes Ă lâheure des prestes lectures Ă effectifs rĂ©duits. On notera dâailleurs lâabsence de toute saturation y compris dans les tutti les plus massifs et puissants, et des fugues menĂ©es Ă une allure relativement vĂ©loce.
Les solistes embrassent cette vision proche de Brahms et Bruckner avec une longueur de souffle impressionnante. Et si Michael Schade grimace tout son saoul, si Krassimira Stoyanova, un rien Ă©teinte, ne quitte pas la partition des yeux, aucun incident ne vient troubler ce quatuor homogĂšne portĂ© par des voix graves somptueuses. Non moins exceptionnel, le violon solo de Matthias Wollong donne un Benedictus dâune rare ferveur, dâun Ă©lan collectif Ă panser toutes les plaies du monde.
Il faut dire quâon assiste Ă une sorte dâoffice, sans applaudissements, commĂ©morant Ă la fois le bombardement du 13 fĂ©vrier 1945 et la rĂ©ouverture du Semperoper quarante annĂ©es plus tard. La minute de silence qui suit le dernier Dona nobis pacem nâen est que plus prenante.
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Jenůfa de rĂ©fĂ©rence
LeoĆĄ JanĂĄček (1854-1928)
Jenůfa
Amanda Roocroft (Jenůfa)
Deborah Polaski (Kostelnička)
Miroslav DvorskĂœ (Laca Klemeň)
Nikolai Schukoff (Ć teva Klemeň)
Mette Ejsing (Buryovka)
Coro y Orquesta del Teatro Real
direction : Ivor Bolton
mise en scÚne & décors : Stéphane Braunschweig
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Marion Hewlett
captation : Ăngel Luis RamĂrez
Enregistrement : Madrid, Teatro Real, 22/12/2009
DVD Opus Arte OA 1055 D
Depuis le thĂ©Ăątre du ChĂątelet, oĂč elle fut donnĂ©e pour la derniĂšre fois en 2003, la Jenůfa de StĂ©phane Braunschweig nâa pas pris une ride, et fait toujours figure de modĂšle. On se rĂ©jouit donc de sa parution au catalogue DVD au grĂ© dâune reprise â pourtant annoncĂ©e comme une nouvelle production â au Teatro Real de Madrid.
La scĂ©nographie, entre panneaux de bois et sols Ă©crus, dĂ©peint un univers quasi monacal, illustrant Ă merveille le poids Ă©crasant de la morale religieuse dans les sociĂ©tĂ©s rurales. Lâenfant de lâhĂ©roĂŻne, source de toutes indignations par sa naissance hors mariage, se voit ainsi pris au piĂšge dâun dĂ©cor de coin de chambre instillant une dose de claustration aussi forte que ces pales de moulin ou cette croix rouge sang dĂ©limitant un espace symĂ©trique jusquâĂ lâĂ©touffement.
Ivor Bolton dirige roide, sans lâacuitĂ© des timbres qui est le sel de la musique tchĂšque, mais avec une tension saisissante. TrĂšs beau plateau pour complĂ©ter ce DVD de base de toute vidĂ©othĂšque lyrique : le timbre aiguisĂ© dâAmanda Roocroft sert une Jenůfa ardente et intĂ©rieure Ă la fois, dont seuls les aigus Ă pleine voix bougent.
Toujours aussi chaotique dans le troisiĂšme registre, la Sacristine de Deborah Polaski est lâinverse dâune ogresse, rongĂ©e par le doute, victime plus que bourreau, chantant avec nuances et un timbre qui sait ĂȘtre de belle matiĂšre. Les demi-frĂšres sont impeccables : Ć teva au lyrisme bravache de NikolaĂŻ Schukoff, parfait en hĂąbleur de basse cour, Laca hĂ©roĂŻque de Miroslav DvorskĂœ, dĂ©ployant un instrument dâune rare plĂ©nitude.
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Bréviaire chambriste
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Complete String Quartets :
Quatuors à cordes n° 1-16
Sonate pour piano n° 9
Quatuor Artemis
Natalia Prishepenko, violon
Heime MĂŒller, violon (1998-2007)
Gregor Sigl, violon
Volker Jacobsen, alto (1998-2007)
Friedemann Weigle, alto
Eckart Runge, violoncelle
Enregistrement : Berlin, Cologne, 1998-2011
Coffret 7 CD Virgin Classics 0 708582 6
Souvent considĂ©rĂ© comme la Bible de la musique de chambre, le massif des seize quatuors Ă cordes de Beethoven reste un Anapurna, un Everest musical que peu de formations ont rĂ©ussi Ă gravir sans sây casser les reins. Les Berg, les Juilliard, les Budapest, les Italiano, les PraĆŸak pour ne citer que les plus incontournables, comptent parmi les happy few Ă sâĂȘtre montrĂ©s Ă la hauteur de pareil brĂ©viaire.
