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ENTRETIENS 24 avril 2024

José Van Dam ou le chant des profondeurs

Le baryton belge ne se lasse pas de son métier, même si l'artifice et la lourdeur de l'opéra commencent à lui peser. L'approfondissement, toujours, et le rafraîchissement au contact de jeunes musiciens le stimulent toujours. L'anti-star revient chanter Golaud à Genève. Rencontre avec un véritable artisan de la voix.
 

Le 20/02/2000
Propos recueillis par Sylvie BONIER
 



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  • JosĂ© Van Dam entretient avec Genève, oĂą il vient chanter dans PellĂ©as et MĂ©lisande de Debussy, des rapports privilĂ©giĂ©s. Son Prix au Concours International d'ExĂ©cution Musicale en 60 et ses deux annĂ©es de " troupe " au Grand Théâtre l'ont dĂ©finitivement attachĂ© Ă  la citĂ© de Calvin. Qui le lui rend bien, puisque le baryton s'y produit rĂ©gulièrement. Il y revient d'ailleurs toujours avec le mĂŞme plaisir, particulièrement cette fois-ci puisque c'est dans l'un des rĂ´les qu'il aura le plus frĂ©quentĂ© lors de sa longue carrière qu'on le retrouve tout au long de ce mois de fĂ©vrier.

     
    Combien de fois, au juste, vous êtes-vous frotté à Golaud ?

    Je ne sais pas vraiment. J'ai appris, par quelqu'un qui avait fait le calcul par curiosité, que j'avais chanté 400 fois Figaro, des Noces. Si je compare, Golaud doit bien représenter la moitié environ.

     
    Parmi les très nombreux personnages que vous avez incarnés, Golaud représente-t-il un cas particulier pour vous ?

    Certainement. C'est l'un des rôles qui me tient le plus à coeur. L'opéra de Debussy est en lui-même extraordinaire parce qu'il est totalement à part du répertoire traditionnel et qu'il ne ressemble à aucun autre. Disons que ce serait l'opéra de mon île déserte. Personnellement, je trouve que le caractère qui se rapproche le plus de Golaud, c'est Wozzeck. Par sa force dramatique et sa noirceur. Pelléas et Mélisande est davantage une pièce de théâtre chanté qu'un opéra, comme l'oeuvre de Berg. C'est ce qui rend les personnages si proches, si humains. La complexité de Golaud est d'une richesse infinie.

     
    Qui est-t'il pour vous, au bout de trente ans de pratique ?

    Un être fondamentalement solitaire qui essaye de pallier à son vide affectif par son union avec Mélisande. Il se trompe, car il ne s'agit pas d'amour entre eux, mais de compensation. La différence de génération mettra au jour cette mésalliance dès l'apparition de Pelléas. Entre ces deux-là, l'amour est immédiat. Et Golaud est impuissant. Il ne s'était pas méfié au début, et rapidement, il n'est plus dans le coup. C'est plus un père, un frère, qu'un amant. Son âge l'exclut vite de l'histoire. J'ai embrassé ce rôle à trente ans au Met. C'était un peu trop tôt, mais cela m'a permis de creuser le personnage.

     
    Votre projet d'Ă©cole de chant en France n'a pas abouti. N'est-ce pas une sorte d'Ă©charde dans votre parcours sans faute ?

    C'est surtout une épine dans le pied des jeunes chanteurs. Ce qui m'a permis de faire ce métier de façon si complète, c'est le travail de troupe que j'ai pratiqué une dizaine d'années entre Paris, Genève et Berlin. Il n'y a plus de possibilités de ce genre aujourd'hui, ou de très petites tentatives disséminées. Je devais réaliser un projet à Marseille. Avec le changement de mairie, les plans ont été abandonnés même si l'idée a été reprise ailleurs sans succès. Je le regrette, évidemment. Mais j'espère toujours. Si ce n'est pas possible en France, je ne vois, dans l'Europe francophone, que Bruxelles ou Genève pour transmettre à la jeunesse les couleurs du chant français.

    Ce qui m'a permis de faire ce métier de façon si complète, c'est le travail de troupe que j'ai pratiqué une dizaine d'années entre Paris, Genève et Berlin.

     
    Quel rôle vous reste-t-il à chanter, dans le lot de vos désirs ?

    Je pense avoir chanté tout ce que j'avais envie de faire. Je fonctionne à l'instinct, pas au calcul. En fonction de ce que requiert un personnage au moment où je l'aborde, comme nécessité de tessiture, de couleurs vocales ou de tempérament psychologique. Je me sens absolument comblé. J'avais en dernier recours accepté d'interpréter Wotan que j'avais toujours refusé d'ajouter à mon répertoire, car je ne le sens pas assez proche. J'ai cédé parce qu'on me le proposait à la Monnaie de Bruxelles, chez moi, avec le chef Pappano que j'aime beaucoup, et Willy Decker à la mise en scène. Les conditions étaient optimales. Mais Pappano ayant été nommé à Covent Garden, le projet de Tétralogie a été abandonné. C'est donc bien que ce rôle, comme je le sentais, n'était pas fait pour moi !

    Je pense avoir chanté tout ce que j'avais envie de faire. Je fonctionne à l'instinct, pas au calcul.

     
    En une quarantaine d'années de carrière, quels sont les souvenirs qui restent définitivement gravés dans votre mémoire ?

    Sur le plan de la mise en scène, je reste très impressionné par le Pelléas et Mélisande de Bob Wilson. Voilà un sens de l'épure qui fonctionne magnifiquement avec l'oeuvre. Parmi les voix qui m'ont marqué en scène, Teresa Stratas et Frederica von Stade ont été des Mélisande fantastiques.

     
    Ce ne sont pourtant pas des caractères particulièrement mélancoliques. Elles brûlent


    Mais Mélisande n'est pas une oie blanche ! C'est une femme très trouble dont on ne connaît rien du passé. Et son amour est brûlant.

     
    Les chefs d'orchestre ?

    Je reste évidemment très impressionné par Karajan. Ce n'était pas le calculateur froid et avide qu'on a voulu dépeindre. Karajan était d'une extrême timidité, et d'une humanité qu'on n'imagine pas. De plus, c'était un être très dramatique et très profond, ce qui ressort quand même dans la musique qu'il dirige, quoi qu'on en dise. Et puis, il avait une classe inégalable.

     
    Le récital vous attire depuis une dizaine d'années. Vous sentez-vous vous éloigner progressivement de l'opéra ?

    Depuis le temps, je commence à avoir l'impression que tout a été fait et dit. Je ne suis pas très intéressé personnellement par la mise en scène. Je respecte le travail des metteurs en scène pour peu qu'il ne déforme pas la partition. Je pense que dans l'échange et le respect mutuel, on arrive à trouver la bonne voie. Je donne mon avis, fondé sur des années d'expérience, mais je suis toujours à l'écoute de ce qu'on me propose. Je reste plus intéressé par le récital et le concert. Le Lied allemand ou la mélodie française représentent une indépendance artistique supplémentaire. Là, on est au coeur de la musique et on a affaire à sa vérité fondamentale. Je chante maintenant avec un jeune pianiste polonais de 30 ans que j'ai découvert récemment au Concours Reine Elisabeth, Maciej Pikulski. Notre différence d'âge et de vision musicale constitue le ferment d'un échange fort et constructif. Voilà ce qui me ravit vraiment !

     

    Le 20/02/2000
    Propos recueillis par Sylvie BONIER


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