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ENTRETIENS 29 mars 2024

Gérard Lesne,
flamboyant séminariste

© Naïve

Sa voix pure, précise, suave et délicieusement ambiguë d'alto masculin a marqué durablement les amateurs de chant baroque. Alors que l'on parle beaucoup de ses expériences dans le domaines des musiques de variétés et techno, le fondateur du Seminario Musicale revient pour altamusica sur ce répertoire baroque qui l'a fait roi.
 

Le 03/05/2001
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Il n'est plus besoin de présenter votre carrière ni la diversité des répertoires que vous avez abordés. Où en êtes-vous avec la musique italienne ?

    Cela fait longtemps qu'on ne m'a pas demandé un programme Caldara ou Bononcini. Je chante principalement Haendel et des compositeurs plus faciles à vendre, ou alors des oeuvres à gros effectifs. Nous parvenons par exemple à organiser sans problème des concerts d'oratorios de Scarlatti si la troupe est étoffée. Nous avons comme projet le Martyr de Sainte Cécile d'Alessandro Scarlatti, qui demande quatre solistes. La musique plus intimiste est un peu en perte de vitesse.

     
    Et le répertoire anglais ?

    J'ai chanté Purcell, Blow, mais je pense surtout à Byrd, et à Dowland que je prépare maintenant. Je vais sans doute enregistrer de magnifiques songs avec le quatuor de violes d'Anne-Marie Lasla. C'est un répertoire un peu à part. Je ne sais pas si on peut parler d'école anglaise, mais cette musique me convient bien. Elle n'est pas si éloignée du plaint-chant, et j'aime beaucoup ces lignes épurées, on est tellement immergé dans les violes qu'on est un peu obligé de traiter la voix comme une viole.

     
    C'est seulement maintenant que vous abordez réellement Bach, si l'on excepte les enregistrements que vous avez effectués avec Philippe Herreweghe. Pourquoi seulement maintenant ?

    Il est vrai qu'avec le Seminario, nous avons surtout traité la musique italienne et la musique française. Pour Bach, j'avais besoin de mûrir mon interprétation. De plus, il n'est pas évident pour moi de trouver des oeuvres chez Bach qui conviennent exactement à ma tessiture : il y a chez lui des pages situées dans le grave qui me conviennent relativement bien, mais je me sens moins à l'aise dans des airs comme ceux de la Saint Matthieu où l'alto est toujours très haut perché. Je ne pensais pas forcément trouver suffisamment de matière pour un disque entièrement consacré à lui, et de fait, j'ai intégré des pages de la famille Bach.

    Et puis, j'avoue que j'étais aussi très occupé par les répertoires français et italien. Mon répertoire de prédilection reste toutefois la musique italienne du début du XVIIIe siècle, que j'ai déjà largement couvert. Il est alors vital pour moi de m'étendre vers d'autres répertoires, y compris en abordant des oeuvres aux effectifs plus vastes, incorporant d'autres solistes. C'est ce que nous avons fait dans notre disque des Histoires Sacrées de Charpentier, et que nous allons refaire probablement dans une oeuvre de Scarlatti dans un premier temps, puis d'autres compositeurs français.

     
    Quelle place donnez-vous à Charpentier dans le répertoire français ?

    C'est le compositeur qui convient le mieux à mon registre, peut-être du fait qu'il était haute-contre lui-même. J'ai découvert Charpentier à travers William Christie en 1985, et je ne l'ai pas quitté depuis maintenant seize ans. Et c'est à travers Charpentier que j'ai appris à chanter haute-contre. À l'époque, je chantais dans des tessitures relativement plus aiguës, en fait dans un registre d'alto pas encore vraiment défini. Quand j'ai dû chanter avec William Christie dans de vraies tessitures de haute-contre, il a fallu que je travaille vraiment ce registre intermédiaire précisément à travers Charpentier.

    En outre, c'est un compositeur vraiment génial. David et Jonathas avec les Arts Florissants était pour moi à la fois un défi quasi-impossible, j'ai appris beaucoup à ce moment-là car j'ai été vraiment porté à mes limites. C'est à ce moment que j'ai su que je ne pouvais pas aborder ce répertoire en grands effectifs : je ne me voyais chanter dans une tessiture medium et couvrir un orchestre ! Avec Il Seminario, j'aborde le même répertoire mais avec un effectif bien plus léger. S'il y a quelqu'un qui m'a réellement influencé dans ce choix d'effectif, c'est René Clémencic.

     
    D'autres compositeurs français ?

    J'ai un projet autour de l'air de cour, en tout petit effectif, avec simplement un théorbe. Je prendrais différents auteurs : Lambert bien sûr, mais pas seulement. On peut imaginer un chanteur ne faisant que de l'air de cour, tant le domaine est vaste, mais il aurait du mal à ne vivre que de cela ! La façon d'aborder les doubles, en particulier, c'est-à-dire les airs ornés par le compositeur lui-même : il reste encore des énigmes à percer.

