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ENTRETIENS 24 avril 2024

Mireille Delunsch
chante ici et maintenant

© D.R.

Mireille Delusch

Aux côtés de Marc Minkowski, on avait remarqué son tempérament aussi doué pour le drame que pour le comique. On sait depuis que Mireille Delunsch peut briller avec la même intelligence dans Verdi, Strauss, Wagner ou la Mélodie française. Rencontre avec une artiste qui a trouvé sa voix créative.
 

Le 04/05/2001
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • Sur scène, on a parfois l'impression que certain chanteurs s'économisent, gèrent leur carrière et leur capital vocal. Pas vous. Est-ce seulement une impression ?

    Effectivement, je n'ai jamais pensé en terme de carrière et comme je suis venue au chant tout à fait par hasard, je chante toujours comme si c'était la dernière fois. De par le lieu et les gens, chaque concert est un moment unique et éphémère. Je pense toujours au public qui n'est jamais venu, à l'impression qu'il va en garder, mais aussi à l'impression que je vais moi-même en conserver. Pour le récital d'aujourd'hui, il y avait des enfants, si je l'avais su à l'avance, j'aurai sans doute orienté mon récital autrement.

    Le contact avec le public m'influence beaucoup. En récital, je cherche toujours les regards, ce qui est beaucoup plus difficile à l'opéra. Mais quand on peut le regarder, on sent facilement ce à quoi le public est sensible, et ce n'est pas pareil de chanter Shéhérazade à Paris ou au Turkménistan comme je l'ai fait récemment. Le public russe est par exemple sensible au style, un autre le sera à la compréhension du texte, etc. En fait, je ne calcule rien; si je dois arrêter le chant, je ferais autre chose.

     
    On vous avait encore peu entendu chanter des mélodies françaises. Comment concevez-vous ce répertoire ?

    L'été dernier, j'ai justement donné des " Master-Class " de mélodie française: j'ai été très frappée par l'incapacité des élèves à exprimer une impression, un ressenti personnel sur les poèmes. Il s'agissait juste de chanter " joliment ". Or, ce genre souffre particulièrement de cette espèce de préciosité que l'on croit obligatoire, alors qu'il faut juste la dire et l'endosser comme on conte un poème.

    J'ai entendu Jack Lang réclamer le retour des récitations et des poèmes énoncés à haute voix à l'école. Je suis persuadée qu'il a raison. D'ailleurs, il y a de plus en plus de lieux comme les cafés littéraires, où des gens se rassemblent pour entendre et dire des poèmes. Dans ce contexte, nous chanteurs avons un rôle à jouer pour faire revivre les textes et la poésie.

     
    Qui dit texte dit compréhension du texte, or celle-ci constitue un défi particulièrement aigu pour une voix de soprano. Comment faites-vous pour y parvenir ?

    La réponse est très technique. J'ai essayé beaucoup de choses et je me suis rendu compte que la meilleure solution est d'espacer le plus possible les voyelles et les consonnes. Le son reste construit sur la voyelle, mais selon qu'elle est percussive ou sonore, la consonne doit être éloignée le plus possible de la voyelle pour que le registre de tête de la voix de soprano n'interfère pas sur les fréquences nécessaires pour faire vibrer un " s " ou un " z ". Évidemment, le résultat est variable en fonction des styles et des musiques.

     
    Pour rester dans la technique vocale, vous venez d'évoquer l'utilisation du registre de tête, or vous faites partie des très rares sopranos qui n'ont pas peur d'aller chercher des notes très graves dans leurs voix de poitrine


    Ma voix possède effectivement beaucoup de graves et j'avais envie de l'utiliser, tout simplement. J'aime beaucoup les effets de rupture de registre et m'en servir à des fins dramatiques, comme le faisait Callas. Marc Minkowski m'a d'ailleurs beaucoup encouragé dans ce sens pour le rôle de la Folie de Platée ; et il savait que j'étais assez folle pour le faire !

    Dans la mélodie française aussi, cela me semble aussi indispensable car l'on doit partir du naturel de la voix parlée. Or c'est difficile de descendre dans le grave en diminuant la voix ou en la flûtant complètement.

    Mais tout en utilisant le registre grave, j'ai besoin aussi d'aller dans l'aigu pour trouver un équilibre car je dispose d'une tessiture très étendue. J'ai des graves de ténor (jusqu'au si bémol de la clé de fa) et j'atteins les contre-mi et contre-fa parfois dans l'aigu. Comme j'aime toute sorte de musique, cette voix large est une chance mais je dois aussi y faire attention.

     
    On a parfois l'impression que votre tempérament est un peu à l'étroit dans le monde du classique, est-ce seulement une impression ?

    (Rires) Il y a de ça
    Y compris en récital, j'ai souvent le sentiment que le public a envie d'autre chose, même en classique. Cela fait très longtemps que j'ai envie de faire un spectacle un peu " one woman show ", un peu ironique sur la musique, mais sans forcément tout démolir. Je cherche en ce sens mais je n'ai pas encore trouvé de concrétisation satisfaisante.

     
    Êtes-vous tentée par d'autres genres musicaux ? Je crois savoir que vous avez chanté du Jazz. Aimeriez-vous faire des expériences de " cross-over " comme votre collègue Anne Sofie von Otter avec le rocker Elvis Costello ?

