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ENTRETIENS 19 avril 2024

Charlotte Ranson, la passion de la scène

Physique de star, elle pourrait faire du cinéma. Mais la danse est sa passion. Charlotte Ranson est Coryphée dans le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris. Lauréate du Prix Carpeaux, cette jeune ballerine fut notamment l’Amour dans l’Orphée de Pina Bausch. Un jalon dans une carrière à l’avenir scintillant.
 

Le 02/11/2009
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Vous ĂŞtes entrĂ©e Ă  17 ans dans le Corps de ballet. Quelles ont Ă©tĂ© jusqu’à prĂ©sent les rencontres les plus marquantes que vous avez faites ?

    Tout de suite, regarder les Étoiles en cours m’a interpellée. Fascinant et stimulant ! Et puis j’ai eu la chance d’être choisie par Pina Bausch pour danser l’Amour dans Orphée et Eurydice alors que ne n’étais encore que Quadrille. Qu’elle me fasse confiance pour un rôle avec un solo a déclenché quelque chose en moi. Le regard des autres a aussi changé. On m’a encouragée. Brigitte Lefèvre m’a ensuite beaucoup distribuée dans des ballets contemporains. Laure Muret et Kader Belarbi m’ont aidé pour travailler les concours.

    Avec Nicolas Paul, hors opéra, j’ai aussi fait plusieurs créations, vraiment conçues pour moi, ce qui m’a permis de découvrir de nouvelles façons de bouger. Actuellement, la Première Danseuse Nolwenn Daniel m’apporte beaucoup dans le travail du classique. Elle me parle un langage que je comprends bien. Mais j’ai aussi travaillé avec Clairemarie Osta et Agnès Letestu, des artistes qui ont tout compris. C’est un bonheur de boire leurs paroles. Ghislaine Thesmar m’a également indiqué des directions que je n’oublie pas et que je m’efforce de suivre.

     

    Comment se passait le travail avec Pina Bausch ?

    C’était tellement génial d’avoir cette grande dame qui en trois mots et deux mouvements définissait à la perfection ce qu’elle voulait, que j’avais à peine l’impression de travailler ! J’apprends facilement par mimétisme et Pina était parfaite dans chaque mouvement. Elle savait exactement ce qu’elle voulait et elle le faisait immédiatement comprendre. Il y avait quelque chose de mystique dans sa façon d’aborder le mouvement qui nous rendait très humble et le faisait sortir de nous. En même temps, comme j’étais la plus jeune, elle était très maternelle avec moi.

     

    Dans le travail en général, qu’est-ce qui vous est le plus facile et le plus difficile ?

    Mon problème principal en classique est sur le travail du bas du corps, par exemple sur la présentation des pieds. Je suis en train de retravailler en profondeur tout ce placement, en particulier pour les lignes. Pour l’ouverture aussi. Je revois donc tout mon placement de bas de jambes, de jambes, de bassin, pour trouver quelque chose de simple, bien en dehors.

    Sinon, on m’a dit que j’avais des facilités pour m’exprimer en scène et que j’ai un bon saut. Au cours, je fais souvent les sauts des garçons, les doubles sauts de basque, les tours en l’air car j’ai une bonne musculation. Je suis meilleure en scène qu’en studio, sauf si je danse devant Pina Bausch ou Mats Ek !

    J’ai besoin de sentir sur moi un regard positif, porteur, que ce soit celui d’une chorégraphe ou du public. Cela décuple mes forces. À mon premier concours, j’avais tellement envie de danser que je me suis lancée avec une telle énergie que j’ai fini dans le piano ! J’arrive aujourd’hui mieux à la canaliser, mais je reste toujours impatiente de me lancer en scène.

     

    Un peu comme Dorothée Gilbert ?