    Si l'on fait un air dans sa version simplifiée, je dirais la version d'exposition, on a un certain tempo en fonction du texte, un tempo induit par le texte. Logiquement, on doit garder le même tempo dans le double et faire passer toutes ces petites notes avec le plus de virtuosité et le plus de légèreté possible, mais concrètement, cela devient rapidement impossible ! Cela va trop vite ! Il y a réellement une démarche à découvrir. C'est très différent du da capo à l'italienne, très rarement écrit par les compositeurs. Dans les airs de cour, c'est très codifié : les airs sont écrits, les doubles sont également écrits. En musique française, il n'y avait pas de diktat des chanteurs, la France a toujours su à travers la notion du bon goût les rapports de force entre chanteurs et compositeurs, qui occupaient la première place.

     
    On assiste actuellement à une dramatisation toujours plus grande dans l'interprétation de la musique italienne du XVIIIe siècle, avec l'utilisation de voix très opératiques, peut-être en perdant de vue les raffinements de cette époque. Qu'en pensez-vous ?

    Je ne sais pas si c'est lié au fait que les Italiens commencent à véritablement investir leur répertoire. Ils vont tout naturellement vers une veine plus théâtrale : je n'ai pas d'objection à cela. Pourquoi ne pas tirer en effet ce répertoire vers un bel canto plus marqué ? J'adore les belles voix ! J'ai par exemple beaucoup de respect pour René Jacobs qui aime beaucoup travailler avec des " grandes " voix. Mais il les fait travailler, et obtient d'elles ce qu'il veut : le résultat est magnifique. Et quand on veut des solistes de très haut niveau, on tombe naturellement sur des chanteurs qui ne font pas que du baroque.

    Évidemment, cette méthode a des limites. Des voix relativement larges conviennent à un répertoire relativement standard, cela peut marcher pour l'opéra ou l'oratorio éventuellement, qui demande souvent des grands effectifs, mais dans des oeuvres plus raffinées et plus pointues, comme les Offices des Ténèbres, on ne peut pas faire de même : il faut une réflexion très personnelle sur la ligne de chant, qu'il est impossible d'obtenir avec seulement quelques jours de répétition. De toute façon, il n'y a qu'une méthode de travail possible : partir du texte. Il y a une certaine vérité qui s'en dégage, je ne sais pas si c'est la vérité, c'est en tout cas ma vérité. Je ne sais pas ce qu'être dramatique veut vraiment dire, j'utilise bien sûr le mot quelquefois pendant mes cours par exemple : je dis à mes élèves : " Sois plus théâtral, sois plus dramatique ", mais il suffit en général de s'imprégner du texte que l'on porte. Et même l'art du chant de l'époque n'y aide pas vraiment.

     
    Avec quand même la nécessité de connaître les techniques de chant de l'époque, n'est-ce pas ?


    Oui, bien sûr. Mais quand on lit les traités de chant de l'époque, à part des éléments très pointus qu'il faut connaître, comme l'ornementation, on a l'impression de lire des évidences. J'ai lu ces traités bien après le début de ma carrière, et cela n'a fait que me conforter dans les choix intuitifs que j'avais déjà dû faire. D'ailleurs, très souvent, ces traités nous dépassent un peu. Ils définissent par exemple le récitatif d'église différemment du récitatif d'opéra. On a perdu ces pratiques, évolution tout à fait normale : les gens vivaient différemment à l'époque, on ne peut retrouver exactement ce qui nourrissait la voix. On doit donc la nourrir avec notre vécu qui est différent.

     
    C'est précisément cette réflexion que vous menez à la Fondation Royaumont.

    Pour toutes les sessions de travail que je dirige à Royaumont, j'ai maintenant une idée très claire de ce que je demande aux participants. Dans l'idéal, il n'y a pas incompatibilité entre l'opéra et des musiques plus secrètes, on devrait tout chanter de la même manière, sans que cela soit au détriment de la puissance de la voix, mais il se trouve qu'il y a plusieurs écoles de chant. Pour ma part, je pense qu'il n'y a qu'une manière de traiter la ligne de chant. Quand j'écoute par exemple Natalie Dessay, je sens qu'elle peut tout faire, y compris les Leçons de Ténèbres de Charpentier, parce qu'elle a la technique juste. Quand on a la technique juste, on peut tout faire.

    Quelques disques pour découvrir le travail de l'artiste :

    Marc Antoine Charpentier :
    Leçons de Ténèbres du Mercredi Saint, 1 CD Virgin 5451072
    Leçons de Ténèbres du Jeudi Saint, 1 CD Virgin 5450752
    Leçons de Ténèbres du Vendredi Saint, 1 CD Virgin 7592952

    William Byrd :
    With lilies white (consort songs), 1 CD Virgin 45264

    Antonio Vivaldi :
    Stabat mater , Nisi Dominus, Harmonic Records 8720

     

    Le 03/05/2001
    Yutha TEP


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