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ENTRETIENS 24 avril 2024

Sir Colin Davis,
un chef tellement franc

© LSO

Cette année, Sir Colin Davis et son London Symphony Orchestra sont venus au Théâtre du Châtelet pour y faire entendre une partition rarement donnée en France : Ma Vlast de Smetana. À cette occasion, Sir Colin, tout frais titulaire de la légion d'honneur, nous a accordé une interview exclusive, d'une franchise décoiffante.
 

Le 06/04/2001
Propos recueillis par Françoise MALETTRA
 



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  • Chaque fois que Sir Colin Davis rend visite à la France, on ne manque jamais de saluer le grand chef qui, en un demi-siècle, a dirigé les plus grandes formations du monde, et surtout le musicien qui a fait connaître Berlioz aux Français et sans doute contribué à réhabiliter son oeuvre, Berlioz qui a décidé de sa carrière de chef et traversé toute sa vie. Sir Colin Davis vient d'ailleurs de recevoir la légion d'honneur pour bons et loyaux services rendus à la musique de notre pays.

     
    D'où vous vient ce si grand amour pour la musique française ?

    J'aime le bruit que fait la musique de Berlioz ! C'est pour moi le plus grand, le plus surprenant, le plus résolument moderne des romantiques. Si l'on pense que Beethoven meurt en 1827, et que trois ans plus tard, un jeune de 27 ans nommé Berlioz, qui n'avait jamais entendu vraiment sonner un orchestre, compose la Symphonie fantastique, il y a de quoi crier au génie !

    Pour ce qui est de la musique française, je dirais que loin derrière lui, il y a Debussy, "un petit génie", et Ravel, intéressant mais trop superficiel. Ensuite il y a les grands hommes de la deuxième catégorie : Gounod, Massenet et Saint-Saens. De Saint-Saens, Berlioz disait : "le problème avec lui, c'est qu'il est exceptionnellement doué, mais qu'il manque cruellement d'expérience". Je suis en partie de son avis.

    Et puis vous avez Olivier Messiaen, votre grand musicien. Rien à ajouter ! Ce qui n'est pas le cas de Pierre Boulez, car malgré son intelligence et son charme, il ne restera pas dans l'histoire, car il ne compose que pour lui-même, comme Schoenberg ou Stockhausen. Ce sont des théoriciens de la musique, des cartésiens. Conclusion, Berlioz est le plus grand ! Mais pourquoi est-il mieux accueilli en Angleterre que chez vous ? Quel est votre problème avec lui ? Parce qu'il préfère Shakespeare à Racine ? Moi aussi, je préfère Shakespeare ! Pourquoi serait-il plus insupportable que De Gaulle ? Il y a partout des gens insupportables en France, comme ailleurs ! Enfin, c'est là mon opinion, et elle est sans appel !

     
    Au cours de ces 20 dernières années, vous avez fait considérablement évoluer le répertoire du London Symphony Orchestra à travers de grands cycles consacrés à Sibelius, Chostakovitch, Mahler, Boulez( !), multiplié les enregistrements de bande-son pour le cinéma, et fait aussi que l'orchestre soit présent hors des murs des salles de concerts, pour aller à la rencontre des enfants des écoles, des malades dans les hôpitaux, des détenus dans les prisons. Vous avez produit une video de 90 minutes, "Musique Explorer" à leur intention. Vous pensez donc que la légitimité d'une formation comme la vôtre passe aussi par cette politique d'ouverture sur la vie sociale ?

    Naturellement. La musique doit être au coeur de la vie sociale. Les modes portées par les pop-stars, les musiques électriques, les sportifs et les top-models ont fini par faire croire que la musique classique était finie. On a décrété que Mozart, Beethoven, Berlioz, Verdi, Dvorak étaient des musiciens élitistes. On a oublié qu'ils venaient du peuple et que leur musique appartient au peuple.

    L'industrie du disque a beaucoup exploité la musique classique, pour finir par la traiter comme un maquereau traite une prostituée quand elle trop servi, et par la lâcher au lieu de la replacer là d'où elle vient. Il y a une place immense laissée vacante pour autre chose que l'argent et la technologie. Alors, oui, il faut être présent dans la cité, établir des liens de grande proximité entre l'orchestre et tous les publics. On peut penser que techniquement parlant, je suis un vieil homme, et pourtant, tout ce que j'aimais avant, aujourd'hui je l'adore.

     
    Il y a quelques jours, vous donniez " Ma Vlast " (Ma Patrie) de Smetana, Vous qui confessez "un amour secret" pour ce compositeur, pourquoi avoir attendu si longtemps avant de le jouer ?

    C'est vrai que c'est une grande première pour moi et le London Symphony. C'est vrai que j'adore Dvorak, Janacek, Martinu, que j'ai très souvent dirigé leurs oeuvres, mais disons que le temps est simplement venu de revenir à ce grand pionnier qu'est Smetana, et de rendre hommage à une partition magnifique composée par un homme devenu tragiquement sourd et proche d'une mort affreuse. Et puis il faut sans cesse réactiver ses sources, sinon on finirait tous par jouer la même chose, ce qui est trop souvent le cas. C'est une de mes obsessions majeures, et jusqu'au bout je rechercherai cette formidable jouissance de la découverte.

     
    Certains prétendent qu'aujourd'hui les grandes formations symphoniques ont une fâcheuse tendance à perdre ce qui dans le passé les rendait uniques, irremplaçables : un son, une couleur, une identité, immédiatement reconnaissables. Qu'en pensez-vous ?

    Cette idée me désole. Dans le passé, par exemple, les orchestres français avaient un son particulier en raison de la richesse des cuivres et des bois. Mais des chefs (et Karajan, le premier) ont imposé une sonorité métallique à la germanique. Plus tard, ils ont découvert qu'il y avait dans les orchestres anglais des instruments comme la clarinette qui apportaient une couleur indispensable à la qualité de l'ensemble et ils ont décidé de lui redonner sa place au sein de l'orchestre. Mais ils n'ont fait que réaliser un détestable "melting-pot", entretenu par les firmes discographiques de Vienne et de Berlin. Toutes les autres ont essayé de les imiter, sans se soucier de ce qui se passait à Paris, à Milan, à Londres ou à Saint-Pétersbourg. Heureusement cet impérialisme est terminé. Aujourd'hui, ils peuvent continuer de faire ce qu'ils veulent, ça ne nous empêchera pas d'exister.

     
    Où trouvez-vous votre point d'équilibre entre votre vie d'homme et votre vie de musicien ?

    Dans le fait de ne jamais laisser mon ego et les effets parfois pervers de la notoriété prendre le dessus sur les vraies raisons d'être de mon statut de musicien, sur ma famille et les valeurs fondamentales que j'y attache. Car je sais que dans le cas contraire, je risque de tout perdre. Souvenez-vous, dans L'Odyssée, Pénélope dit à Ulysse : "Dans ma cuisine, il n'y a pas de place pour le héros !".Voilà, je suis comme Ulysse, je me soumets !

     

    Le 06/04/2001
    Françoise MALETTRA


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