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ENTRETIENS |
06 juillet 2025 |
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Paul Groves, élixir de prudence et de plaisir
Grand berliozien, Paul Groves aurait pu réitérer son fabuleux Faust, dans la reprise de l'étonnante Damnation de Robert Lepage, ou, vaillant Pylade, retrouver en Tauride l'Iphigénie de Susan Graham. C'est pourtant sous les traits inattendus de Nemorino que le ténor américain revient à l'Opéra de Paris, dans un nouvel Élixir d'amour signé Laurent Pelly.
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Il est plutôt inhabituel de vous entendre dans le répertoire italien.
Actuellement, je privilégie le répertoire français, que j'apprécie beaucoup. Au début de ma carrière, j'ai chanté dans Rigoletto, dans Don Pasquale. Après m'être spécialisé dans Mozart, je n'ai pas continué à explorer ce répertoire, bien que j'aie chanté à Vienne une rareté de Donizetti, Linda di Chamounix, une oeuvre très belle, mais difficile à mettre en scène, aux côtés d'Edita Gruberova. J'ai grandi en écoutant Luciano Pavarotti en Nemorino, mais ce rôle à l'avantage de pouvoir être chanté par différents types de ténors, aussi bien des voix légères que dramatiques, comme l'était celle de Caruso. En tant que ténor lyrique, j'essaie d'y apporter quelque chose de personnel. Nicolai Gedda, dont la carrière est un modèle pour moi, chantait aussi bien l'Élixir d'amour que Mozart et le répertoire français. |
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Éprouvez-vous une certaine appréhension avant de chanter un air aussi célèbre qu'Una furtiva lagrima ?
Voilà l'une des raisons pour lesquelles j'ai évité les grands rôles de ténor dans les premières années de ma carrière. Quand je vais écouter la Bohème, j'entends Pavarotti, et lorsque j'assiste à une représentation d'Otello, je ne peux m'empêcher de penser à Domingo. Mais l'Élixir d'amour, et cet air en particulier, ont été si merveilleusement chantés par tant d'interprètes différents que je ne l'associe pas à une seule voix. D'ailleurs, le premier air de Nemorino, Quanto e bella, est beaucoup plus difficile : la mélodie est très jolie, mais la musique n'est pas du plus grand intérêt. Je ne peux pas en faire grand chose, sinon le chanter de mon mieux. D'autant que je dois l'attaquer à froid, sans même un récitatif qui le précède. Una furtiva lagrima arrive à la fin de l'opéra, alors que je me sens vocalement plus à l'aise. |
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Est-il difficile de jouer les innocents ?
Tous les rôles que j'ai faits récemment appartenaient à ce même genre de personnages : Fritz de la Grande duchesse de Gérolstein, Candide de Bernstein, ou encore Tom Rakewell du Rake's Progress sont jeunes, amoureux et innocents. Mais Nemorino n'est pas un idiot. Il pense seulement que la personne dont il est éperdument amoureux est inaccessible, et il est aveuglé par son amour. Cette oeuvre m'est vraiment très chère. Je l'ai déjà chantée un certain nombre de fois, et je ne m'en lasse pas. Les airs célèbres reviennent au ténor, mais les ensembles sont primordiaux. Je viens de le faire à Washington avec une distribution totalement différente, et cela change tout. |
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Comment avez-vous pris goût au répertoire français, dont vous êtes un interprète recherché ?
J'ai abordé le répertoire français avec Iopas et Hylas des Troyens. À cette occasion, James Levine m'a conseillé d'aborder les rôles français plutôt légers, comme Nadir et Faust dans la Damnation, avec la même passion que je mettais dans mes autres rôles. J'ai donc commencé à apprendre les opéras de Massenet, Berlioz, et je suis tombé amoureux de cette musique, qui est très belle, romantique, et surtout parfaitement adaptée à ma voix. La langue française, qui concentre la voix dans le masque, est en effet idéale pour les ténors, car nous risquons de produire des sons dangereux pour notre instrument, car trop volumineux, en émettant des voyelles trop larges. |
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On dit souvent que la vocalité berliozienne est périlleuse, et parfois maladroite.
