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ENTRETIENS 18 avril 2024

Piotr Anderszewski conjugue son piano au singulier
© Emi Classics

La trentaine à peine franchie, le pianiste Piotr Anderszewski a une personnalité déjà si affirmée, que Bruno Monsaingeon – le biographe cathodique de Glenn Gould - lui a déjà consacré un film diffusé sur Arte le 6 juin. Dans le même temps paraît chez EMI un enregistrement des Variations Diabelli de Beethoven, le sujet même du film. Rencontre.
 

Le 07/06/2001
Propos recueillis par Pauline GARAUDE
 



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  • Êtes-vous issu d'un milieu qui vous prédestinait à devenir pianiste ?

    Hormis mon arrière-grand-père, qui était chanteur, personne dans la famille n'était musicien. Mais très jeune, j'écoutais beaucoup de musique. Beethoven et Mozart avait le don de me calmer. Mes parents ont remarqué mes prédispositions. A 6 ans, ils m'ont fait débuter le piano. Mais ce n'est pas le piano en tant qu'instrument qui m'attirait, je voulais avant tout jouer, et l'immense répertoire du piano a finalement plaidé en sa faveur.

     
    Avez-vous joué sur d'autres claviers tels le clavecin ou le pianoforte ?

    Oui, le clavecin lorsque j'étais à Los Angeles. J'avais à peu près 20 ans et c'est par Bach que je suis allé vers cet instrument que j'ai adoré au point d'avoir songé arrêter le piano. J'aimais par-dessus tout cette sensation de la corde pincée et ce timbre si spécifique. Mais si je n'ai pas succombé, c'est parce que je n'y trouvais finalement pas la même richesse polyphonique et de coloris que dans le piano.

     
    Que retenez-vous de l'enseignement de vos différents professeurs ?

    Que le plus important est d'apprendre à travailler seul ! Chaque professeur avait sa particularité, mais j'ai voulu d'emblée forger ma voie par rapport à eux. Mes rapports étaient souvent conflictuels car je suis très têtu. Je faisais ce que jugeai bon de faire sur l'interprétation d'une oeuvre, quitte à faire des erreurs que je reconnaissais après coup

     
    Avez-vous eu à passer par les Concours, considérés comme le " passage obligé "pour lancer une carrière ?

    J'ai passé un seul concours en Angleterre, surtout pour m'inciter à travailler davantage car j'ai toujours détesté le travail
    Je pense que les concours se sont beaucoup dévalués et en gagner un aujourd'hui n'a plus véritablement de sens. Ce n'est plus la condition sine qua non pour lancer une carrière.

     
    Ce concours a pourtant lancé la vôtre


    Oui, il m'a ouvert les portes. J'ai eu un agent et on m'a proposé de jouer en récital au Wigmore Hall à Londres, en 1991. J'ai interprété les Variations Diabelli et ce fut une expérience intense dont je garde un excellent souvenir.

     
    Préférez-vous jouer en soliste ou avec orchestre ?

    Je préfère, de loin, jouer en récital car j'aime être maître de ce que je fais et en avoir l'entière responsabilité artistique. Avec un orchestre, il y a toujours un compromis. Il faut se battre pour être entendu et souvent, l'on se concentre davantage sur le fait d'être entendu que sur la musique. C'est un peu triste. Mais c'est très stimulant, surtout quand il y a une réelle symbiose. Prochainement, je vais jouer un Concerto de Mozart, mais le cas est un peu particulier car je dirigerai moi-même de mon piano un orchestre de chambre.

     
    En privilégiant le répertoire pour piano seul, n'allez-vous pas bannir tout un pan du répertoire ?

    Non, car le répertoire est vraiment immense. Bach peut déjà prendre à lui seul toute une vie. Je n'ai aucun souci, même s'il est vrai que jouer avec orchestre donne accès aux meilleures salles, à une meilleure audience. J'en reconnais l'importance pour une carrière, mais ce n'est pas ce qui m'attire en ce moment. Sans doute m'y consacrerais-je davantage dans le futur.

     
    Si l'on vous demandait néanmoins le chef de votre choix : qui serait-il ?

    Carlos Kleiber. Car il est pour moi le plus grand chef du moment.

     
    Comment définiriez-vous votre répertoire ?

    Il change beaucoup. Il y a 2 ans, je ne jouais pas de Szymanovsky, alors que c'est aujourd'hui un compositeur dont j'envisage de graver les oeuvres. Pour choisir mon répertoire, il faut avant que la musique me parle et que j'ai quelque chose de personnel à transmettre. Il existe déjà tant d'excellents pianistes et enregistrements
    Alors, quand je sens que je peux introduire une dimension personnelle et qui n'a pas encore été abordée, je me décide à jouer. En ce moment, je peux dire que j'ai un faible pour Bach, Beethoven, les concertos de Mozart et Szymanovsky.

     
    Votre répertoire a été beaucoup joué : votre volonté d'y apporter une vision neuve et personnelle n'est-elle pas un grand défi ?

    Etre simplement pianiste aujourd'hui est un défi. Avec Szymanovsky, je ne me heurte pas trop à ce problème. Bach, peu de pianistes s'y sont vraiment plongés, comparé à Chopin ou Schumann qui sont largement plus joués. Quant aux Variations Diabelli que j'ai choisies d'enregistrer, ce n'est pas la partition de Beethoven la plus gravée dans l'histoire du disque.