Le Quatuor ArtĂ©mis, arrivĂ© aux sommets en une dĂ©cennie malgrĂ© des bouleversements internes qui en auraient laissĂ© dâautres K.O., a semble-t-il rejoint le cercle trĂšs fermĂ© des immenses serviteurs beethovĂ©niens. Avec des modulations de textures dans les effets de masse, une gestion des articulations et surtout un dosage du vibrato laissant clairement entendre que la rĂ©volution baroque a Ă©tĂ© digĂ©rĂ©e, les comparses allemands font feu de tout bois.
ĂtalĂ©es sur plus de treize ans, les captations tĂ©moignent dâune vĂ©hĂ©mence accrue au fil des prises, dâun ton plus pĂ©remptoire qui sied Ă merveille aux coups de sang rĂ©putĂ©s du compositeur, Ă ses accĂšs de colĂšre et de fronde.
Et si lâon persiste Ă garder une petite prĂ©fĂ©rence pour lâintĂ©grale des Italiano â entre autres dans le Finale du Quatuor n° 14, phrasĂ© plus ramassĂ© â, on reste pantois devant cet extrĂȘme dĂ©liĂ© â conclusion du Quartetto Serioso â, la vitesse dâarchet des tenues, la plĂ©nitude des accords â la sonoritĂ© de sirĂšne de paquebot qui ouvre lâOpus 127 â, lâĂ©nergie considĂ©rable dâune Grande Fugue â insĂ©rĂ©e Ă sa place dâorigine, en conclusion du TreiziĂšme Quatuor, privĂ© ici de son finale ultĂ©rieur â oĂč chacun semble jouer sa vie.
Petites précisions éditoriales enfin. Le coffret contient la transcription de la NeuviÚme Sonate pour piano, et le Quatuor les Harpes, jamais publié séparément, est disponible dans la seule intégrale, geste peu charitable pour ceux qui auraient acquis les volumes séparés au prix fort. Pour les autres, le bonheur sera sans nuages.
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Le meilleur de Liszt
Alfred Brendel plays Liszt â Artistâs choice
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate en si mineur â Jeux dâeau Ă la Villa dâEste â Unstern : sinistre, disastro â Nuages gris â Sursum corda â Abendglocken â Variations sur Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen â Danse macabre â AnnĂ©es de pĂšlerinage : deuxiĂšme annĂ©e, Italie â VallĂ©e dâObermann â FunĂ©railles â CsĂĄrdĂĄs macabre â Deux lĂ©gendes â La lugubre gondola â Invocations â PensĂ©e des morts â BĂ©nĂ©diction de Dieu dans la solitude â Fantaisie et fugue sur le nom de BACH
Alfred Brendel, piano
Enregistrements : 1972-1991
3 CD Decca 478 2825
2011 a Ă©tĂ© lâoccasion de commĂ©morer deux grands maĂźtres, Gustav Mahler et Franz Liszt. GĂ©rard Mannoni a soulignĂ© lâimportance de la parution des AnnĂ©es de pĂšlerinage selon Bertrand Chamayou chez NaĂŻve. Attardons-nous sur une rĂ©Ă©dition en nous frottant Ă la sĂ©lection de 3 CD Decca puisant dans le legs lisztien dâAlfred Brendel.
Coffret admirablement agencĂ© â il sâagit du choix trĂšs Ă©clairĂ© de lâartiste â, brossant un vaste panorama de la production pianistique du virtuose hongrois dans des interprĂ©tations grattant jusquâĂ la substantifique moelle de lâanalyse structurelle, jusquâaux arcanes de la polyphonie. On se rĂ©jouira donc dâune sĂ©lection portĂ©e sur des partitions faisant une grande place Ă la couleur, Ă lâatmosphĂšre plus quâĂ la pyrotechnie pure.