La première fois que j'ai entendu la Damnation de Faust et Béatrice et Bénédict par Nicolai Gedda, les rôles de ténors m'ont paru très bien écrits. Mais cette vocalité peut être très délicate, comme dans la Damnation, où le médium est très sollicité, avant les envols dans le suraigu. À cet égard, les ténors français de cette époque utilisaient certainement beaucoup le falsetto renforcé. Quant à Bénédict, il se situe constamment entre l'opérette et le grand opéra romantique. Si je pouvais remonter dans le temps, je supplierais Berlioz de lui écrire un air lyrique, car entre le trio, le duo et l'air, j'ai l'impression de crier en permanence, quand les femmes ont de merveilleuses lignes à chanter. Ces rôles ne me paraissent pas moins vocaux pour autant, sans doute parce que je vis avec depuis de nombreuses années. |
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Pensez-vous aborder le rôle d'Énée, que Gardiner a confié à une voix plus légère que dans la tradition ?
Il me l'avait proposé, mais j'ai refusé. Avec un chef baroque, très attentif à l'équilibre entre la voix et l'orchestre, ces rôles plus larges peuvent sembler accessibles, particulièrement pour une série de huit représentations au Châtelet. Mais la presse et le public vous jugent dans l'absolu, et non d'après ce contexte précis, en vous comparent à Vickers, Domingo, Heppner
Le jeu n'en valait pas la chandelle, d'autant que je devais chanter dans Così fan tutte au Met juste après. |
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La vocalité mozartienne est-elle si différente ?
Chez Mozart, la moindre imperfection devient une erreur criante pour le public. Dans Donizetti, personne ne prendra garde à un léger dérapage, et je me dis que je pourrai faire mieux la fois suivante, alors que dans Mozart, une note ratée va me préoccuper durant toute la représentation. Chanter Mozart, particulièrement pour un ténor ou une soprano, revient à marcher sur des œufs durant trois heures. Cela demande beaucoup de pratique, et il m'était très difficile de m'investir dans les rôles mozartiens au début de ma carrière. De toute manière, un personnage unidimensionnel comme Don Ottavio ne le permet pas. C'est pourquoi j'ai toujours souhaité que Leporello soit un ténor. |
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Votre voix s'est-elle élargie depuis vos débuts ?
J'ai toujours eu la possibilité de chanter des rôles plus lourds, mais si je l'avais fait, chanter Mozart m'aurait semblé beaucoup plus difficile : on ne peut pas chanter trop large dans Mozart, particulièrement dans la zone de passage. Certaines choses sont plus faciles pour moi aujourd'hui, alors que d'autres l'étaient davantage avant. Il faut vivre avec sa voix au fil du temps. J'ai abordé Hoffmann il y a un an et demi, et j'aimerais beaucoup le refaire, ainsi que Des Grieux dans Manon. Je pense aussi à Werther, mais avec un chef qui sache retenir son orchestre. Quant aux rôles dont je rêvais il y a quinze ans, comme Otello, que je connais dans ses moindres détails, je préfère les écouter par des voix plus appropriées. |
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Vous êtes l'un des chanteurs favoris de Gerard Mortier. Comment votre collaboration a-t-elle commencé ?
J'ai fait mes débuts à Salzbourg dans le Don Giovanni mis en scène par Patrice Chéreau, assurément le meilleur auquel j'aie jamais pris part. Le travail se concentrait sur le texte et les relations entre les personnages. Tout le reste – et nous avions dans cette production des décors et des accessoires extraordinaires – était en plus, disait-il. Selon lui, c'est la relation des chanteurs avec le texte qui retient l'attention du public, qui veut voir des émotions réelles. Chéreau est un mordu de travail, et nous répétions six heures par jour. Ce fut une expérience incroyable. |
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Vous avez participé à des productions très controversées, comme la Flûte enchantée de la Fura dels Baus. Quelle est votre réaction face aux huées du public ?
Cela m'est égal. Au moins les spectateurs ont-ils une opinion. Aux États-Unis, ils pensent uniquement à récupérer leur voiture au parking. Dans la plupart des cas, le public ne veut pas comprendre que lorsqu'un metteur en scène signe une vision totalement différente de la Flûte enchantée, il ne pense en aucun cas imposer une version définitive, mais simplement jeter un regard neuf sur cette oeuvre. À l'opéra, les spectateurs connaissent si bien les oeuvres, et particulièrement celles de Mozart, qu'ils sont souvent choqués de ne pas voir ce qu'ils attendaient. En ce qui me concerne, je cherche à savoir si la production a un sens pour moi, et je suis toujours prêt à tenter la nouveauté, avec parfois d'excellentes surprises, comme la Damnation de Faust de la Fura dels Baus à Salzbourg en 1999, une production magnifique et très exigeante sur le plan physique. Mais je fais ce métier avant tout pour divertir le public. Je veux l'amuser et lui procurer du plaisir, non le choquer ou lui enseigner quoi que ce soit. |
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