     
    Comment appréhendez-vous l'oeuvre de Bach ?

    La musique de Bach a une forme ouverte où toutes les possibilités sont là. Je n'ai jamais connu une interprétation qui puisse déformer l'essence de son oeuvre. L'important est de trouver une lecture convaincante, ce qui est loin d'être simple. À l'inverse, Beethoven a une forme serrée et fermée où il suffit de bien lire la partition pour en comprendre le phrasé.

     
    Vous qui êtes d'origine hongroise et polonaise, pensez-vous avoir la fibre pour jouer ce répertoire ?

    Je pense tout d'abord que la bonne musique va au-delà des racines. Si une musique ne peut être ressentie que par un certain peuple, est-elle une bonne musique ? À mes yeux, la notion de fibre n'a pas vraiment de sens : il suffit d'écouter Martha Argerich dans Rachmaninov ou dans Chopin pour s'en persuader. Si seul un allemand pouvait bien jouer Brahms, un polonais Chopin et un français Debussy, ce serait navrant !

     
    Vous semblez davantage porté vers Szymanovsky que vers Chopin : est-ce exact ?

    Dernièrement, je joue beaucoup plus Szymanovsky dont je me sens extrêmement proche. Son écriture presque anti-pianistique m'intrigue plus que Chopin. Peut-être ai-je aussi été trop influencé par Chopin que j'ai énormément joué plus jeune. Sans doute, ai-je besoin de recul avant d'y revenir

     
    Y a-t-il des oeuvres pour piano que vous préférez écouter plutôt que jouer ?

    C'est précisément le cas, en ce moment, avec Chopin. Mais je dirais plus avec Schumann que j'adore. Il est l'un de mes compositeurs préférés et j'ai pour lui un amour inexplicable. Mais je ne m'imagine pas jouer sa musique que je trouve un peu trop, disons " exhibitionniste " ! (rires
    ). Dès que je la lis, j'y trouve plein de défauts. Travailler Schumann m'agace alors qu'en l'écoutant, je jubile.

     
    Que pensez-vous de la musique écrite aujourd'hui pour le piano ?

    Il y a un peu de tout, le meilleur comme le pire. Je connais certains compositeurs polonais qui écrivent de très belles choses, mais malheureusement injouables. Je devrais jouer plus de musique contemporaine. Sans dire qu'un interprète se doit de jouer la musique de son temps, me concernant, j'estime important d'être en contact avec ce qui se fait.

     
    Quand vous enregistrez, recherchez-vous la perfection ou gardez-vous une certaine part de spontanéité ?

    Je suis un perfectionniste et souhaite atteindre le meilleur de moi-même. De toute évidence, la quête de la perfection est inhérente au travail d'enregistrement et va totalement à l'encontre de la spontanéité. Il serait absurde d'essayer de graver quoi que ce soit en étant naturel. Ou alors on ne la fait pas, ou alors on accepte de jouer en sachant qu'il n'y a pas ce naturel qui reste l'apanage du concert.

    Cependant, le concert est imprévisible et plusieurs fois il m'est arrivé de ne pas être satisfait de ce que j'avais fait alors que le public réagissait très bien. En studio, il faut être plus concret, plus précis et savoir ce que l'on attend de chaque note. Tout ce que l'on transmet ne passe que par le son et par rien d'autre.

     
    Sur scène, avez-vous le trac ?

    Bien sûr. Le trac peut être très négatif mais il y a toujours quelque chose de positif car on joue souvent mieux avec en public que chez soi. On ne peut ni le gérer, ni l'empêcher. M'installer au piano ne me libère pas du trac. J'ai essayé de le comprendre et de le prévoir, mais en vain. Cela vient malgré soi et c'est aussi ce qui fait que ce métier est si passionnant. J'essaie donc de ne plus prévoir et cela m'aide à mieux m'adapter sur le moment au lieu, à l'acoustique, au public

     
    Vous venez de tourner un film avec Bruno Monsaingeon autour des Variations Diabelli : comment s'est déroulé le tournage ?

    C'est fascinant de travailler avec Bruno. Il me filmait dans les Variations Diabelli que j'étais en train d'enregistrer et c'était un immense plaisir tant il respecte la musique et les artistes. Il est musicien et moi, qui ai un peu d'expérience dans ce domaine, je peux vous dire que c'est autre chose que de travailler avec de simples producteurs.

     
    Quels sont vos projets discographiques et scéniques ?

    Alors que les Variations Diabelli viennent de sortir en mai, je pars en Suisse enregistrer trois partitas de Bach et un concerto de Mozart. J'envisage également de graver certaines oeuvres de Szymanovsky. Côté concerts, je vais prochainement jouer avec l'orchestre de Birmingham. Puis j'irai en Irlande, aux États-Unis, avant une grande tournée en Australie.

     
    En tant que musicien, quel est votre rêve le plus cher ?

    Mon grand rêve serait de diriger la Missa Solemnis de Beethoven. Elle est à l'origine de mon intérêt pour les Variations Diabelli qui sont contemporaines. La Missa est une oeuvre que j'adore par-dessus tout et j'ai déjà une idée de la manière dont j'aimerais l'interpréter.

     

    Le 07/06/2001
    Pauline GARAUDE


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