











|
 |
ENTRETIENS |
04 juillet 2025 |
 |
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour interpréter Jules César de Haendel ou Orphée de Gluck, les propositions ne s'étaient pas encore présentées ?
Au contraire, à 18 ans, on m'a déjà demandé de chanter Orphée, mais je n'étais ni prête vocalement, ni mentalement et cela a été dur de refuser. La voix d'alto a une maturation beaucoup plus longue qu'une voix de soprano, c'est une grosse pierre, jolie, mais massive ; elle est faite pour s'étendre lentement. Je me suis aventurée dans des morceaux truffés de vocalises, qui ne sont pas du tout évidents pour ma voix, mais avec l'idée de pousser mes limites techniques. Le résultat est là , j'arrive à faire bouger une voix qui aurait pu se contenter de chanter Bach ou Mahler, des écritures très confortables. Mais pendant 10 ans, j'ai dû me contenter de petits rôles, car dans le répertoire baroque, il n'y a pas d'intermédiaire. Ensuite la première proposition importante est venue de l'opéra de Lyon en 1998 pour Orphée. J'ai repris la partition, les conditions étaient bonnes et le déclic s'est fait. |
 |
|
Sur scène, avez-vous des projets dans le répertoire romantique ?
À part Orphée, non, mais je vais créer à Prague, l'an prochain, un rôle contemporain qui a été composé pour moi par Laurent Petitgirard, Elephant Man, dans une mise en scène de Daniel Mesguich. J'ai eu un coup de foudre pour cette musique très bien écrite pour la voix, belle, moderne et mélodique à la fois. |
 |
|
C'est encore un rôle de travesti !
C'est normal, on exploite l'ambiguïté de la voix. De toute façon les rôles d'homme sont plus faciles scéniquement et plus confortables que les rôles féminins en perruque et avec une crinoline de 15 kg ! Dans mon répertoire, ils sont d'ailleurs beaucoup plus intéressants, ils agissent et prennent des décisions, contrairement à la femme qui subit l'action, et ça, j'aime ! Cela dit, j'espère ne pas avoir plus de trois heures de maquillage pour Elephant Man ! (rires) |
 |
|
Vous chantez avec l'ensemble baroque Tafel Musik, mais vous avez enregistré la Passion selon St Matthieu de Bach avec Seiji Ozawa, ce n'est pourtant pas du tout la même approche, non ?
Tout le mouvement baroque a apporté l'essentiel, la dynamique et la liberté de phrasé que l'on avait perdu, mais si un orchestre utilise cet acquis comme celui du Festival de Saïto-Kinen, c'est fantastique ! Tous les musiciens japonais ont joué sur instruments modernes avec des archets baroques pour acquérir de la légèreté ! Le Choeur de l'Opéra de Tokyo était constitué uniquement de futurs solistes professionnels qui connaissaient la partition par c¦ur et les solistes avaient tous l'expérience du baroque. Ozawa leur demandait constamment conseil et on est arrivé à une version vraiment étonnante. |
 |
|
Vous vous investissez par ailleurs beaucoup dans le lied, qu'est-ce qui vous attire particulièrement dans ce répertoire ?
Essentiellement sa richesse qui d'exprimer d'autres sentiments et de faire un travail intime sur soi devant un public plus proche et plus réduit. Avec une salle de 1 000 places, on peut encore jouer avec une palette sonore, autrement il faut chanter fort en permanence. |
 |
|
Comment s'est faite la rencontre avec votre pianiste Inger Södergren, après la disparition de Catherine Collard ?
Après avoir cessé les récitals pendant un an, j'ai assisté par hasard à l'un de ses concerts, sans la connaître. J'ai attendu 6 mois avant de l'appeler et dès les 4 premières mesures de Schumann, j'ai su que j'avais trouvé un son, une expression à tomber par terre et surtout une même manière de concevoir la phrase musicale. Sa façon de chanter sur le piano est reconnaissable immédiatement ; on est loin de cette mode aseptisée, de cette uniformité du son des pianistes d'aujourd'hui. Sa qualité de piano est très particulière, c'est un jeu qui peut être extrêmement pianissimo et à la fois très puissant, très profond, sans aucune dureté. Cela me permet de me fondre mieux avec le piano et de trouver plus de couleurs sans crainte d'être incomprise - danger de la voix d'alto, plus sourde qu'une voix de soprano et que l'on a tendance, à tort, à forcer. |
 |
|
Votre 5e CD consacré à Schumann s'inscrit au sein d'une intégrale désormais annoncée. Pourquoi Schumann ?
C'est un compositeur que l'on peut aborder jeune de façon très viscérale. Cet élan abrupt, brusque, changeant, correspondait à ce que je pouvais ressentir il y a 10 ans quand j'ai commencé. La beauté des parties de piano de Schumann, étant moi-même pianiste de formation, m'a aussi beaucoup attirée. Maintenant je vais aborder les grands cycles de Schubert, comme le Voyage d'Hiver qui demande un vécu et un certain recul, et les Rückert Lieder de Mahler. |
 |
|
Quels sont vos rapports avec la critique ?
Je ne laisse pas les gens indifférents, c'est tout ou rien. Quand on est jeune, c'est difficile à accepter. On donne de son mieux et la plupart du temps il y a des gens totalement incapables d'avoir un jugement normal qui écrivent leur petit avis de manière à influencer la façon de penser des autres. Mais l'amateur qui va au concert ou achète des disques, n'y prête pas attention, au contraire il vous aime encore plus, et inversement pour celui qui vous déteste ! Quand on pense à la façon dont Horowitz, qui reste pour moi le plus grand pianiste du siècle, a été descendu, cela remet les choses en place. Il faut relativiser, se détacher, en fait, c'est un jeu. Je lis en fait très peu les critiques, je continue mon chemin. J'ai la chance de voyager, de chanter partout à l'étranger, même trop ! la seule chose qui me manque, c'est du temps pour préparer mes nouveaux programmes de concerts. |
 |
|
DISCOGRAPHIE
Chez RCA :
Schumann, intégrale des mélodies, volume I et II avec Catherine Collard, piano
Schumann, intégrale des mélodies, volume III, IV et V avec Inger Södergren, piano
Brahms, mélodies avec Inger Södergren, piano
Chausson, mélodies avec Inger Södergren, piano
Poulenc, mélodies avec Inger Södergren, piano
Haendel avec le Hanover Band, et Roy Goodman
Chez Philips :
La Passion selon St Matthieu de Bach, avec Ozawa
La 2e symphonie de Mahler avec Ozawa (à paraître à l'automne)
Chez Chant du Monde (Harmonia mundi):
Joseph Merrick dit Elephant Man de Laurent Petitgirard (à paraître en septembre)
Chez Delos :
La 3e symphonie de Mahler avec Andrew Litton
|
 |
|
|