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ENTRETIENS 25 avril 2024

Sergei Larin,
le ténor qui tombe à pic

© Opéra de Paris

Après La Dame de pique et Don Carlos à l'Opéra-Bastille, le Russe Sergei Larin revient en France, dans le cadre du festival " Éclats de voix ", à Auch, en Gascogne, le 12 juin. On le retrouvera également cet été en Don Carlos aux Chorégies d'Orange. Rencontre avec un ténor qui a les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.
 

Le 11/06/2001
Propos recueillis par Michel PAROUTY
 



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  • Comment se fait-il que vous parliez un si bon Français ?

    J'ai étudié le français à l'Université, entre 1973 et 1978. J'étais attiré par les langues étrangères, et dans mon enfance, je rêvais de Paris, mais c'était un rêve secret. La société russe de l'époque offrait peu d'occasions de voyager, et la carrière diplomatique n'était la plupart du temps ouverte qu'aux enfants de diplomates. Alors je suis entré à l'Institut des langues étrangères pour devenir interprète. J'avais dix-sept ans.

     
    Et le chant ?

    J'étais émerveillé par l'opéra, depuis longtemps, mais j'étais encore jeune. Je n'ai découvert ma voix qu'à dix-huit ans ; je n'avais pratiqué aucun instrument, j'habitais Nijni-Novgorod, qui s'appelait alors Gorki, et j'étais loin de tout cela, je ne pensais qu'à mes études de Français.

     
    Mais comment aviez-vous découvert l'opéra ?

    Par hasard, à douze ans. Un jour, je suis allé au cinéma avec l'un de mes camarades, et nous avons vu un film (For the first time) dont la vedette était Mario Lanza ; il y chantait, entre autres, un extrait de Paillasse et j'ai éprouvé un tel choc émotionnel en entendant son Ridi, pagliaccio que j'en ai pleuré. Il y avait aussi une scène de l'Otello de Verdi. La beauté de la voix, la puissance de la musique, l'émotion, pour quelque qu'un comme moi, habitant la banlieue d'une grande ville industrielle et qui n'écoutait pas de musique classique, de découvrir un tel univers dans le noir d'une salle de cinéma c'était une expérience insensée. À partir de ce moment, j'ai tenté de me procurer tous les disques de Lanza, des photos, des magazines, j'ai fait agrandir un portrait que j'avais trouvé dans un journal par le photographe de l'école !

     
    Quand avez-vous pris la décision de vous consacrer au chant ?

    J'ai commencé mes études vocales tard, à vingt-deux ans, et je les ai poursuivies six ans. Pour cela, je suis allé à Vilnius, en Lituanie- c'était une république, au sens soviétique du terme, possédant sa propre langue, que j'ai dû apprendre, mais c'est une langue très chantante. J'étais timide, et je pensais que je n'avais pas suffisamment de talent pour tenter les examens des conservatoires de Moscou ou de Leningrad. Et puis je savais qu'à Vilnius enseignait le ténor Virgilius Norika, qui faisait partie de ces privilégiés qui avaient eu la chance de suivre des stages à l'École de La Scala de Milan.

     
    Comment se sont déroulées vos études ?

    Cela n'était pas facile ! Mais je suis persuadé que les événements de ma vie ont tous obéi à une logique. Ai-je eu raison d'aller à Vilnius ? Oui. Même si je me sentais loin de son enseignement techniquement parlant, mon maître se montrait toujours d'une extrême musicalité, il avait du charme jusque dans ses défauts. La plupart des grands chanteurs soviétiques de cette époque avaient tous étudié à La Scala, avec Gennaro Bara. Mais l'école de chant classique russe, auparavant, était née au sein de l'école italienne. Après 1917, tout a changé quand un rideau de plomb s'est abattu sur nous.

     
    Quand avez-vous débuté ?

    Très vite. Je m'étais donné trois ans, pour savoir si je devais persister dans la voie que j'avais choisie ou non. Je me demandais si j'étais suffisamment doué, et il était hors de question de faire une carrière médiocre. L'art, pour moi, n'était pas une question de talent, mais une question de vie ou de mort. J'ai donc débuté en 1981, à Vilnius, pendant ma dernière année d'études, dans Alfredo de Traviata que j'ai chanté, bien sûr, en Lituanien, et là, j'ai appris le répertoire. Je suis resté dix ans à l'Opéra de Vilnius. En 1989, j'ai signé un contrat de trois ans avec l'Opéra national de Slovaquie, à Bratislava, où j'ai abordé de nouveaux rôles, Maurizio dans Adrienne Lecouvreur, Vladimir dans Le Prince Igor, Gabriele Adorno dans Simon Boccanegra. À la même époque, j'ai débuté à Budapest dans La Force du Destin.

