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ENTRETIENS |
12 juillet 2025 |
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Vous avez passé pas mal de temps en Angleterre : était-ce une volonté délibérée ou un concours de circonstances ?
Quand j'ai eu mon diplôme de contrebasse au CNSM – où j'ai fait aussi de l'écriture –, on m'a dit : si tu veux entrer en classe de composition, il faut changer de style
J'étais à l'époque à la recherche d'un style (au passage, je suis toujours à la recherche d'un style, car on n'a jamais fini dans ce domaine), il était donc hors de question que je change mon style ! C'est un ami qui m'a conseillé d'aller à Londres, lui-même était à la Royal Academy. Et cela m'a ouvert une multitude d'horizons, musique américaine, musiques populaires etc
L'Angleterre est beaucoup moins sensible aux chapelles que la France. Il y a bien sûr la BBC, qui est un peu le domaine d'une avant-garde en réalité bien moins « moderne » que l'Ircam par exemple. Oliver Newton ou George Benjamin, par exemple, sont toujours très soucieux d'une orchestration élégante, toujours très bien faite, souvent très sage. En conséquence, il y a un éventail de styles énorme, ce qui est assez plaisant. C'est un peu comme une cave à vins : en France, il y a uniquement des vins français, en Angleterre on peut trouver des vins australiens, californiens etc
C'est pareil en musique. Evidemment, il y a des compositeurs à l'oreille assez pauvre, et le problème vient du fait que l'enseignement musical anglais n'inclut pas systématiquement l'harmonie, comme cela est pratiqué sur le continent. Et mon séjour en Angleterre m'a aussi permis de faire le tri dans les influences dans lesquelles je baignais moi-même. |
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Vous sentez-vous quand même redevable à une esthétique particulière ?
J'ai évidemment des influences musicales qui correspondent à des aspects particuliers de ma personnalité. Du point de vue harmonique, ma musique est très apparentée à la musique française post-debussyste, avec aussi cette complexité modale qu'on retrouve chez le Scriabine de la fin ou chez Bartok quand il a commencé à travailler sur ses modes. Evidemment, je m'en suis aperçu après coup. Ce « background » m'est aussi venu par la fréquentation très tôt de musique de jazz, mon père était pianiste de jazz. Du point de vue rythmique, je dois beaucoup à la musique qui nous entoure, le funk, le hip-hop, les Bee-Gees etc
Je n'ai absolument aucun tabou à cet égard, j'essaie simplement de ne pas faire du simple collage comme on le fait souvent, et d'éviter la tentation un peu « new age » qui prévaut souvent. J'adore les musiques extra-européennes, j'aime aussi particulièrement les musiques d'Europe orientale, le problème principal étant bien sûr que nous, Occidentaux, n'avons pas toujours l'oreille assez éduquée pour en percevoir des mécanismes qui sont assez instinctifs. |
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Vous faites cependant preuve d'une grande prudence, s'agissant de musique traditionnelle.
Schoenberg disait que la musique savante et la musique folklorique étaient irréconciliables, je comprends ce genre d'affirmation. Pour moi, effectivement, la musique traditionnelle est à la musique classique ce que le costume folklorique est à la mode. Le folklorique est figé dans une tradition, et pour que ce soit parfait, il faut justement cette conformité à une tradition. |
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Etes-vous un « néo-tonal » ?
Je n'aime pas le terme de « néo-tonaux », qui est assez péjoratif. Comme si d'ailleurs, on avait totalement arrêté à un moment donné de faire de la musique tonale. Ma musique est tonale, bien sûr, on peut plus ou moins la chanter, mais il est hors de question que l'on s'arrête à cela. Le travail rythmique ou même l'utilisation du langage harmonique obéissent à des préoccupations précises, qui prennent en compte notre environnement actuel. Même si on n'aime pas la musique techno, on ne peut pas ne pas l'écouter, ne serait-ce que pour cette pulsation qui lui est spécifique. |
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On parle beaucoup de la « fin des chapelles » en France : êtes-vous d'accord avec cela ?
