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ENTRETIENS |
05 juillet 2025 |
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Quand son nom apparaît sur les affiches, les aficionados se ruent sur son passage. C'est qu'ils sont sûrs, avec elle, qu'ils en auront pour leur bonheur. La soprano espagnole est en effet l'une des rares chanteuses à séduire sans en rajouter côté star-system, et à offrir une fraîcheur de jeu et de chant que sa haute technique n'écrase à aucun moment. Son timbre rond et lumineux achève de faire tomber les armes lorsque cette petite femme au sourire prompt grimpe sur scène avec la grâce des heureux. Il faut dire que Maria Bayo titille la note depuis l'enfance. Minois d'ange sur une voix d'oiseau, la jeune fille est toute enchantée quand on lui demande de pousser la chansonnette. S'accompagnant d'une guitare, elle ne rechigne jamais devant une sérénade, et le trac, elle ne connaît pas. La suite s'enchaîne avec une facilité qui caractérise sa sincérité et son tempérament généreux. Formée aux exigences de Bach dont elle chante les Cantates à la chorale de Navarre, sa terre natale, elle passe ensuite par Detmold où elle se confronte au répertoire allemand. Son premier rôle sera Lauretta du Gianni Schicchi de Puccini, dans la langue de Goethe évidemment. Mozart, en toute logique, devient son compositeur d'élection. "Il donne toujours du neuf à découvrir. Je le sens bien." déclare-t-elle volontiers. Aucune spécialisation ne contraint pourtant son parcours. "Je déteste l'enfermement dans une voie unique. À part la musique contemporaine que je n'ai pas de réel plaisir à chanter, je n'ai pas de priorité véritable dans mon répertoire, si ce n'est évidemment celle que m'impose ma voix. Les rôles trop lourds pour moi, ou qui ne correspondent pas au caractère ou à la tessiture de ma voix, je les laisse naturellement de côté." |
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Depuis Adina qu'elle est venue chanter à Genève dans la saison 96-97, son timbre s'est légèrement assombri, a gagné en profondeur et en amplitude. La Rosine qu'elle vient de donner sur la même scène de Place Neuve se révèle d'une féminité plus mûrie. Cette évolution normale de la voix, Maria Bayo s'en réjouit plutôt qu'elle ne s'en préoccupe. "Avec le temps, il faut savoir s'adapter et accepter les changements physiques de la voix. La mienne devient plus lyrique, s'épanouit davantage encore dans les mediums et s'élargit dans les graves. Cela me permet évidemment d'envisager d'autres rôles que je ne pouvais pas aborder avant. C'est donc un enrichissement, une ouverture sur d'autres mondes, plus dramatiques. S'approcher de l'ambiguïté des personnages de mezzo m'intéresse. Il faut une grande maturité de carrière et de vie pour rendre les couleurs et l'ambivalence des voix plus graves, des caractères plus sombres. Je ne me sens pas encore prête pour Verdi, en général. Mais le rôle de Traviata est de ceux qui m'attirent énormément aujourd'hui. Mimi, Marguerite, Manon sont aussi des personnages dont je me sens très proche. Cette dernière particulièrement parce qu'elle ajoute la légèreté de la colorature à l'aspect lyrique de la voix. Cette grande extension du registre est très stimulante."
Cette aisance qui caractérise son chant, la soprano ne la vit pas comme une facilité. "C'est très fort, ce qui se passe avec une voix. On la vit de l'intérieur, on la ressent dans son corps au jour le jour. Parfois douloureusement quand elle n'obéit pas comme on le voudrait, parfois miraculeusement quand tout avance tout seul. La technique, bien sûr est là pour sécuriser et donner les bases à l'expressivité. Mais la santé et la beauté d'une voix, c'est surtout une question mentale. Pour moi, chanter tient avant tout du plaisir. On ne peut pas en donner au public si l'on n'en a pas soi-même. Bien sûr le contrôle est constant. Il y a tant de notes à mémoriser, tant de mots, tant de finesse d'interprétation à sans cesse reprendre et moduler. Mais ce métier très exigeant doit d'abord aider à passer dans une autre dimension. C'est valable pour tous les musiciens, mais avec une voix, c'est tout l'être qui est en jeu. Comment peut-on dire "je t'aime" sans y croire un minimum ? Ces aspects charnel et corporel sont les piliers du chant et du jeu de scène." |
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La scène, justement, Maria Bayo la goûte avec la gourmandise des enfants. Et cela se voit. "C'est mon monde, c'est vrai. La première fois que j'ai chanté à l'opéra, je me suis sentie à la maison, comme si c'était là que je naissais une seconde fois. Pour certains chanteurs, l'épreuve de la gestuelle scénique est difficile. Pour moi, le théâtre, c'est vital. Jouer avec les autres, parler avec son corps, bouger sur la musique, c'est l'évidence. J'adore le récital, pour le déshabillage des mots qu'il impose, pour l'intimité absolue qu'il exige avec un texte et la joie de décortiquer chaque couleur, chaque sentiment et chaque son. Teresa Berganza m'a appris cela. L'amie qu'elle est devenue, l'indispensable référence qu'elle demeure ne me fait jamais oublier la priorité absolue au texte. Mais au théâtre, on ajoute une dimension supplémentaire. Celle de la vie, peut-être." |
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Les expériences baroques de Maria Bayo constituent aussi une part importante de son travail. Question de sensibilité avant tout. "Je viens d'enregistrer un disque d'airs de Haendel parce que cet univers est d'une grande richesse émotionnelle et réclame à la fois une belle rigueur stylistique et technique. Et puis cette musique est si belle ! Et les récitatifs de Haendel sont d'une musicalité supérieure. La palette de couleurs demandée est très variée, ce qui offre de grandes possibilités d'expressivité. Mais j'ai d'autres beaux souvenirs dans ce répertoire, comme la Calisto de Cavalli à Lyon, par exemple. La mise en scène, les décors et l'oeuvre : il y avait là une alchimie particulière qu'on rencontre rarement." Pas pimbêche pour un sou, Maria Bayo, de plus, prône la collaboration et l'échange dans les productions où chefs, metteurs en scène et chanteurs ne sont pas toujours d'accord. "Il fait savoir rester ouvert, discuter et proposer ses vues sans rejeter celles des autres. Ainsi, on découvre parfois des aspects d'un personnage qui nous avaient échappé ou qu'on ignorait. Là aussi, l'enrichissement est question d'écoute." |
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Deux CD pour découvrir Maria Bayo
- Haendel Opera & Arias avec le Capriccio Stravagante et Skip Sempé Astrée E8674
- Mozart Exultate Jubilate, Airs, avec l'Orchestre symphonique de Galice dirigé par Victor Pablo Pérez Auvidis Valois V 4790 |
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| Le 30/03/2000 Propos recueillis par Sylvie BONIER |
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