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ENTRETIENS 25 avril 2024

Jay Gottlieb, l'aventure
au bout des doigts

© D.R.

Élève de la Juilliard School, de Harvard et de Nadia Boulanger, bardé de prix internationaux, loué par les plus grands dont Messiaen, Boulez, Bernstein ou Ozawa, Jay Gottlieb reste un pianiste inclassable dont la caractéristique première est le tempérament aventureux. Il était récemment l'invité de " Piano aux Jacobins ".
 

Le 24/09/2001
Propos recueillis par Olivier BERNAGER
 



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  • Jay Gottlieb, vous êtes un spécialiste de la création contemporaine, est-ce que le mot de spécialiste vous gêne ?

    Non. Je suis spécialisé dans l'imagination ! Ma spécialité, c'est d'avoir du flair pour les gens intéressants, pour susciter des créations. Ce n'est pas d'aujourd'hui : dès l'âge de dix-douze ans je me suis mis à composer parallèlement à mes études de piano. C'est aussi à cet âge que j'ai fait la connaissance de celui qui, je peux le dire aujourd'hui avec le recul, a été mon premier mentor.

    Il s'agit de Stefan Wolpe, un musicien d'une incroyable imagination. C'était un musicien d'origine autrichienne, faisant parti des artistes d'avant-garde proches du Bauhaus, qui a fui le nazisme pour émigrer d'abord en Palestine, puis à New York, ma ville natale où je résidais à l'époque avec mes parents.

    Cet homme étonnant, qui est mort dans les années soixante-dix, était un proche de Kandinsky, de Klee et de l'underground new-yorkais. Il organisait des " happening " dadaïstes, brûlait des pianos et cassait la baraque avec délectation. C'était une des rares personnalités de l'époque qui connaissait sur le bout des doigts la musique de Schoenberg, de Busoni et de Webern - ces deux derniers avaient été ses professeurs -, et reliait la pop américaine au répertoire d'avant-garde européen.

    Imaginez l'impact d'une telle personnalité sur un adolescent passionné par la musique, mais qui ne connaissait que les épigones de Schumann et de Mozart et de Dvorak qu'on enseignait dans mon pays. Il m'a libéré de la force gravitationnelle de la tonalité en même temps qu'il me donnait un goût pour le geste, la prestation physique, le mouvement, le théâtre.

     
    D'autres personnalités vous ont-elles marqué ?

    Oui, surtout Nadia Boulanger avec qui j'ai étudié en France, à Fontainebleau. Le monde découvert avec Wolpe n'avait rien à voir avec celui de " Mademoiselle ", mais il ne faut pas croire qu'elle ait été une personnalité rétrograde comme on l'entend parfois. Bien au contraire. Ma passion pour Mademoiselle Boulanger pour a été totale.

    À son exemple, chacun d'entre nous examinait le passé pour créer le futur, et non pas pour nous enfermer dans l'étude de chefs-d'oeuvre en péril ou non ! Ses connaissances étaient encyclopédiques. Elle passait de Bach à Stravinski sans aucun complexe et nous conseillait toujours d'aller aussi loin qu'il nous était possible.

    Elle voulait par-dessus tout attiser notre sens critique et faire reculer au maximum les frontières de l'expression. Avec elle, j'ai tout fait : Bach, Beethoven, Schumann, mais aussi Bartok, Messiaen (qu'elle n'aimait pas beaucoup), Boulez (qu'elle refusait de rencontrer) ou même Ives que personne ne connaissait. Puis elle est venue la Juilliard School de New York.

     
    On vous a identifié plutôt comme un pianiste de recherche que comme un pianiste de répertoire, est-ce juste ?

    C'est une question de marché, j'ai fini de me battre avec cela. Pour moi, il y a urgence à servir la création. Tous mes collègues se précipitent sur Chopin et Brahms que j'adore et que je joue aussi. Je vais volontairement vers les créateurs, vers la musique de notre temps.

    Il m'arrive de mélanger les époques comme le font volontiers mes confrères, mais j'aime la création pour elle-même. Je ne me sers pas d'elle afin d'apporter les preuves nouvelles que les compositeurs du passé ont eu des visions prophétiques comme Beethoven avec la Hammerklavier, ou que les compositeurs d'aujourd'hui s'appuient sur le grand répertoire !

     
    Le titre des oeuvres de votre programme à Piano aux Jacobins comportent souvent le mot " Etude ", est-ce par volonté ou par hasard ?

    C'est peut-être une manie chez moi d'adolescent attardé, le mot étude ! Oui, je passe commande " d'études " à des compositeurs. Une étude explore un monde, elle possède aussi un caractère non pas inachevé, mais en devenir : elle est un moment de la création.

    C'est aussi une forme musicale qui n'a pas de frontière, puisque, justement elle-même va au-delà des frontières connues. C'est une investigation sur un problème musical ou sonore précis. On pourrait demander à plusieurs compositeurs des études sur le même problème et comparer.

    À noter que dans mon programme de Piano aux Jacobins, le piano est toujours joué du clavier, il n'a dans ce récital aucune " préparation " : tout est joué sur le clavier de manière traditionnelle.

     
    Quels sont vos projets immédiats dans le contexte du drame qui secoue l'Amérique ?

    Dieu merci, aucun de mes proches ni de mes amis n'ont été atteints par cette folie meurtrière, mais je ne peux m'empêcher de penser aux malheureux innocents qui ont péri. Je dois jouer bientôt au musée Guggenheim à New York. J'ignore encore si le concert aura bien lieu en raison du drame. Je m'y prépare avec anxiété.

    Par ailleurs, Betsy Jolas, une autre américaine de Paris écrit un concerto pour moi. Il s'agit d'un concerto accompagné d'un choeur qui sera créé le 4 octobre au festival Musica de Strasbourg par le choeur Accentus, puis on l'entendra le 10 octobre au Théâtre des Arts de Rouen. Il précédera une " carte blanche " que m'a donnée le festival " Octobre en Normandie " où je dévoilerai le côté " light " (N.D.L.R. : léger) de ma personnalité avec Gershwin, Keith Jarrett, Leonard Bernstein, et John Adams


    Mais mon grand projet est de commander à des compositeurs du monde entier des études pour piano d'une durée maximum de dix minutes. Je vais en créer quatre dans le cadre " d'Octobre en Normandie " : du français Gilbert Amy, du finlandais Magnus Lindberg, du danois Poul Ruders, et de l'espagnol Luis de Pablo.

     
    Et la triste actualité ?

    À Toulouse (1), je lirai avant mon concert le texte suivant :
    " Ce récital est contre la barbarie, contre la non-créativité, contre la dépendance à des symboles bêtes, périmés et non-évolutifs, donnant lieu à un fanatisme aveugle, puéril, irresponsable, culminant dans la violence et la destruction. Ce récital est pour la civilisation, la créativité humaine dans sa manifestation la plus élevée : la création. Ce récital est pour la mémoire, pour la synthèse de l'histoire qui seule peut assurer un aujourd'hui et des lendemains intelligents. Ce récital est pour l'écoute, l'écoute, l'écoute.



    (1) Entretien réalisé le 14 septembre 2001, avant les tragiques évènements survenus dans la capitale de la région Midi-Pyrénées.


    Deux disques pour découvrir le pianiste

    - Pièces pour piano de Charles Ives Pianovox PIA 542-2 (distribution Sony)
    -Philip Glass : Piano Music Pianovox PIA 520.

     

    Le 24/09/2001
    Olivier BERNAGER


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