altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 24 avril 2024

Jan Latham-Koenig, l'assouplisseur d'orchestre
© Martin Bernhart

Le chef Jan Latham-Koenig dirige la Ville morte d'Erich Wolfgang Korngold au Châtelet. À l'occasion de cette première création scénique française, il fait le point sur sa carrière déjà longue et s'attarde sur cet opéra de jeunesse, chef-d'oeuvre incontestable de l'art lyrique.
 

Le 18/04/2001
Propos recueillis par Mathias HEIZMANN
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Avant de vous consacrer à la direction d'orchestre, vous avez été pianiste. Pouvez- vous revenir sur cette période de votre vie musicale ?

    En fait, j'ai commencé le piano très jeune; j'ai beaucoup joué dans les années soixante-dix. Mais le désir d'être chef d'orchestre s'est manifesté dès l'âge de 17 ans. Dans le même temps, j'avais pris conscience de la nécessité, pour un chef d'orchestre, d'être aussi instrumentiste. J'étais également violoniste et, à ce titre, j'avais joué plusieurs années dans l'Orchestre des jeunes d'Angleterre, notamment sous la baguette Pierre Boulez. À peu près à la même époque, je chantais dans un très bon choeur amateur (le Philharmonia chorus), dirigé par les plus grands chefs: j'ai ainsi pu observer le travail d'artistes comme Muti, Solti, Giulini ou Bœhm.

    Mais, pour moi, le piano présentait d'autres avantages : il permettait, contrairement à un instrument comme le violon, d'aborder seul une oeuvre complexe, tandis que sa pratique développait en moi un sens très aigu de l'harmonie et des structures. Et puis, il offre la possibilité de travailler avec des chanteurs : j'ai d'ailleurs été chef de chant pendant trois ans à l'Opéra de Glyndebourne, ce qui m'a permis d'observer le fonctionnement d'une telle institution et de comprendre les exigences particulières du genre lui-même. Tout cela, évidemment, m'a beaucoup aidé quand j'ai commencé à diriger. Pour moi, le piano était une étape.

    Mais les concerts que j'ai donnés à l'époque m'ont aussi permis de réunir l'argent nécessaire à la création d'un ensemble de chambre. Ainsi, j'ai pu commencer à diriger. On faisait de la musique assez difficile comme le Kamerkoncert de Schoenberg pour 15 instruments et, peu à peu, l'ensemble est devenu de plus en plus grand.

    Je suis convaincu que le chef a besoin de cette grande variété d'expériences pour pouvoir transmettre sa vision aux musiciens de l'orchestre. Nous ne produisons aucune sonorité, mais nous devons communiquer aux interprètes notre émotion et notre idée de l'oeuvre.

     
    D'une certaine manière, vous êtes un autodidacte, non ?

    Pas tout à fait. J'ai tout de même travaillé la direction pendant 5 ans au conservatoire de Londres avec Normand Delmas, un spécialiste de la musique de Richard Strauss. À l'époque, il était l'auteur d'une monographie de référence sur le compositeur.. Ces années d'études m'ont beaucoup apporté même s'il est vrai que la direction s'apprend surtout avec la pratique.

     
    L'orchestre est à la fois une somme d'individus, mais également une sorte d'instrument en soi. Comment concilier les deux ?

    Il faut faire un travail d'unification. Tous les musiciens ont naturellement leur conception de la musique, et il faut trouver un moyen de les amener dans votre cercle, afin de créer son propre univers sonore. Bien sûr, on a recours pour cela à une batterie de moyens techniques, mais au-delà de ces éléments rationnels, ce qui se passe reste finalement assez mystérieux. D'ailleurs, si on est trop conscient de ce qu'on fait, rien ne marche. Cette spontanéité doit toujours être là, surtout lors des concerts : il faut inspirer les musiciens pour qu'ils inspirent le public.

     
    La Ville morte de Korngold que vous dirigez actuellement à l'Opéra du Rhin n'est pas un opéra très joué. Était-ce votre premier contact avec cette oeuvre ?