    J’étais à l’École avec elle et j’ai la plus profonde admiration pour la manière dont elle travaille, dont elle évolue, dont elle a su justement effacer ses rares défauts et développer ses qualités. C’est absolument exemplaire. C’est une bosseuse et en la voyant, cela m’encourage à travailler. D’ailleurs, je ne supporte pas d’arrêter le travail et notamment d’être blessée. Cela ne m’est arrivé que deux fois, mais je me sentais vraiment punie ! Si je ne danse pas dans la journée, je ne peux pas dormir la nuit car je n’ai pas libéré mon énergie.

     

    Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?

    Une de mes cousines faisait de la danse dans le village où j’habitais. J’avais 3 ans, mais je l’enviais quand je la voyais partir prendre son cours avec son chignon de ballerine. Ma mère m’a inscrite dans un petit cours d’éveil corporel à Paris. J’ai beaucoup aimé cela, surtout les spectacles devant les parents et les amis. À 5 ans, j’ai rencontré le professeur de ma cousine, quelqu’un de très passionné qui montait d’excellents spectacles de banlieue. Cela m’a donné encore plus envie de danser et je me suis inscrite au cours du village du Val d’Oise où nous avions déménagé. J’ai pas mal déménagé, mais la danse m’a toujours suivie !

    Ce professeur très passionné a vraiment su me donner ce qu’il me fallait pour que j’aime la danse et les ballets du répertoire dont elle reprenait la musique en adaptant les pas pour nous tout en restant fidèle à l’esprit classique. Mes parents ont déménagé dans le sud de la France et je me suis retrouvée au conservatoire d’Avignon où je suis entrée sur audition.

    À mon entrée en sixième, j’ai choisi Danse Études à Avignon et l’année suivante je me suis présentée à l’École de danse de l’Opéra de Paris où j’ai été admise en cinquième division avec Madame Guiton. J’avais 11 ans. Un petit incident de parcours dû à une anémie en seconde division a failli me faire perdre une année, que j’ai finalement rattrapée et, bien que Madame Bessy ait jugé préférable avec raison que je refasse la première division avant d’entrer dans le Corps de ballet, j’ai intégré la compagnie à 17 ans.

     

    Un bon souvenir de l’École de danse ?

    J’ai un peu souffert de l’éloignement avec mes parents que je ne voyais qu’une fois par mois puisqu’ils étaient en Avignon. Mais je pouvais voir mes grands-parents qui étaient à Paris et l’atmosphère de l’internat me convenait bien. On travaillait beaucoup, mais on s’amusait aussi. Les professeurs étaient excellents. Je garde encore dans mon travail quotidien les principes appris notamment auprès de Madame Vlassi et de Madame Zumbo. Elles nous parlaient comme à des adultes.

     

    Aviez-vous alors conscience que tout ce travail allait vous permettre de vous inscrire dans une tradition qui était l’aboutissement de plusieurs siècles d’histoire de la danse ?

    J’étais déterminée à entrer à l’Opéra. Certaines de mes camarades envisageaient sereinement d’aller ailleurs si elles n’étaient pas admises dans la compagnie. Pas moi. C’était l’École française, implantée dans notre culture, avec ce théâtre extraordinaire, ses dorures côté salle, ses parquets qui grincent et ses couloirs interminables côté coulisses, ses studios. J’en rêvais, et quand je suis entrée, j’ai été subjuguée par l’osmose de tous ces danseurs, avec ces Étoiles qui portent le ballet et qui prennent le cours à un mètre de vous. J’en oubliais parfois de faire les pas tant j’étais fascinée par leur proximité. Ce que j’ai découvert correspondait parfaitement à mon rêve et allait même au-delà.

     

    Quand on entre dans cette énorme compagnie avec cette hiérarchie, tous ces échelons à franchir ne paraissent-ils pas une tâche écrasante, insurmontable ?

