Don Giovanni
Revoilà donc le premier spectacle de l'ère Ruzicka à Salzbourg, ce Don Giovanni de 2002 repris en 2003, aux éclairages bleutés cliniques, à l'atmosphère de bloc opératoire, où le héros est présenté comme une victime des femmes et de leurs tenues légères, pourchassé toute l'action durant par des soeurs de Proserpine en sous-vêtements Palmers. Seulement, le tombeur de Séville, plus névropathe que jamais, ne meurt plus bêtement assassiné par son valet comme il y a quatre ans, mais contraint ce dernier à le poignarder en voulant l'emmener de force avec lui aux enfers. Nuance. De même, l'idée stupide de la bataille de boules de neige avortée au tomber de rideau a été abandonnée, tout comme un grand nombre de détails modifiés. Surtout, sans être pour autant renversante, loin de là , la production de Martin Kušej passe plutôt bien l'épreuve de la captation, dont les gros plans fréquents évitent le sentiment de vide ressenti en salle, où les misérables personnages semblaient errer indéfiniment dans un décor glacial. Quant à savoir à quel point le spectacle supportera le revisionnage
Après les trésors analytiques et le rubato parfois insensé de Nikolaus Harnoncourt, la vision de Daniel Harding paraîtra plus passe-partout, surtout dans une prise de son où bon nombre de ses accents impitoyables semblent émoussés par rapport à la réprésentation du 18 août, et où l'orchestre sonne moins présent.
Réduit progressivement à un animal mâchonnant au nez bouché, le Commandeur de Robert Lloyd est à la scène du souper tout simplement épouvantable. Sans être à ce point décati, Thomas Hampson reste un monument de grisaille vocale, d'érosion du timbre, à bout, mais du moins est-il conforme à la victime voulue par Kušej et a-t-il cette fois laissé en coulisses l'affreux Sprechgesang que lui tolérait Harnoncourt. Le reste de la distribution évolue heureusement beaucoup plus haut.
L'Elvire infiniment touchante, à l'aigu fragilement lumineux de Melanie Diener est l'un des rares êtres véritablement de chair d'un spectacle déshumanisé. Même convalescente – elle sera remplacée certains soirs par l'impossible Michaela Kaune –, elle négocie au mieux un Mi tradì où le tempo de Harding la laisse respirer quand Harnoncourt l'asphyxiait. Succédant à une Anna Netrebko autrement éloquente, Christine Schäfer use de toutes les ficelles rhétoriques possibles – avec un succès certain – pour faire oublier que Donna Anna est trop large pour elle – au I surtout – et finit par abattre les résistances. Ildebrando D'Arcangelo est un Leporello sombre et cuivré, magnifiquement en voix, parfois un rien dans le goitre, Isabel Bayrakdarian une Zerline très accrochée, au caractère bien trempé, Luca Pisaroni un Masetto jeune et somptueux de ligne, jamais forcé, en somme la basse mozartienne idéale. Mention spéciale enfin pour le Don Ottavio de Piotr Beczala, grand tenore di grazia du moment, dont la suavité et l'aigu radieux semblent sans concurrence dans ce répertoire.
Yannick MILLON
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes, K. 527 (1787)
Livret de Lorenzo Da Ponte
Thomas Hampson (Don Giovanni)
Ildebrando D'Arcangelo (Leporello)
Robert Lloyd (le Commandeur)
Christine Schäfer (Donna Anna)
Piotr Beczala (Don Ottavio)
Melanie Diener (Donna Elvira)
Isabel Bayrakdarian (Zerlina)
Luca Pisaroni (Masetto)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Daniel Harding
mise en scène : Martin Kušej
décors : Martin Zehetgruber
costumes : Heide Kastler
préparation des choeurs : Thomas Lang
Enregistrement : Salzburg, GroĂźes Festspielhaus, 11-15/08/2006
2DVD Decca « Mozart 22 » 074 3162
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