    Je devais diriger cet opéra il y a une dizaine d'années à New York, mais, malheureusement, j'ai dû annuler. C'est une oeuvre magnifique qui pose néanmoins de sérieux problèmes de réalisation. Korngold était très jeune quand il a composé sa Ville morte et l'époque était aux grands orchestres. L'orchestration est splendide avec des effets incroyables, mais en même temps cette masse sonore considérable exige un travail très attentif : pour que les chanteurs puissent s'entendre, il faut s'attacher à respecter les indications et les nuances du texte.

     
    Le sujet de La ville morte n'est pas des plus gai. Pour vous, la musique reprend-elle à son compte la noirceur du roman de Rodenbach ?

    Korngold, avec son charme viennois, a un peu adouci le texte original. Sa musique montre plus le côté émotionnel et morbide des personnages que l'aspect terrible de l'oeuvre littéraire. Probablement, Schonberg ou Berg en auraient fait quelque chose de plus violent. Mais Korngold n'avait aucune sympathie pour la Deuxième Ecole de Vienne. Il vouait surtout une adoration particulière à Puccini qui, avec Strauss, l'a considérablement influencé. Il y a aussi du Mahler dans sa musique, une certaine brillance de l'orchestration qui rappelle le Petrouchka de Stravinski, parfois même Debussy. Mais tout en effectuant une synthèse de ces différents styles, il a su trouver un style totalement personnel.

     
    On connaît finalement assez mal Korngold, et surtout pour ses musiques de film comme celle de Robin des bois.

    À l'époque de La Ville morte, Korngold n'avait pas encore composé pour le cinéma. D'ailleurs, la grande musique symphonique de film n'existait pas encore. C'est plus tard, après son départ pour les États Unis, qu'il a travaillé pour les grands studios. Malheureusement, le public associe son nom à ses seules musiques de films. On a oublié qu'avant l'arrivée des nazis, il avait déjà fait une très grande carrière. Et quand il est retourné en Europe après la Deuxième Guerre mondiale, le public ne voulait plus entendre des oeuvres qui évoquaient une époque révolue. Il est mort très déçu. Il avait fait un infarctus et son médecin lui avait interdit les sucreries. Cependant, il raffolait du chocolat et il avait construit une armoire secrète où il cachait son trésor. Mais sa femme avait fini par découvrir sa cache, grâce au chien qui restait en arrêt devant le placard

     
    Quand vous avez pris les rennes de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, quels étaient vos objectifs ?

    Je voulais élargir le répertoire vers le XXe et donner à l'orchestre une certaine souplesse afin de pouvoir jouer la musique de plusieurs compositeurs en gardant leur style propre. Quand on aborde Janacek, j'essaye de retrouver le style intense et presque primitif de sa musique. Pour l'Ecole française, il s'agit d'avoir une sonorité transparente. Bref, je veux que l'orchestre n'ait pas un style qui s'impose aux oeuvres, mais une souplesse qui lui permette de s'adapter à elles. J'ai aussi favorisé les concerts de musique de chambre. Pour moi, c'est très important, surtout pour les cordes, qui sont obligées de travailler dans le sens de l'écoute et de la justesse.

     
    Le fait de diriger des opéras a-t-il changé votre perception de la musique symphonique ?

    Pour moi, aborder ces deux répertoires est essentiel. D'abord, le travail avec les chanteurs oblige à respirer et à trouver une certaine souplesse qui, plus tard, dans des concertos, permet de suivre "naturellement" les solistes. Dans ce sens, les opéras sont plus faciles à diriger que le répertoire symphonique. Même si la musique est peut-être la composante la plus importante, la mise en en scène, les costumes ou les décors sont là et donnent au spectacle une force particulière. Bien sûr, tenir le tout ensemble pose des problèmes particulièrement ardus. Mais il n'y a pas l'abstraction de la musique pure où le chef doit, en quelque sorte, créer les costumes, les mots et le texte.


    3 CD pour découvrir le travail du chef :

    -William Walton : concerto pour violon, London Philharmonic Orchestra, Lydia Mordkovitch (soliste), chez Chandos

    -Per Norgaard : Siddharta, Danish National Radio Choir, Danish National Radio Symphony, chez Marco Polo

    -Ruggiero Leoncavallo, la Bohème, Venice Teatro la Fenice Chorus, Venice Teatro la Fenice Orchestra, chez Nuova Era

    Lire également la critique du spectacle actuellement sur la scène du Châtelet.

     

    Le 18/04/2001
    Mathias HEIZMANN


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com