Et sâil est un domaine oĂč Brendel excelle comme aucun autre, câest bien dans les derniers opus Ă©nigmatiques de la pĂ©riode de lâAbbĂ© Liszt, quand lâĂ©criture se rarĂ©fie et atteint au mysticisme renvoyant toutes les cascades dâaccords du monde Ă leur vacuitĂ©.
On sera donc plongĂ©s en pleine interrogation face aux quintes diminuĂ©es bĂ©antes, aux rythmes pointĂ©s dâUnstern, fascinĂ©s par lâart de la pĂ©dalisation et de la rĂ©sonance dans Nuages gris. Pas une piĂšce nâĂ©chappe Ă lâart de la dramaturgie patiente qui porte ce toucher â Sursum corda dâune angoisse irrĂ©pressible, Lugubri gondole dĂ©sertiques Ă souhait.
Au passage, on tient lâune des rĂ©fĂ©rences absolues de lâintĂ©grale de lâItalie, deuxiĂšme des AnnĂ©es de pĂšlerinage. Et bien quâinconditionnel de la lecture dĂ©jantĂ©e de Vladimir Horowitz, comment ne pas ĂȘtre subjuguĂ© par la radiographie de la Sonate en si â quatriĂšme et ultime enregistrement (1991) â, rigoureuse, attentive Ă chanter, non sans sculpter le clavier avec une puissance magnifiquement valorisĂ©e par la prise de son ?
On retrouve avec le mĂȘme plaisir la cĂ©lĂšbre Totentanz gravĂ©e Ă lâĂ©poque Philips aux cĂŽtĂ©s de Bernard Haitink, ainsi que le live de la VallĂ©e dâObermann (Amsterdam 1981) et des FunĂ©railles (Vienne 1981). Au final, avec une telle colonne vertĂ©brale intellectuelle, le souvent dĂ©criĂ© Liszt gagne une incontestable aura de respectabilitĂ© et touche au sublime.
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Mahler granitique
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonies n° 2, 4, 7 et 9
Das Lied von der Erde
3 RĂŒckert-Lieder
2 Wunderhorn Lieder
Elisabeth Schwarzkopf, Hilde Rössl-Majdan (2), Fritz Wunderlich (Lied), Christa Ludwig (Lied, RĂŒckert, Wunderhorn)
Philharmonia Chorus
(New) Philharmonia Orchestra
direction : Otto Klemperer
Enregistrements : Londres, 1961-1968
Coffret 6 CD EMI Classics 0 83365 2
Ă lâinitiative de sa branche française, EMI garnit son catalogue de trĂšs sympathiques coffrets de fin dâannĂ©e, permettant entre autres pour la premiĂšre fois â et pour Ă peine vingt euros â de disposer en une seule boĂźte cartonnĂ©e de la totalitĂ© du legs mahlĂ©rien de Klemperer en studio, traduction des textes chantĂ©s incluses.
Fascination intacte dâune NeuviĂšme Symphonie marmorĂ©enne, vĂ©ritable classique du disque â un Adagio final jansĂ©niste, loin des suppliques dĂ©chirantes dâun Abbado â, jubilant dâironie dans une forme dâautodĂ©rision typiquement juive souvent saluĂ©e par Pierre Boulez. MĂȘme incontestable rĂ©ussite pour un Chant de la terre qui rĂšgle la question discographique aux cĂŽtĂ©s de Bruno Walter.
Timbres du Philharmonia dâune acuitĂ© idĂ©ale pour ces poĂšmes-bonzaĂŻs ciselĂ©s comme autant de miniatures, rien nâĂ©chappe Ă la vigilance du vieux maĂźtre, et certainement pas la vitalitĂ© dâun Fritz Wunderlich indĂ©trĂŽnable, ou la radiance dâune Christa Ludwig au sommet, y compris dans les quelques Lieder en complĂ©ment.
Un peu sĂ©vĂšre, la QuatriĂšme Symphonie bĂ©nĂ©ficie dâun travail de musique de chambre et du soprano ĂŽ combien habile Ă Ă©voquer la Vie cĂ©leste dâElisabeth Schwarzkopf. MĂȘme radiance de la reine du Lied dans une DeuxiĂšme Symphonie longtemps cĂ©lĂ©brĂ©e pour sa nervositĂ© â une Marche funĂšbre initiale en 19â.
