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ENTRETIENS |
10 novembre 2024 |
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Claire Brua, le " désir du chant " fut une sensation précoce chez vous, n'est-ce pas ?
C'est en tout cas ce que m'a dit ma famille, car mes premiers souvenirs restent assez vagues à ce sujet. Il paraît qu'à cinq ans je chantais tout le temps et n'importe où. Par la suite, seules émergent les années de piano de mon enfance. Un parcours sans surprise et sans l'éveil d'une vocation vocale particulière. Si ce n'est qu'après mon baccalauréat, je jouais les monitrices dans les colonies de vacances et j'égayais les veillées d'été avec un tout un répertoire folk - voix et guitare - emprunté aux pionniers du genre : Joan Baez, Bob Dylan etc.
Cela dit, et dans le même temps, je découvrais, par le biais de la radio et du disque, le grand répertoire classique et romantique (le baroque était encore loin). Avec deux révélations absolues : le Requiem de Mozart et le Tristan de Wagner (mon idéal dans ce domaine était d'être un jour Isolde à la scène).
Pourtant, tout en menant des études de lettres à la faculté de Nice, ma ville natale, j'ai soudain compris que la musique vocale était pour moi un besoin vital qu'il fallait assouvir à tout prix en se donnant les moyens techniques de le faire. Tout est alors allé très vite : études de chant au Conservatoire de Nice, puis " montée " obligée au Conservatoire de Paris dans la classe de William Christie ; un choix qui n'était pas prémédité mais qui allait s'avérer déterminant dans la poursuite de ma carrière. Désormais, le virus du baroque me tenait, qui n'allait plus me quitter, même s'il m'arrive de partager ce répertoire avec d'autres. |
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Qui dit Christie, dit Arts Florissants, tant le cher " Bill " avait pour principe de recruter le fond de sa troupe vocale dans sa classe d'élèves au Conservatoire. Avec le recul, comment appréciez-vous l'acquis que les " Arts Flo " vous ont apporté ?
Cela demeure pour moi une expérience inoubliable. Un " conservatoire dans le conservatoire " parce que Christie faisait passer dans son enseignement une passion, un acharnement qui vous poussait à donner le meilleur de vous-même : l'intelligence avec le coeur et, si j'ose dire, avec les tripes. Personnellement, j'y ai gagné le sens de la responsabilité, d'un engagement total comme s'il y allait de ma vie, au gré d'aventures souvent éprouvantes physiquement, mais toujours passionnantes, tonifiantes. Et je ne parle pas du climat collectif, de cette joie dilatante de faire de la musique ensemble, tous pupitres confondus, car chanter c'est aussi faire de sa voix un instrument, comme le violon, la viole de gambe. |
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Plus précisément, quels souvenirs gardez-vous de votre passage aux " Arts Flo " ?
D'abord, Didon et Enée de Purcell (à la scène j'étais Didon, rôle confié, dans le disque qui a suivi, à Véronique Gens). Et puis tous les Monteverdi des Septième et Huitième Livres de Madrigaux : autant de résurrections ardentes, ferventes, sans compromission. En tant qu'interprète, je n'ai pas souvent ressenti, par la suite, d'impression aussi gratifiante, exaltante. |
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Votre activité aux " Arts Flo " ne vous a pas empêché, dès cette époque, d'aborder d'autres répertoires lyriques semble-t-il ?
En fait, dès mes débuts, j'ai refusé d'être étiquetée comme " baroqueuse ". Et mon idéal est de continuer à mêler les styles, les écoles, les auteurs (les goûts " réunis " comme on disait au XVIIIe siècle). Dès fin 1990, j'avais chanté à Nantes Le Roi l'a dit de Léo Delibes. Et je m'en étais très bien trouvée. Aujourd'hui, c'est surtout Mozart qui me sollicite hors de l'époque baroque. J'ai été ainsi Dorabella dans Cosi, Annius dans la Clémence de Titus, la Deuxième Dame dans la Flûte dirigée par Malgoire, sans oublier Chérubin, tout récemment à Liège, dans les Noces. Et je veux dire - mais avec lui, nous retrouvons l'un des princes du baroque - tout le plaisir que m'apporte Haendel, un autre souvenir marquant étant ici Riccardo Primo que j'ai chanté avec Les Talens Lyriques, sous la direction de Christophe Rousset. |
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Revenons à ce récital à Saint-Denis qui a mis en lumière vos dons de mélodiste et de duettiste, puisque vous faites tandem, dans ce domaine, avec Sophie Marin-Degor.
On ne dira jamais assez l'apport de la mélodie française au répertoire vocal de chambre : Fauré, Duparc, Debussy, Ravel, mais aussi Gounod, Bizet, Saint-Saëns et Massenet ; un univers intimiste fait de perfectionnisme exigeant et de subtilité dans le " dire ". Avec un éventail de couleurs, de moirures que n'apportent, à mon sens, ni le Lied allemand, ni la mélodie italienne, surtout soucieuse de bonheur belcantiste. |
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Précisément, parlons de l'Italie. Vous avez développé également - à travers le répertoire baroque - une vraie connivence avec l'école transalpine. Dans cette relation, on retrouve l'intérêt que vous portez plus généralement à l'accord de la mélodie et du verbe. Un intérêt conforté ici par le fait que vous parler parfaitement italien.
C'est vrai qu'en tant que Niçoise, j'ai toujours eu un rapport de proximité amoureuse avec l'Italie ; s'agissant de l'Italie des XVIIe et XVIIIe siècles, et non de l'opéra verdien et puccinien. Ce qui me passionne avant tout dans la musique ancienne de la Péninsule, c'est le pouvoir du mot. N'oublions pas que le projet de l'opéra primitif a été de réciter, donc de parler " en musique ". D'où l'importance rhétorique de ce discours, stimulé par les émotions et ce que les contemporains appelaient les affetti (mise en situation des notes avec l'expression). De ce point de vue, et outre William Christie, j'aime beaucoup travailler avec Christophe Rousset qui laisse à l'interprète la liberté prosodique de la sprezzatura. À condition de rester à tout instant à l'écoute du texte avec les conséquences que cela implique dans la théâtralité et la gestuelle du jeu dramatique. |
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Dans votre calendrier à venir, je note que William Christie fait un retour en force avec ce " Tito ", opéra baroque de Marc'Antonio Cesti, disciple indirect de Monteverdi, au Festival de Strasbourg en juin 2001. Mais d'autres productions vont vous entraîner dans le même temps loin du baroque. Telle " La vie parisienne " que monte l'Opéra de Toulon à la fin de cette même année 2001 et où vous chantez le rôle de Metella. Offenbach n'est-il pas le type d'auteurs à risques sous son apparente facilité ?
Assurément, parce qu'il faut que le chant, le rire et le gag y soient toujours étroitement solidaires, et comme " millimétrés " dans leurs effets. Mais il y a tellement de plaisir pour le chanteur ou la chanteuse qui joue le jeu. |
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Claire Brua, au moment de conclure, faites un voeu. Quels sont les rôles (non encore abordés) que vous aimeriez incarner en priorité à la scène ?
D'abord, le Néron du Couronnement de Poppée. Puis Sestus dans la Clémence de Titus. Enfin, troisième souhait, comme dans les contes de Grimm : la Rosine du Barbier rossinien version mezzo. Et là , j'ai bon espoir que le rêve aboutisse. |
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