     
    Et la carrière internationale ?

    Les portes se sont ouvertes lorsque j'ai remplacé Peter Dvorsky, à Vienne, dans Lensky d'Eugène Onéguine, en 1990. La machine s'est mise en route et n'a plus cessé de tourner.

     
    Vous n'avez jamais eu peur d'être cantonné dans le répertoire russe ?

    En fait, c'est un répertoire que j'ai très peu chanté ; mes principaux rôles sont essentiellement italiens, et français. Comme personnages russes, je n'ai incarné à la scène que Dimitri dans Boris Godounov, Lenski, Hermann dans la Dame de pique. Je suis pourtant très romantique, le monde musical de Tchaïkovski est vraiment le mien, y compris dans les mélodies, que je donne souvent en récital, celui de Dvorak aussi, et je suis très heureux de revenir à l'Opéra Bastille, la saison prochaine, pour Rusalka.

     
    Qu'avez-vous pensé de votre expérience récente à Bastille dans La Dame de pique mise en scène par Lev Dodin ?

    J'avais entendu beaucoup de mal de cette production, et je suis arrivé avec certaines idées. J'ai rencontré Dodin, nous avons parlé pendant trois heures et tout ce que je savais de cet opéra, je l'ai oublié. Ce qui n'a énormément aidé, c'est de penser à la mise en scène vraiment révolutionnaire qu'avait faite Meyerhold en 1937 ; en fait, Meyerhold m'a permis d'accepter le point de départ de Dodin, fidèle à Pouchkine plus qu'à Tchaïkovski puisque Hermann ne meurt pas mais devient fou, comme dans la nouvelle. C'est une expérience qui a marqué ma vie. J'étais sur scène toute la soirée, il me fallait rester dans mon personnage à chaque seconde. Je n'avais jamais vécu quelque chose d'aussi violent.

     
    Comment avez-vous évolué vocalement ?

    Je ne suis jamais satisfait de ce que je fais mais je suis conscient de chaque note que je produis. Si un soir je chante mal, je sais pourquoi. Le contrôle vocal ne doit pas cesser, même un millième de seconde. Nous ne sommes que des instruments qui font de la musique. Quand j'entends des chanteurs dire qu'ils ne font pas de vocalises avant un spectacle, je suis horrifié ! Le chant est avant tout une discipline.

     
    Quelles seront vos prochaines prises de rôle ?

    J'essaie toujours d'élargir mon répertoire. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'aborder Lohengrin, mais on m'a proposé Rienzi. Ca m'intéresse, comme le Florestan du Fidelio de Beethoven, mais à dose homéopathique. J'aimerais continuer à explorer le répertoire français, je ferai Samson à San Francisco avec Olga Borodina en Dalila, et j'ai toujours dans la tête l'idée de chanter Rodrigue dans Le Cid. Je vais aussi me mesurer à l'Otello de Verdi, avec mes propres moyens et sans compromission avec ma nature vocale ; je suis et resterai un ténor lirico-spinto et je dois toujours rester attentif aux deux composantes de ce mot. C'est un projet qu'a monté pour moi l'Opéra de San Diego et je me suis dit : " Pourquoi pas ? " Ce sera en 2003, j'aurai quarante-cinq ans, plus de vingt ans de carrière et rien à perdre. J'aime rester lucide, avoir les pieds bien sûr terre et la tête dans les étoiles.

     
    Lorsque vous écoutez aujourd'hui Mario Lanza, quel est votre sentiment ?

    J'avais enregistré la bande de son film à la télévision et j'ai toujours la cassette. Mais sincèrement, aujourd'hui, je n'ai pas d'idole, j'ai une espèce de modèle idéal virtuel que j'ai élaboré moi-même. Plus le temps passe, et plus j'écoute les enregistrements du début du siècle pour me nourrir, trouver des idées nouvelles, Fernando de Lucia, Dimitri Smirnov, Caruso, le plus moderne, Miguel Fleta, Hipolito Lazaro.

     
    Quelle est, de nos jours, la principale difficulté pour mener une carrière ?

    Durer ! Les chanteurs du passé mettaient des années pour se faire connaître. Aujourd'hui, les carrières sont lancées de manière très artificielle, et prématurément. Les jeunes veulent tout de suite La Scala de Milan, alors que psychologiquement ils sont fragiles et n'ont aucune connaissance des règles de la vie. Les louanges et le succès, c'est bien. Mais nous devons avant tout servir la musique.



    2 disques pour découvrir la voix de l'artiste
    - Sergei Rachmaninov, Mélodies, avec Eleonora Bekova, Éditeur : Chandos
    - Alexander Glazounov, Mélodies avec Eleonora Bekova,Éditeur : Chandos

     

    Le 11/06/2001
    Michel PAROUTY


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