Les différences ont tendance à s'abolir, ce qui est vraiment un phénomène de notre société. Il y a une telle explosion des styles que la notion même de chapelle est caduque, on observe même le retour de certains compositeurs de l'avant-garde pure et dure à un langage plus tonal, sans que cela soit nécessairement une concession au grand public. Je suis par exemple très heureux de voir que Philippe Hersant retrouve une place de premier plan, avec un festival Présences 2004 qui lui sera consacré. Je ne suis pas convaincu qu'un musicien puisse pendant cinquante ans, se cantonner véritablement à du dissonant et à du strident. |
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Vous n'aimez pas qu'on vous cantonne au titre de compositeur : pourquoi donc ?
J'aime dire que je ne suis pas seulement un compositeur, je suis aussi instrumentiste, plus précisément contrebassiste. Je suis plutôt un musicien généraliste. Mais c'est vrai que pour moi, il est aussi important d'écrire que de jouer d'un instrument, sans pour autant que cela aille forcément ensemble. Je joue assez rarement ma musique, je préfère celle des autres. Je n'écris pas spécifiquement pour mon instrument : je suis compositeur avant tout, et je m'intéresse donc à toute la musique. Cela ne veut pas dire que je ne me préoccupe pas de la promotion de mon instrument, mais je ne le fais peut-être pas de la façon la plus conventionnelle. Par exemple, je n'écris pas de sonate ou de concerto pour contrebasse, j'ai bien fait un Concertino, mais pour une contrebasse piccolo, accordée une quarte plus haut. J'essaie de passer par des biais autres, comme la musique de chambre ou la musique vocale : j'ai écrit un conte musical pour piano, contrebasse et soprano, assez cabaret, que l'on m'a commandé en 94 pour les 50 ans du Débarquement. En fait, dans mon univers de compositeur, mon instrument est assez secondaire. |
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Vous avez cependant un grand amour, la voix.
Oui, j'aime particulièrement la voix et plus particulièrement la scène. Je suis un compositeur assez visuel, très narratif, ce qui fait que je m'imagine mal écrire de la musique pure, de type quatuor à cordes, en tout cas pas tout de suite. Mes pièces ont souvent un titre imagé, avec une histoire derrière, sans qu'il y ait vraiment un programme d'ailleurs. Il m'arrive de visualiser un programme – que je garde secret – pour parvenir à élaborer une forme à partir de là . Par exemple, dans mon Concertino pour contrebasse piccolo, j'ai pris comme base de travail un ballet sur les derniers jours de Raspoutine, ce qui m'a permis d'obtenir des aspects très dramatiques, très rythmés. |
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En d'autres termes, vous cherchez un projet expressif.
Quand je dis que j'ai besoin d'une narration, je veux dire qu'il faut qu'on aille d'un point à l'autre, que la musique soit tonale ou pas ; mais il faut aussi, je pense, bien distinguer l'impact émotionnel d'une musique et sa perception temporelle. Je m'intéresse beaucoup aux techniques cinématographiques dans l'élaboration de la forme. J'aimerais faire des flash-back, des zooms ou des fadings. En fait, ce sont bel et bien des techniques qui manipulent le temps. A la différence de ce qui se passe dans le cerveau quand on regarde une peinture, où il y a une prise de conscience immédiate de l'oeuvre dans presque toute sa totalité, la perception d'une pièce musicale est prisonnière du temps. Mais au niveau du contenu émotionnel, il y a une similitude : à l'écoute d'une invention de Bach ou d'une symphonie de Mahler, on garde une impression générale qui est figée. C'est ce contenu émotionnel qui compte, plus que l'aspect temporel lui-même. |
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Vient de paraître un disque chez Naxos :
Quatuor pour piano - Naxos 8.555778
Concert le 28 mai 2003, Ã l'Espace Pierre Cardin, Paris.
Richard Dubugnon : Quatuor pour piano, Incantatio, 5 Masques, Incantatio - ÂŒuvres de Ravel, Debussy, Schmitt.
Avec Nicholas Daniel(hautbois), Chris George (violon), Amélie Theurillat (alto), Matthew Sharp (violoncelle), Dom harlan & Viv McLean: (piano), Richard Dubugnon (contrebasse).
Entrée libre. |
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