Reste le cas de la SeptiĂšme Symphonie, qui nâa jamais eu les faveurs de la critique. Il faut dire que lâapproche â Ă©tendue sur quelque cent minutes, un record ! â a de quoi rebuter par son extrĂȘme dĂ©cantation â le Finale â, par son atonie de façade â lâintroduction, comme expirĂ©e de poumons Ă bout â, ses soudains Ă©clats entĂ©nĂ©brĂ©s, sa fin de premier mouvement plaies bĂ©antes Ă lâair.
Et pourtant, la fascination lâemporte face Ă cette approche terroriste, purgatoire aux allures dâenfer oĂč en guise de sĂ©rĂ©nades, on a droit Ă deux nuits de cauchemars, de processions claudicantes. Plus le moindre rythme de danse qui distille un tant soit peu dâinnocence dans cette vision Ă©puisante de pessimisme, prĂŽnant la damnation Ă©ternelle.
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Humain, trop humainâŠ
Gustav Mahler (1860-1911)
The Complete Symphonies
Studio Cycle :
Symphonies n° 1-9
Das Lied von der Erde
Adagio de la Symphonie n° 10
Edith Mathis, Doris Soffel (2) ; Ortrun Wenkel (3) ; Lucia Popp (4) ; Elizabeth Connell, Edith Wiens, Felicity Lott, Trudeliese Schmidt, Nadine Denize, Richard Versalle, Jorma Hynninen, Hans Sotin (8) ; Klaus König, Agnes Baltsa (Lied)
London Philharmonic Choir (2, 3, 8) ; Southend Boys Chorus (3) ; Tiffin School Boys Chorus (8)
Live Recordings :
Symphonies n° 5-7
London Philharmonic Orchestra
direction : Klaus Tennstedt
Enregistrements : Londres, 1977-1986 (studio), 1988-1993 (live)
Coffret de 16 CD EMI Classics 0 94493 2
Sâil est un point commun entre Otto Klemperer et Klaus Tennstedt, câest que lâun comme lâautre ont dĂ» faire face Ă la dĂ©pression tout au long de leurs existences respectives. Au-delĂ du parallĂšle, la maniĂšre de Tennstedt, dont EMI rĂ©Ă©dite Ă prix doux lâintĂ©grale studio augmentĂ©e de prises live pour les symphonies instrumentales mĂ©dianes, diffĂšre sensiblement de celle de son aĂźnĂ©.
Ici, peu de dimension analytique, et un interventionnisme trĂšs limitĂ© sur lâensemble du cycle, qui respire naturellement, sans tripatouillages ni effets de manche, avec un son ample et un art magistral des transitions. On notera en revanche un climat gĂ©nĂ©ral ouvertement tournĂ© vers la dĂ©cadence quâon rapprochera du SĂ©cessionnisme viennois.
Si le geste de Bernstein fascine par son expressivitĂ© dĂ©bordante dâĂ©nergie de vivre, la battue de Tennstedt happe par son angoisse face Ă la mort, et dĂ©clenche souvent un maelström trĂšs sombre, appuyĂ© sur des cuivres graves admirablement burinĂ©s, avec son lot de rugositĂ©s et de petites imperfections trahissant une vĂ©ritable fĂȘlure.
Sostenuto constant, y compris dans des phrasĂ©s magnifiques, le cycle prĂ©sente notamment une CinquiĂšme, une SixiĂšme dâanthologie, la premiĂšre dâune puissance tellurique mais refusant lâexaltation finale en studio â contre un live au contraire brĂ»lant â, la seconde dâune urgence palpable, aux cordes vibrantes, au mouvement lent dĂ©chirant, ainsi quâun Adagio de DixiĂšme Symphonie dâun dĂ©sespoir sans appel â la premiĂšre entrĂ©e de tout lâorchestre aprĂšs lâintroduction â jusquâĂ un climax dâune acuitĂ© insoutenable â la trompette.
LâOrchestre philharmonique de Londres, sans ĂȘtre exactement le Concertgebouw dâAmsterdam, les Berliner ou les Wiener, dĂ©livre une pĂąte somptueuse, charnue, aux excellentes rĂ©serves de tension chez les cordes. Une intĂ©grale des symphonies de Mahler â Chant de la terre inclus â honorablement chantĂ©e, dâune fervente humanitĂ©, sans vrai point faible, et dont la dĂ©cadence a Ă©tĂ© souvent imitĂ©e mais jamais dĂ©passĂ©e dans son intĂ©gritĂ©. Joyeux NoĂ«l !
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