    J’étais très admirative de tous les gens du ballet, des Quadrilles aux Étoiles, mais quand on est jeune Quadrille, on a l’impression d’être noyée dans une masse de danseurs plus expérimentés que vous. À mon premier concours, j’avais vraiment l’impression que personne ne pourrait me remarquer, que j’étais une sorte de vilain petit canard, que je ne pourrais jamais me détacher du lot. Une fois montée Coryphée, c’est déjà tout différent. On s’est extrait de la masse et on a accès à beaucoup plus de choses.

     

    Une fois engagée dans ce processus, quelles ont été vos nouvelles motivations ?

    Dans le répertoire que nous pratiquons à l’Opéra, nous avons la chance d’être confrontés à une grande diversité de styles, ce qui implique des types d’investissement et d’intérêt tout aussi différents. Quand nous travaillons un ballet contemporain, comme ce fut pour moi le cas avec Orphée et Eurydice de Pina Bausch, Variations pour une porte et un soupir de Maurice Béjart, White Darkness de Nacho Duato, Bernarda de Mats Ek ou encore Wuthering Heights de Kader Belarbi, c’est très stimulant car nous avons affaire à des créateurs aux personnalités très fortes qui nous obligent à envisager toutes les possibilités d’utiliser notre corps.

    Nous sommes obligés d’aller toujours plus loin que ce que nous pensions pouvoir faire. Cela crée chez moi une vraie faim d’apprendre, d’essayer de nouveaux mouvements. En classique, les expériences sont aussi passionnantes, tant dans le Corps de ballet qu’en demi-soliste, avec des vrais personnages à incarner. Il faut tout tenter, ne serait-ce que pour se situer et savoir ce que l’on aime et ce que l’on aime moins. Il y a en outre des rôles marquants que je rêve d’interpréter, mais pas forcément des premiers rôles.

     

    Vous sentez-vous plus classique ou plus contemporaine ?

    J’ai la chance de faire quasiment tous les ballets contemporains affichés depuis que suis dans la compagnie. J’y ai donc accès sans vrais problèmes. En revanche, pour avoir maintenant accès aux rôles qui m’intéressent et sont vraiment motivants en classique, il faut que je progresse toujours pour monter dans la hiérarchie. En dehors de ces aspects purement pragmatiques, je n’ai pas de références. Je rêve de faire les grands rôles classiques.

    J’aimerais faire une carrière comme celle de Laetitia Pujol qui danse aussi bien Giselle que Mats Ek. Elle a une polyvalence qui fait rêver. Mais elle est tellement hors norme, précise, que c’est un idéal difficile à atteindre. Je suis très consciente que je dois encore prouver ce que je peux faire dans le classique. C’est pourquoi je travaille avec acharnement pour éviter que l’on me mette définitivement une étiquette. De toute façon, je suis plus à l’aise dans les rôles où le personnage aide à porter la chorégraphie, comme la Carmen de Roland Petit, la Dame aux Camélias de John Neumeier ou Tatiana d’Onéguine de John Cranko. Des rôles où le théâtre est important.

     

    Vous m’aviez dit une fois que aimiez écrire. Est-ce toujours le cas ?

    J’essaie toujours ! En ce moment, je recueille les souvenirs de ma grand-mère. Mon grand-père est décédé l’an dernier, mais ils ont eu tous les deux une vie tellement liée à l’histoire de leur temps que je veux absolument préserver ce témoignage. C’est une partie de l’histoire de la France car ils ont été au centre des grands événements de leur époque, comme mon grand-père qui a par exemple été déporté en Allemagne.

    Ce sont des vies extrêmement riches qui m’apprennent énormément. Je suis très investie dans ce travail. Je lis aussi beaucoup et j’écoute beaucoup de musique dès que je suis chez moi. La musique se traduit pour moi immédiatement en images de danse. J’ai d’ailleurs envie de faire de la chorégraphie, tout en sachant que cela ne s’improvise pas et demande aussi beaucoup de travail.

     

    Le 02/11/2009
    GĂ©rard MANNONI


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