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ENTRETIENS |
03 juillet 2025 |
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Jean Rondeau,
le dialogue avec le clavecin
Cheveux en pétard, goût pour la pratique d’ensemble et l’improvisation, fascination pour le jazz, le jeune claveciniste français Jean Rondeau, bientôt vingt-cinq ans, est sous les feux de la rampe pour la sortie de son disque Vertigo dévolu à Rameau et Pancrace Royer. Rencontre avec un musicien tout sauf dogmatique, qui n’aime rien tant que le dialogue avec son instrument.
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Comment en vient-on Ă choisir le clavecin ?
Ce n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler un choix. C'est une passion qui trouve son origine dans quelque chose de moins calculé que dans des décisions adultes, c'est instinctif et passionnel. Quand on est enfant, on a un rapport certainement plus sain à notre décision de jouer tel ou tel instrument. Aujourd'hui encore, je remets en doute de façon permanente ce que j'ai envie de faire, y compris le fait de savoir si j'ai envie de jouer du clavecin toute ma vie par exemple. |
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Y a-t-il eu une influence particulière, un élément déclencheur ?
J'ai travaillé pendant dix ans avec Blandine Verlet. Elle a été pour moi une grande source d'instruction et d'inspiration. Par sa présence et son attention, elle a su m'apporter une pédagogie exemplaire : savoir écouter les maîtres, savoir pourquoi on est là et pourquoi on fait de la musique. Elle m'a donné cette éducation avec toute l'humilité qui la caractérise. Son enseignement a toujours accordé une grande place à la liberté, tant en ce qui concerne le répertoire que l'interprétation. Cela me correspondait parfaitement. |
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D'ordinaire, l'univers du jazz et du clavecin ne se rencontrent pas. Quel rapport faites-vous entre musique écrite et musique improvisée ?
Je les explore mais mon objectif n'est pas de mêler les deux. J'ai été attiré assez jeune vers les formes de musiques improvisées, principalement par le biais de la pratique du piano au Conservatoire. Le côté académique de l'enseignement ne m'intéressait pas vraiment. J'ai suivi la classe d'improvisation de Sylvain Halevy. Même si je n'ai pas poursuivi une carrière d'interprète de jazz, je peux dire que la pratique de l'improvisation m'aide beaucoup dans mon questionnement quotidien par rapport à la musique. |
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Comment choisissez-vous vos instruments ?
Généralement, j'opte pour des copies d'instruments anciens mais il peut m'arriver de jouer des clavecins d'époque dans des musées ou chez des collectionneurs. Mon disque Vertigo est enregistré sur le clavecin anonyme conservé au château d'Assas. C'est très impressionnant d'enregistrer sur un instrument qui a gardé malgré l'âge cette vitalité et ces couleurs. Il n'y a pas vraiment de règles. Jouer un instrument ancien n'est pas la garantie d'avoir une belle sonorité, il faut savoir parfois se tourner vers un instrument moderne. Je fonctionne au coup de cœur, je n'ai pas de goût prédéfini pour tel clavecin, tel facteur. Actuellement, je possède chez moi deux copies, un clavecin italien et un clavecin français. |
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Qu'en est-il de l'acoustique des salles de concert ?
Il faut savoir s'adapter à l'instrument, être conscient de la palette que l'instrument peut projeter. Je me refuse à jouer des pièces de Rameau ou Bach au piano, au prétexte que l'instrument a une meilleure projection. On peut y trouver un intérêt mais cela reste avant tout une problématique de transcription. Le répertoire français nécessite de rendre une forme, une écriture et une appréhension du clavier qui ne trouvent leur expression propre qu'au clavecin. |
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Dans Vertigo, vous avez choisi de réunir Rameau et un compositeur moins connu, Joseph Nicolas Pancrace Royer.
Ce sont deux personnalités vraiment différentes. Le disque suit un thème précis, celui de l'opéra. Ces deux compositeurs étaient les deux seuls à leur époque à avoir écrit à la fois pour le clavecin et pour l'opéra. Ils ont transcrit au clavier des extraits de leurs opéras, mettant en valeur la capacité de l'instrument à rendre par la sonorité et le jeu un art de la dramaturgie et de la mise en scène. Le clavecin était également un outil de diffusion de l'opéra afin de le rendre accessible à des publics qui n'y avaient pas forcément accès. Il avait au XVIIIe siècle le statut du piano au XIXe, comme par exemple les transcriptions de Wagner par Franz Liszt. |
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Comment expliquez-vous l'effet que produit une pièce ultra virtuose comme la Marche des Scythes de Royer ?
Je n'accorde pas beaucoup d'importance à la virtuosité en tant que telle. Ce n'est pas l'essentiel, même si elle constitue un obstacle à franchir. La virtuosité est séduisante mais c'est un paramètre musical annexe. Seule la musique m'intéresse. |
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Avez-vous le projet d'enregistrer une intégrale comme les Variations Goldberg ?
Je vais jouer à la fin de l'année les Goldberg en concert en Italie et aux Pays-Bas. Le disque, je le considère comme une démarche en soi, je pourrais même dire un art en soi. La question de l'enregistrement se fait en parallèle des concerts. C'est pour moi comme une construction architecturale. Au départ, il y a l'envie de graver des pièces qui racontent une histoire. Je ne me réfère pas forcément aux attentes d'un certain public, je ne tiens pas à ce que mes enregistrements débouchent sur des comparaisons discographiques. Je ne joue que des pièces qui résonnent en toute honnêteté avec ce que j'ai en moi de plus profond. |
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On vous voit souvent aux côtés d'autres musiciens – récemment Thomas Dunford à la salle Cortot. C'est important pour vous de créer une communauté autour de vous ?
Pour moi, la musique d'ensemble est non seulement primordiale, mais j'ai envie de dire que c'est presque l'essentiel. Non pas qu'un monde gravite autour de moi mais le fait de travailler avec des amis. MĂŞme en soliste on n'est jamais seul, il y a toujours ce dialogue avec l'instrument. |
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La direction d'un ensemble vous tente-t-elle ?
Je me suis posé la question, en effet. Au Conservatoire, j'ai travaillé la direction d'orchestre et de chœur. C'est une question de temps et exigence, mais je n'évince pas l'idée. J'ai besoin au préalable d'étudier ce que représente un chef en musique. Je n'aime pas beaucoup l'idée d'un chef qui décide pour les autres et impose des idées. La direction est une question délicate mais passionnante. |
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Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille avec Nevermind, un quatuor baroque. Nous venons de sortir notre premier disque (Conversations, chez Alpha), consacré à deux compositeurs quasi-inconnus, Jean-Baptiste Quentin et Louis-Gabriel Guillemain. Nous donnons en avril un concert à l'église des Billettes, avec notamment du Telemann et du Marin Marais.
Ă€ voir :
Tournée à Deauville, Tours, Nantua, Lille, Albi, ainsi que le 5 juin au festival de Saint-Denis aux côtés de Thomas Dunford, Josh Cheatham et Sandrine Piau dans un programme de cantates italiennes (Vivaldi, Monteverdi, Haendel) et d'airs de Cour (Charpentier, Campra et Rameau).
À écouter :
Vertigo, musique pour clavecin de Rameau et Pancrace Royer, 1 CD Erato |
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