    J'ai vaguement abordé le jazz à mes débuts, surtout pour me décomplexer parce je ne me voyais pas chanteuse de récital ou d'opéra. Je n'ai d'ailleurs pu chanter tout court que lorsque je suis entré en résonance avec un personnage à faire vivre

    Pour ce qui est du " cross-over ", franchement non. J'ai au contraire très envie d'insister sur le fait que dans le classique, nous sommes hors de la manipulation des sons par l'électronique. On ne dit pas assez que la musique classique se fait toujours en direct et " unplugged ".

    Même le disque classique fausse et abîme la perception de la musique faite en direct. Pour moi, une guitare dans le métro a plus de valeur que n'importe quel disque bidouillé, monté. Je trouve finalement qu'on est saturé et agressé par la musique enregistrée sous toutes ses formes et qu'il faut revenir autant que possible à la musique " in vivo ".

     
    Vous avez déclaré être très tentée par le cinéma ? De quelle manière ?

    C'est d'abord la comédie en soi qui m'attire, avec ou sans chant. J'ai travaillé avec beaucoup de metteurs en scène, j'ai également beaucoup pratiqué la danse, je sais que même de loin, le mouvement d'un regard, une posture du corps sont perçus et peuvent signifier. Mais le cinéma apporte une dimension nouvelle que j'aimerai beaucoup expérimenter, celle du détail, du gros plan, de l'infinitésimal. Quand je faisais de la danse, j'avais l'idée de faire uniquement des chorégraphies de mains. Comme vous le voyez, j'ai toujours eu des envies folles de création. C'est sans doute très prétentieux mais je ne le fais pas exprès ! J'essaie seulement d'avoir un regard réflexif et dédoublé sur mon travail.

     
    Quelles ont été vos expériences scéniques les plus marquantes ?

    Celles que j'ai accomplies sous la direction de Klaus Michael Grüber. J'ai eu l'impression d'être une autre personne après l'avoir rencontré et en même temps, il m'a confortée dans certaines idées. Par exemple, rien ne m'horripile plus qu'un chanteur semblant crédible dans son rôle qui jette soudain un regard au chef d'orchestre : toute la magie s'effondre, on ne peut plus y croire. Grüber insiste beaucoup en ce sens : " je ne veux pas savoir que tu as appris ton texte par coeur, je veux que tu le dises comme si c'était la première fois " dit-il souvent. Malgré la convention de l'opéra, il faut être sincère et crédible.

     
    Qu'attendez-vous d'un metteur en scène ?

    Rien en particulier, sinon une rencontre. Avant d'arriver aux répétitions, j'essaie toujours d'avoir suffisamment étudié mon personnage pour avoir une idée cohérente de sa psychologie. À partir de là, il m'a toujours été facile de l'adapter aux projets des différents metteurs en scène. Certains ont sûrement plus de génie que d'autres, mais mon travail se limite au personnage que j'incarne. Quand on est immergé dans une production et appliqué à chanter et jouer le mieux possible, il est de toute façon difficile d'avoir suffisamment de recul sur l'ensemble du projet pour le juger. En revanche, pour le futur, la mise en scène me tente beaucoup.

     
    Parmi vos talents multiples, vous êtes aussi pianiste, quelle est l'oeuvre pianistique la plus vocale que vous ayez jouée ? Et l'inverse ?

    Probablement les Romances sans paroles de Mendelssohn. Un de mes rêves est d'ailleurs de faire un récital en m'accompagnant moi-même
    Mais j'ai encore beaucoup le trac au piano. Pour répondre à la deuxième partie de la question, l'inverse, c'est Bach bien sûr. Mais je ne suis pas très à l'aise avec sa musique, car j'ai souvent l'impression que le texte n'est qu'un prétexte chez lui.

     
    Quelles sont affinités et vos prédilections en terme de répertoire ?

    Pour mes prédilections, c'est simple, j'aime tout ! Pour mes affinités, étant Alsacienne, j'ai naturellement plus de facilité avec Strauss qu'avec Verdi. Mais quand je me suis décidée à chanter, je visais comme tout le monde Wagner, Verdi, Puccini et Strauss, tout en pensant ne jamais y arriver. Après j'ai découvert la musique baroque, le génie incroyable de Rameau et Monteverdi qui, en terme de force expressive, est le concentré de tout ce que l'on a entendu après lui !

    Pardon d'ailleurs pour cette conception anachronique, mais elle explique aussi pourquoi je m'entends si bien avec Marc Minkowski. Quand il ouvre une partition, il ne se pose la question de savoir si c'est, d'abord une étape dans sa carrière, ensuite si c'est une oeuvre obligée dans l'histoire de la musique. Quand il lit une page de Gluck, il ne se demande pas si c'est du " sous-Rameau ". Il ne s'occupe pas de savoir quelle est sa valeur dans la musique savante occidentale, et c'est pour cela qu'il a toujours un regard neuf. Je pense partager avec lui ce genre de naïveté.

     
    Vous êtes venue au chant par hasard, disiez-vous tout à l'heure, quelle est aujourd'hui votre raison de chanter ?

    L'illusion grisante de créer quelque chose. De faire du neuf avec du vieux.




    Quatre disques pour découvrir le travail de l'artiste (1) :
    -Iphigénie en Tauride de Gluck avec les musiciens du Louvre dirigé par Marc Minkowski- Archiv
    -Dardanus de Rameau avec les musiciens du Louvre dirigé par Marc Minkowski- Archiv
    -Mélodies d'Henri Duparc, avec François Kerdoncuff (piano) et Vincent Le Texier (baryton) - Timpani

    (1) si on ne peut vraiment pas aller l'entendre en concert, conformément à ses vœux.

     

    Le 04/05/2001
    Eric SEBBAG


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